Je termine de Calendrier de l’Avent par un modeste ressenti personnel des sept années de Jürgen Klopp que j’ai eu la chance de vivre et d’accompagner depuis ses débuts, des moments de doutes aux plus grands succès. Ce fut une aventure, une épopée merveilleuse, à l’image du personnage : entière, sans concession, passionnée, drôle, émouvante, folle, peut-être bien la dernière aventure romantique du football.
Comme annoncé, je n’ai pas fait une traduction exhaustive de la biographie de Jürgen Klopp. J’en ai simplement repris les nombreux témoignages forts, instructifs, parfois drôles ou émouvants et les ai couplés avec mes souvenirs et photos personnels. Ceux qui sont intéressés et qui maîtrisent un peu la langue de Goethe peuvent toujours lire l’ouvrage dans son entier, notamment les chapitres sur l’enfance de Jürgen Klopp et sa carrière à Mainz et Liverpool que j’ai complètement occulté.
Je termine donc par mon expérience personnelle de ses sept années extravagantes. Il faut se souvenir que, lorsque Jürgen Klopp est arrivé, on ne parlait pas de titres ou de Ligue des Champions à Dortmund. On nous avait fait comprendre que, après le cataclysme financier de 2005, les sommets nous seraient interdits pendant de longues années, le temps de finir de rembourser les dettes et de payer la folie des grandeurs du passé. Cela nous l’avions intégré, nous continuions à nous rendre au stade, semaine après semaine, malgré des résultats et un jeu souvent décevants. Parce que c’était notre club. Parce que nous étions déjà juste contents qu’il existe encore. Parce que nous savions que si, un jour lointain, nous voulions revivre des émotions fortes avec lui, il fallait passer par là et continuer à le soutenir, même dans ces temps difficiles. Et cela nous suffisait : une belle victoire par ci, par là, un Derby remporté, une embellie au classement, il n’en fallait guère plus pour nous enflammer même si généralement la précarité de notre situation ne tardait à nous être rappelée.
Puis est arrivé Jürgen Klopp. Un peu par hasard car, comme nous l’avons vu, il a fallu une série de défaites et de désillusions pour que nos dirigeants se mettent en quête d’un nouvel entraîneur à l’été 2008. Et il fallut encore que d’autres clubs potentiellement intéressée renoncent à prendre le risque pour que Kloppo arrive chez nous. Et parfois le hasard fait bien les choses. Car, même si les résultats ne sont pas venus tout de suite, il s’est rapidement avéré qu’il y avait un mimétisme absolu entre cet entraîneur venu de Mainz et la ville de Dortmund, le club, les fans : même humilité, même abnégation, même humour, même passion, même folie…
C’était une époque où toute la planète football commençait à se pâmer devant le jeu académique et lancinant de l’Espagne et de Barcelone. Toute la planète ? Non, à Dortmund, du moins dans les fans que j’ai pu côtoyer et j’en ai côtoyé pas mal, tout le monde trouvait mortellement ennuyeux ce redoublement infini de passes, ce jeu sans rythme ni émotion. Une sorte d’opéra. Sauf que dans le Pott, on préfère le punk. En ce sens, Hans-Joachim Watzke et Michael Zorc ont eu une intuition géniale en observant le jeu peu académique et sauvage du FSV Mainz, à contre-courant de la mode en vogue du tiki-taka, sa parfaite antithèse, et en comprenant qu’il allait parfaitement répondre aux attentes des fans du Westfalenstadion. Et ils ont osé faire le pari, que n’ont pas osé faire Bayern, Hambourg et Leverkusen d’importer ce style de jeu, ce Vollgas Fußball novateur, dans un club plus prestigieux que ne l’est le Karnevalsverein. Un pari gagnant.
Mais le pari n’était pas gagné d’avance et, en relisant les premiers chapitres de ce Calendrier de l’Avant, tu as pu constater qu’il y a eu des doutes, un scepticisme, des difficultés avant de voir triompher la méthode Klopp. Il a fallu du travail, beaucoup de travail, de labeur, de patience et d’abnégation pour que cela commence à fonctionner. Cela tombe bien : le travail est une valeur cardinale dans une Arbeiterverein, un club de travailleur, d’ouvriers où l’on s’est toujours méfié de ce qui est trop brillant et où l’on a toujours considéré que le succès ne s’obtenait pas par l’argent mais par le travail. Surtout après l’ère Niebaum-Meier qui avaient voulu remplacer le Kohle (charbon) par le Kohle (pognon) avec les conséquences désastreuses que l’on sait. Et si la personnalité de Jürgen Klopp était déjà en parfaite adéquation avec le BVB, il s’est en plus imprégné dès son arrivée des valeurs, des traditions, du patrimoine du club, si importants aux yeux des fans et sans lesquels il est impossible de comprendre ce qu’est le Borussia Dortmund. Il est arrivé avec ses idées et ses conceptions bien précises du football mais il a eu l’intelligence et l’humilité de les adapter à l’ADN du club qui lui avait fait confiance.
Et puis Jürgen Klopp a eu la chance d’arriver à un moment où les attentes n’étaient pas trop élevées autour du Borussia après des années de galère. Il a eu le luxe, que n’ont pas eu et n’auront plus ses successeurs, de pouvoir construire quelques chose et d’avoir eu le temps pour le faire. Il a pu choisir son effectif, quitte à se séparer de ses joueurs les plus talentueux comme Petric, Frei ou Hajnal, dont le profil ne cadrait pas avec le jeu mis en place, de faire venir des jeunes joueurs inconnus mais cadrant parfaitement avec son projet. Et cela n’a été rendu possible que parce qu’à l’époque, nous avions plus ou moins renoncé, pour un temps du moins, à toute idée de titres et de succès et que nous étions prêts à accueillir tout ce qui nous sortait un tant soit peu de la grisaille ambiante comme un bonus.
Quand le succès a commencé à arriver, à partir du printemps 2010, nous étions tous surpris de ce qui nous arrivait. Une qualification pour l’Europa League, c’était déjà un aboutissement. Et ce n’était que le début de l’aventure… Car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’aventure enchantée d’une équipe de copains que personne n’attendait si haut et qui prenait un malin plaisir à bousculer les pronostics, renverser la hiérarchie et faire tomber les puissants. Le sentiment qui a souvent prédominé dans ces années-là, c’est l’incrédulité : c’est vraiment notre équipe qui joue si bien, qui vient de démonter cet adversaire qui nous paraissait inaccessible il y a peu ? On n’attendait rien, une défaite n’était pas accueillie avec le catastrophisme actuel mais simplement comme une étape pour progresser et la victoire était souvent ressentie comme un don du ciel.
Après ses problèmes financiers, le BVB avait un peu disparu des radars et avait été oublié du monde du football. Sauf du dernier carré de ses fidèles, de ses 75’000 irréductible qui continuaient à aller au stade même lorsque le club galérait au classement et ne présentait rien de bon sur le terrain. Alors quand, tout d’un coup, le succès est revenu, c’était une récompense inespérée et c’est aussi pour cela que nous l’avons vécu de manière aussi forte, aussi intense : forcément, celui a vécu les retours glauques par une froide soirée d’hiver après une défaite contre Cottbus, Bielefeld ou Duisburg va savourer et célébrer différemment le succès que le touriste qui vient pour la première fois voir le club qu’il a découvert quelque semaines devant son écran TV.
Peut-être, probablement, je l’espère du moins, nous allons encore vivre d’autres succès avec le BVB. Mais il est aussi probable que nous ne revivrons jamais quelque chose d’aussi fort que ce que nous avons vécu durant ces années Klopp. Tout était réuni : la résilience des années de galère, des attentes et ambitions peu élevées, une surprise totale, des joueurs sortis de nulle part mais totalement identifiés au club, un style de jeu intense et sauvage, un entraîneur charismatique, des scénarios improbables et souvent fous… Dans un monde du football de plus en plus gangréné par l’argent, où le succès est de plus en plus réservé et acheté par des multinationales fortunées qui alignent des équipes de mercenaires pour faire plaisir à leurs clients blasés en tribunes, le BVB de Jürgen Klopp représente peut-être la dernière aventure romantique du football, du moins à un niveau aussi élevé, presque jusqu’au sommet de l’Europe.
Et cela nous le devons beaucoup à Jürgen Klopp qui a su ranimer la flamme dans un club qui végétait dans une forme de ferveur désabusée et parfois à la limite de la résignation. Il a su nous rappeler que le manque d’argent n’était pas une fatalité nous interdisant le succès et le bonheur et que rien n’est impossible à force de travail, de persuasion, de patience, de passion et de volonté. Un jour, je crois que c’était après la Meisterfeier 2011, Jürgen Klopp a dit : « Si nous vivons cinq moment de bonheur comme celui-là, nous pourrons mourir heureux. Et peut-être que moins de cinq peuvent suffire… » Au final, Jürgen Klopp nous en aura fait vivre bien plus que cinq, de ces moments merveilleux de joie, d’émotions, de larmes, de fête, d’amitié, de bonheur. Pour tout cela, nous n’avons qu’une chose à dire : DANKE JÜRGEN !!!
Si tu as manqué le début:
1er décembre : Revolution 09
2 décembre : Une défaite salutaire
3 décembre: Un rendez-vous presque manqué
4 décembre: A la conquête des cœurs
5 décembre: Goldene Zukunft braucht Vergangenheit
6 décembre: Un employé comme les autres
7 décembre: L’apprentissage
8 décembre: Le premier Derby
9 décembre: La désillusion
10 décembre: Les ruelles sombres
11 décembre: L’irrésistible ascension
12 décembre: En route pour la gloire
13 décembre: La consécration
14 décembre: Des lendemains qui déchantent
15 décembre: Doublefeier
16 décembre: A la reconquête de l’Europe
17 décembre: La trahison
18 décembre: Wembley Calling
19 décembre: Le retour sur terre
20 décembre: Hold-up à l’Olympiastadion
21 décembre: La descente aux enfers
22 décembre: Aufholdjadg
23 décembre: L’adieu aux larmes
Adaptation libre de « Ich mag, wenn’s kracht » Jürgen Klopp. Die Biographie. De Raphael Honigstein, éd. Ullstein extra, 2017.
1 commentaire
Ch. Logoz · 24/12/2017 à 11:43
Merci Julien, pour ce magnifique récit d’une épopée il est vrai probablement assez unique dans le monde du foot pro !