Samedi, l’Allemagne et l’Europe commémoraient le trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Les joueurs du Borussia Dortmund ont cru bon de s’associer aux festivités en s’effondrant dans le cimetière mercantile munichois en opposant aussi peu de résistance que les VoPos est-allemands le 9 novembre 1989. Triste et inquiétant.
Le constat est simple : il n’y a pas eu de match samedi en Bavière. Car, jusque à nouvel avis, pour disputer un match de football, il faut deux équipes. Or, dans le tombeau glacial de l’Arroganz Arena pour le Topspiel de la 11ème journée de Bundesliga, il y a l’une des deux formations qui n’a tout simplement pas joué. Et cette équipe, malheureusement, c’est la nôtre.
Les plots jaunes
Nous aurons fait illusion une vingtaine de minutes. Le temps de rendre hommage, par une minute de silence, à Robert Enke, disparu il y a dix ans, ce fut à peu près la seule minute d’émotion de la soirée : je me souviens avoir vu l’un de ses derniers matchs, une victoire d’Hanovre à Köln, et une dizaine de jours plus tard, le dernier rempart de Sechsundneunzig se donnait la mort. Dix ans déjà, ça ne rajeunira personne. Puis il y a eu une vingtaine de minutes de round d’observation : le Bayern n’était pas vraiment en confiance, il restait sur une défaite 5-1 à Francfort en Bundesliga, ensuite il y a eu la démission de Niko Kovac et la victoire remportée en Ligue des Champions contre Olympiakos n’était pas vraiment significative, c’était le premier vrai test pour le nouvel entraîneur (ad intérim ?) Hansi Flick, avec une défense expérimentale. Mais les Bavarois vont rapidement s’apercevoir que le BVB était complétement inoffensif et s’enhardir face à des plots jaunes battus dans tous les duels. Sur un ballon mal dégagé par notre défense, Pavard remise dans la paquet et Lewandowski, complètement oublié par six défenseurs dortmundois amorphes autour de lui, vient placer sa tête pour ouvrir le score. Pourtant, on savait que les atouts bavarois se trouvaient en attaque et que notre chance, cela aurait été d’aller mettre la pression sur la défense du Rekordmeister. Mais on n’a rien fait de tout cela, on s’est contenté d’attendre que le sniper polonais vienne marquer son but, ce qu’il a fait cette saison dans tous les matchs officiels qu’il a disputé (sauf en Supercup, qui paraît bien loin aujourd’hui). Après une première mi-temps terne à souhait, nous pouvons nous estimer heureux de n’avoir qu’un seul but de retard, Hummels sur sa ligne, Bürki et un but annulé pour hors-jeu de Gnabry ayant évité le 2-0. Après 36 minutes, Lucien Favre choisit de sortir Jadon Sancho, il aurait pu sortir toute l’équipe mais c’est vrai que l’Anglais, 13 ballons perdus en 36 minutes, la plupart dans des tentatives d’exploit personnel vouées à l’échec, était complètement à côté du sujet.
Inexistants
Ce sera encore pire en deuxième mi-temps. Malgré l’absence de ses trois principaux défenseurs centraux, Süle, Boateng et Hernandez, et une défense de fortune avec Pavard à droite, une charnière composée du milieu défensif Martinez et du latéral Alaba et le junior Davies improvisé latéral gauche, le Bayern n’avait rien à redouter de ce Borussia–là et ils ont pu dérouler. Le 2-0 tombe sur une grande balle qui suffit à éliminer toute notre défense et laisser Müller centrer pour Gnabry. Les entrées de Reus et Alcacer n’y changeront rien. Le BVB ne s’est créé qu’une occasion de tout le match, un centre dévié d’Hakimi que l’Espagnol ne parvient pas à redresser dans le but. Mais on doute que cela aurait changé quoi que ce soit. Lewandowski et, pour boire le calice jusqu’à la lie, un autogoal d’Hummels sur un ballon anodin que Bürki s’apprêtait à saisir, porteront la marque à 4-0, presque un minimum, tant notre équipe a été surclassée dans tous les compartiments du jeu. Rideau.
Nullissimes
Comment expliquer une telle contre-performance ? J’avais émis l’hypothèse, notamment après la faible première mi-temps à Cologne et le désastre à Union Berlin, que nos Jungs pouvaient prendre de haut et peiner à se motiver contre des adversaires plus modestes. Mais l’hypothèse ne tient plus : on a livré le même genre de non-match dans le Derby, le match le plus important de l’année pour les fans, puis dans ce Topspiel, la différence de résultat tient juste dans la qualité de l’adversaire mais dans l’esprit c’était le même genre de « prestation ». Nous ne pouvons pas non plus invoquer le manque de confiance : nous aurions dû arriver gonflés à bloc (et les fans l’étaient en Gästeblock, du moins pendant 20 minutes…) après les victoires contre Mönchengladbach, Wolfsburg et la remontée fantastique contre l’Inter, aller bousculer ce Bayern en pleine crise et sa défense censément en carton. Mais non, nos Jungs se sont juste contentés de faire acte de présence sur le terrain et d’attendre les buts adverses, sans rien tenter, sans révolte, sans combat. Si l’on devait noter la (non)-performance de nos Jungs comme à l’école, on hésite entre le 1 de présence et le 0 pour tricherie.
Pas un problème d’entraîneur
Lucien Favre avait obtenu un peu de répit en changeant son attitude sur le banc avec les retournements improbables contre Gladbach et Inter et la victoire contre Wolfsburg. Il est à nouveau sous le feu des critiques. Mais est-ce vraiment un problème d’entraîneur ? Je ne le pense pas. Au contraire : un départ de Favre ne fera que fragiliser, avant même sa nomination, la position de son successeur, quel qu’il soit. Il y a deux ans, nos Jungs avaient réclamé et obtenu le départ de Thomas Tuchel. Ils nous expliquaient à quel point l’ambiance était meilleure avec le gentil Peter Bosz plutôt qu’avec l’exigeant Tuchel. Mais, après un départ enthousiasmant, ils avaient complètement abdiqué dès que les choses s’étaient compliquées, à l’image du fameux Derby ou de la défaite contre Brême fatale au Hollandais. Le fusible Bosz avait sauté mais, à aucun moment, les joueurs n’avaient été placés devant leurs responsabilités. Peter Stöger était arrivé, avec une approche et une tactique beaucoup plus rassurantes mais il avait été confronté aux mêmes problèmes que son prédécesseur : on se souvient de ces matchs complètement balancés, sans envie ni grinta, au hasard l’élimination pathétique contre le RB Salzburg, le Derby à Herne-West ou le dernier match à Hoffenheim. En fait, on a l’impression que cela fait cinq ans que l’on vit régulièrement ce genre de non-match où nos Jungs passent complètement à côté. Et par charité chrétienne, on n’épiloguera même pas sur nos derniers déplacements à Munich en Bundesliga: 5-1, 4-1, 6-0, 5-0 et maintenant 4-0. Mais de tels désastres, il y en avait déjà eu lors de la dernière saison de Jürgen Klopp, à Berlin ou Brême en automne 2014 ou contre Augsburg début 2015, on en avait connu avec Tuchel, surtout lors de sa deuxième saison (Leipzig, Leverkusen, Darmstadt…), on a déjà parlé de Bosz et Stöger, maintenant c’est au tour de Lucien Favre et un nouvel entraîneur, quel qu’il soit, sera confronté au même problème si les joueurs ne sont pas, une fois, mis devant leurs responsabilités. Pour tous les fans qui les accompagnent semaine après semaine dans tous les stades d’Europe, qui font beaucoup de sacrifice pour suivre leur équipe, est-ce que nos Jungs ont le droit de présenter une bouillie du style de celle qui nous a été servie à Munich ? Non.
Ils sont où les tauliers ?
Faisons un peu d’histoire et regardons les grandes équipes de l’Histoire du BVB. Quand le Borussia bat Benfica, triple finaliste sortant de Coupe d’Europe des Clubs champions, 5-0 au Rote Erde, en 1963, un match référence en terme d’engagement et de combativité, l’équipe était composée de 11 joueurs venus de Dortmund et alentours, des mecs pour qui jouer pour le BVB était le sommet de leur carrière et leur échappatoire à un travail à la mine ou à l’usine. Pareil en 1966, lorsque le BVB surprend en finale de Coupe des Coupes par sa rage de vaincre le terrifiant Liverpool de Bill Shankly : nous alignions onze guerriers allemands, presque tous venus du Ruhrpott. Lors des grandes épopées avec Ottmar Hitzfeld, notre entraîneur pouvait s’appuyer sur quatre champions du monde, une flopée de joueurs passés par la Serie A, le championnat le plus exigeant de l’époque, des fortes personnalités comme Kohler, Sammer ou Reuter, des vrais amoureux du club come Zorc, Chapuisat, Kree ou de Beer et des étrangers recrutés pour leur combativité (Lambert, Sousa), bref que des joueurs rompus aux exigences du haut-niveau. A son arrivée, Jürgen Klopp s’est fortement imprégné de l’histoire et de la mentalité du BVB, ce que n’a pas fait Lucien Favre, il le reconnaît. Mais Kloppo a aussi pu s’appuyer sur des vrais clubistes, Kehl, Weidenfeller, Kringe, Dede, Owomoyela, Blaszyckowski, Großkreutz… qui ont su entraîner les autres. Mêmes des joueurs venus du bout du monde comme Kagawa ou Barrios avaient l’esprit dortmundois après quelques matchs.
Car si un joueur avait eu le malheur de livrer un non-match du style de celui disputé à Munich, il aurait déjà été recadré par ses coéquipiers, avant même de l’être par l’entraîneur. Aujourd’hui, il reste qui dans notre effectif pour jouer ce rôle-là ? Personne. Götze et Reus ont été formés au Borussia mais ils n’ont pas un tempérament de leaders, Schmelzer et Piszczek sont en fin de carrière, Hummels reste marqué par sa trahison munichoise… Quelle a été la première mesure d’Hansi Flick au Bayern quand il a remplacé Niko Kovac ? Il a relancé Thomas Müller, pourtant en difficulté depuis plusieurs saisons mais un authentique enfant du club, et il s’est appuyé sur ses tauliers, Neuer, Alaba, Martinez, Kimmich, Lewandowski…
Lucien Favre peut-il s’appuyer sur de tels joueurs ? Non, notre entraîneur est un homme seul qui doit inspirer des joueurs dont certains ne semblent pas complètement concernés par leur aventure dortmundoise, juste des mercenaires de passage, à l’image de Sancho, complètement à côté de ses pompes depuis quelques semaines et qui semble rêver d’un départ honteux à la Dembelé ou Aubameyang, ou Hakimi, surtout soucieux de briller sous les lumières de la Königsklasse et du Real Madrid.
Le travail inachevé
Pourtant, Michael Zorc et Hans-Joachim Watzke avaient fait cette analyse et posé le bon diagnostic à l’été 2018. Souvenez-vous de la théorie « Back to the roots », qui devait consister à ne plus viser absolument le Meisterschale mais d’abord à rebâtir une équipe avec des joueurs mieux identifiés au club pour retrouver les sommets à moyen terme. Réputé pour sa capacité à faire progresser les jeunes, Lucien Favre avait été choisi pour cette mission. Mais finalement, son principal tort aura consisté à connaître trop de succès trop de tôt. L’automne dernier, nous voyions progresser notre équipe math après match. Mais, dès que le titre n’est devenu non plus une vague utopie de début de saison mais une ambition, pire une obligation, on a commencé à jouer dans l’urgence et avec la pression du résultat et à ne plus rien construire. Depuis mars dernier, depuis le couac contre Hoffenheim en fait, on a l’impression que l’équipe ne progresse plus mais évolue en mode commando, uniquement focalisée sur le résultat à court terme, alors que nous n’avons ni l’entraîneur ni les joueurs pour cela. Le BVB a conquis cinq des dix derniers titres majeurs en juniors (A et B) ces cinq dernières saisons en Bundesliga. Combien de ces joueurs évoluent aujourd’hui en première équipe ? Bruun Larsen, Unbehaun, Raschl et Osterhage, ils ne jouent pratiquement jamais… Nous n’avons pas la surface financière pour bâtir à coup de millions une équipe capable de remporter des titres avec des stars confirmées. Notre voie, c’est de construire une équipe en nous reposant sur les valeurs et les vertus qui ont fait jadis le succès du club : combativité, passion, amour du maillot, rigueur… Mais pour cela, il est essentiel de nous appuyer sur des joueurs qui aiment vraiment le BVB et ne le considèrent pas juste comme une étape pour négocier un contrat plus lucratif. Il serait maintenant temps que nos dirigeants fassent preuve d’autorité, non pas en faisant sauter une fois de plus le fusible de l’entraîneur sans rien régler, mais en lui réitérant une entière confiance, et en plaçant les joueurs devant leur responsabilité. Et que ceux qui ne sont pas à 1909% concernés par leur aventure dortmundoise s’en aille voir ailleurs. Pour ne plus jamais revivre des soirées comme celle de Munich, qu’on a malheureusement trop souvent vécues ces dernières saisons.
Au bout de l’ennui
Car, pour en revenir à notre « folle » soirée munichoise, on s’est ennuyé ferme. On l’a déjà dit, l’ambiance à l’Allianz Arena est l’une des pires de Bundesliga, même lorsque le Bayern caracole en tête de la Bundesliga… Alors là avec une équipe en crise, c’était le tombeau. Même le Choreo d’avant-match était raté : c’était censé commémorer le doublé Coupe-championnat de 1969 mais un mauvais alignement des drapeaux a transformé le 1969 en 1968. A part sur les buts, et encore, c’était très silencieux, même chez nous, tant nous avons été consternés par la nullité de la prestation de notre équipe. On passera sur le light show ridicule après les buts, quels fans ont besoin de tels artifices pour célébrer l’émotion d’un goal ?
Et en plus, ce stade devient de moins en moins accueillant chaque saison : désormais, les supporters adverses n’accèdent plus au stade par les entrées ordinaires mais à travers une sorte de no man’s land dans la boue entre les grillages qui implique un long détour. Pour finalement pouvoir circuler librement dans le stade… faudra m’expliquer la logique.
Avant le match, j’ai ainsi pu aller boire des bières (si on peut appeler ainsi la Paulaner légèrement alcoolisée de l’Allianz Arena) avec un ami abonné au Bayern près de la Kurve bavaroise. Il était accompagné de sa fille, à laquelle j’avais offert, il y a quelques années, dans l’euphorie des titres de 2011 et 2012, un paquet de Haribos en forme de Meisterschale, histoire qu’elle puisse voir une fois à quoi cela ressemble, vu que dorénavant le vrai prenait systématiquement la direction de Dortmund. Mauvais calcul : depuis lors le vrai Meisterschale ne quitte plus Munich. La jeune fille d’alors est devenue une demoiselle qui poste des talons hauts et va à l’université mais je luis offre les mêmes Haribos Meisterschale, histoire de conjurer le mauvais sort et de voir retourner le titre vers Dortmund. Cela n’a pas vraiment été couronné de succès, tant notre prestation munichoise a été loin de celle d’un prétendant autoproclamé au titre…
2 commentaires
Ch. Logoz · 14/11/2019 à 20:41
En espérant que Watzke et Zork te lisent, Julien ! Parce que je suis tout à fait d’accord avec toi, je pense que se séparer de Lucien n’est en tout cas pas la chose à faire !
Allez, on veut croire à un déclic, la saison est encore longue !
Julien Mouquin · 15/11/2019 à 07:16
Je crains le pire: c’était encore avec le Hertha mais quand on organise un déplacement à Dortmund début décembre pour aller voir Lucien, il n’est plus là le jour du match. Espérons que l’histoire ne se répétera pas.