Le BVB a dû attendre le dix-huitième Derby avant de pouvoir fêter sa première victoire contre celui qui allait devenir son grand rival. Cela s’est passé sous les bombes, en pleine deuxième guerre mondiale. Et qui d’autre que celui qui fut la première star du club, peut-être le joueur le plus emblématique de l’Histoire du Borussia pour nous offrir cette première Derbysieg ? August Lenz.
Le contexte. J’aurai bien aimé terminer cette série par le premier but de l’Histoire du BVB. C’était le 15 janvier lors d’un match amical remporté 9-3 contre le VfB 1897 Dortmund. Notre premier but est tombé à la 5e minute à la Weiße Wiese mais la seule coupure de presse retrouvée de l’époque ne mentionne pas le nom du buteur. Il s’agit de l’un des 11 Borussen alignés ce jour-là (identifiés sur une photo) : Claus, Lücke, Wienke, Unger, Busse, Hagedorn, Winkler, Wilmer, Braun, Hemesath, Schröder, Hegel et Schäfer. J’aurai aussi pu te parler du premier but lors du premier match officiel du BVB le 10 septembre 1911, remporté 1-0 à Rauxel contre la section football de la Turnerbund 1892 (club de gymnastique) locale. Mais là encore, nulle trace de l’identité du buteur dans mes archives.
Alors, on avance un peu dans l’Histoire. Jusqu’en 1943. Le 14 novembre, c’est le Derby contre Schalke. Mais à l’époque, il n’y a pas vraiment de rivalité entre les deux clubs du Ruhrpott : Schalke c’était le meilleur club allemand de la période des Gauligen, le championnat d’Allemagne de l’époque nazie alors que le BVB n’était qu’un modeste club local sans palmarès. Le bilan des 17 premiers Derbys, entre le premier du 3 mai 1925, avant ce match de novembre 1943 : 16 victoires pour les Blauen, 1 match nul, 0 victoire pour Dortmund. La différence de buts ? 13:93. En 1940, le BVB s’était incliné 10-0 au Kampfbahn Glückauf… Toutefois, une nouvelle génération émerge au BVB qui n’a plus de complexe envers les Blauen depuis une victoire remportée contre Schalke en finale du Westfalenmeisterschaft des Juniors A en 1939. Et puis, il y avait eu ce premier nul arraché contre les Blauen en 1937-1938 après avoir été mené 0-3 à vingt-cinq minutes de la fin, avec des buts de Zideller (2) et Masiske, réussissant la même remontée que Frei et Subotic septante ans plus tard…
En novembre 1943, la guerre commence à mal tourner pour l’Allemagne hitlérienne. Les bombardements alliés atteignent régulièrement la Ruhr et Dortmund. A la fin du conflit, la ville aura été détruite à 93%, en particulier tous les sites industriels qui soutenaient la machine de guerre nazie, et 70% des appartements rendus inutilisables. Les jours précédents le Derby, la ville a subi cinq bombardements. Pourtant, le match est maintenu pour donner aux habitants l’illusion d’un semblant de normalité et 12’000 courageux se rendent au Kampfbahn Rote Erde, malgré la proximité du stade avec les usines Hoesch, cible privilégiée des raids alliés. La guerre impacte même les compositions d’équipes : le BVB est ainsi privé de deux de ses joueurs stars, Max Michallek et Pat Koschmieder, au front avec leur unité. A l’inverse, notre Borussia peut aligner Erich Trapp, un joueur du FSV Francfort en mission à Dortmund avec son unité et autorisé à jouer avec le BVB comme « joueur invité ».
Le but. Ce que l’on sait de ce but, c’est qu’il est tombé à la huitième minute de jeu, qu’il a été inscrit par August Lenz et que le gardien des Knappen, Hans Klodt, ancien portier de l’équipe d’Allemagne de retour après une blessure de guerre, n’était pas exempt de tout reproche. Ce fut le seul but du match.
Le match. Le BVB est parvenu à tenir ce résultat jusqu’à la fin du match. Malgré une qualité technique supérieure, les Knappen, privés de leur star Ernst Kuzorra, blessé, ne sont pas parvenus à venir à bout de la combativité supérieure des Borussen. Une joie bienvenue dans ces temps troublés. La composition des premiers Derbyhelden : Hoffmann ; Rumhofer, Richert ; Müller, Stachorra, Goebel ; Schüttners, Trapp, Lenz, Zideller, Rogoll.
La suite. Si le BVB était en tête du classement après cette victoire dans le Derby, en fin de saison c’est quand même Schalke qui a remporté la Gauliga Westfalen, avec huit points d’avance sur le VfL Altenbögge et neuf sur le BVB. Mais, en battant une première fois Null Vier, le Borussia avait ouvert une première brèche dans la suprématie, qui allait montrer la voie à suivre pour la victoire dans le Westfalenmeisterschaft 1947.
Le héros. Tout fan du BVB qui se respecte connaît August Lenz. Même sans le connaître vraiment. C’est le joueur le plus emblématique de l’Histoire du club, sa première star. Le bâtiment situé dans l’angle nord-est du stade, où se trouvait l’ancien Fanshop et où se trouve le bar Strobels, porte son nom. Le drapeau du principal groupe ultra du BVB, The Unity, est à son effigie. Pourquoi une telle vénération ? Parce que sans lui, notre club serait peut-être resté un tout petit club de quartier de Dortmund, écumant les ligues régionales.
Né en 1910, décédé en 1988, August Lenz débute au BVB à l’âge de 12 ans. Comme gardien de but. Le tournant intervient lors d’un match à Mengede, un quartier nord de Dortmund : l’attaquant Hannes Jakubowitz se blesse et August Lenz doit être aligné en attaque. Il inscrit neuf buts (09 !) et le BVB l’emporte 14-0 ! Une légende est en marche, August a trouvé son poste. A l’époque, le Borussia était un modeste club qui évoluait entre les Kreisliga Dortmund-Herne ou Dortmund-Bochum, Märkischer Kreis ou Hellweg Kreis, la 2. Bezirksklasse Dortmund, la Ruhrbezirk ou l’Industriebezirk. C’est-à-dire la deuxième ou troisième division de Westphalie, les ligues locales. Le Borussia n’était qu’un modeste club de quartier parmi d’autres, il ne rencontrait pas les meilleurs clubs d’Allemagne ni même les équipe phares de la Ruhr, non juste d’autres clubs locaux comme lui, Merkur 07 Dortmund, Vitoria 08 Dortmund, BC-SF 06 Dortmund, SV Dortmund 08 ou des équipes de banlieue VfL Hörde, SuS 06 Lütgendortmund, SC Dorstfeld 09, Germania Westerfilde, Westfalia Huckarde, Arminia Marten…
Der « blonde August » va faire grimper les échelons à son club de toujours. Et pourtant, il aurait pu être tenté de rejoindre les grands d’Allemagne de l’époque et notamment Schalke 04, qui dominait le pays. La star des Knappen, Ernst Kuzorra, a d’ailleurs demandé à son président d’engager ce jeune attaquant qui commençait à se faire un nom dans les ligues régionales. Mais le président des Blauen a vite compris que c’était peine perdue : « Il y a plus de chances que tu joues au Borussia que de voir Lenz quitter la Borsigplatz. » Heureusement car, si August Lenz était parti, peut-être que le Borussia Dortmund serait resté à tout jamais un petit club de quartiers…
Alors qu’il n’évoluait qu’en deuxième division régionale, August Lenz se fait remarquer au niveau national. Et, en 1935, il est convoqué pour la première fois en équipe d’Allemagne. Le premier Borusse en équipe nationale ! Il marque deux buts, la Mannschaft gagne 6-2 en Belgique et, à son retour, 30’000 fans, l’attendent à la gare pour l’accompagner à la Borsigplatz, où il est né. Comme son BVB. August Lenz a joué 14 fois en équipe d’Allemagne, inscrit 9 buts. Mais sa carrière internationale va prendre fin après les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 : programmée pour gagner et glorifier le régime nazi, l’Allemagne est éliminée par la modeste Norvège. Ulcéré, Adolf Hitler quitte la loge présidentielle et les joueurs, comme August Lenz, alignés ce jour-là n’ont plus guère eu droit aux honneurs de l’équipe d’Allemagne, ensuite renforcée par des joueurs autrichiens après l’annexion de l’Autriche.
Peu importe, August Lenz a pu se consacrer entièrement à son BVB. Il a également été le premier joueur « professionnel » du club. Techniquement, le professionnalisme était rigoureusement interdit dans le football à l’époque. L’attaquant vedette du Borussia travaillait donc à la presse à froid dans les aciéries Hoesch. Mais, dans ses grandes années de footballeur, son employeur se montrait plutôt compréhensif et « der blonde August » ne pointait qu’épisodiquement sa tignasse blonde au travail. Son job, c’était de marquer et de faire gagner le Borussia : en 1935-1936, il joue un rôle clé dans la promotion du BVB en Gauliga Westfalen, après avoir terminé en tête de la Bezirksklasse Dortmund et finit deuxième du tour de promotion derrière le SV Rothausen. Emmené par son attaquant blond, de petite taille (1,70m), mais très rapide, doté d’un bon jeu de tête, le BVB va s’établir parmi les meilleures équipes du Ruhrpott. En 1947, c’est la consécration, enfin : le Borussia Dortmund et August Lenz remportent leur premier trophée, le Westfalenmeisterschaft, contre Schalke. Comme capitaine, August emmènera encore deux fois le Borussia au titre de champion de Westphalie. Puis jusqu’en finale du championnat d’Allemagne en 1949. A 39 ans, August Lenz n’est pas titulaire lors de la finale et le BVB s’incline 3-2 après prolongations contre le VfR Mannheim à Stuttgart. Mais, au retour des héros, 200’000 fans attendent les vice-champions d’Allemagne sous le Dortmunder U pour les fêter et August Lenz prendra son accordéon pour entonner devant la foule le « wir halten fest und treu zusammen ».
Et fidèle il va le rester : après sa retraite en 1949, August Lenz va tenir un bar pendant 33 ans avec son épouse sur sa chère Borsigplatz. Et la coutume voulait que chaque assemblée générale du club se termine par l’hymne du club chanté par August Lenz. Officiellement, avec 555 matchs, Michael Zorc est le joueur le plus capé de l’Histoire du club. Mais c’est uniquement parce que les statistiques des années de Kreisliga ou de Bezirkslasse ne sont pas disponibles. Car les spécialistes estiment qu’en 31 ans de carrière, August Lenz a joué plus de 1000 matchs pour son Borussia Dortmund. Qu’il a porté du statut de club anonyme de l’Innenstadt-Nord, un modeste club régional comme il existait des centaines d’autres, à celui de grand d’Allemagne.
Si tu as raté le début:
2 commentaires
Logoz Christophe · 30/12/2018 à 16:08
Magnifique travail, Julien ce calendrier de l’avent des buts qui ont comptés, et pour certains probablement changé le destin du BVB ! ça a dû te demander un travail de recherche considérable tout ça, j’imagine ! Top !
Julien Mouquin · 31/12/2018 à 02:21
Maintenant tu dois tout apprendre on aura 8 heures de train avec les Jungs du FC St. Barth II, je te laisserai le soin de les instruire 😉