Dortmund est une ville totalement plate par sa topographie mais il ne faut pas s’éloigner beaucoup pour trouver des reliefs. Pour cela, il faut aller au sud de la ville, dans le Sauerland, une région de collines boisées où la Ruhr prend sa source. C’est là que se dresse l’un des cinq monuments naturels nationaux d’Allemagne : les Bruchhauser Steine.
J’ai découvert Dortmund pour le football, évidemment, mais, à force d’y aller régulièrement depuis quinze ans, j’ai aussi appris à apprécier la ville, bien moins vilaine et rébarbative que ne veulent la décrire certains préjugés tenaces. Toutefois, il manque une chose à Dortmund et au Ruhrpott en général : les montagnes ou du moins les reliefs. C’est plat, désespérément plat ! Les seules aspérités qui dépassent du paysage émanent de la main de l’homme : bâtiments, usines, cheminées, chevalements de mines, Fernsehturm, terrils de remblais, stades… En tant que Suisse, c’est toujours un peu choquant. J’ai plusieurs compatriotes qui sont allés vivre quelques mois à Dortmund ou dans les environs et ils ont tous fait le même constat: ce qui leur manquait le plus, c’était les montagnes (et accessoirement du fromage correct). J’ai l’habitude de me réveiller avec vue sur les sommets du Jura et des Alpes. Quand je vais faire mon footing, j’ai rapidement les 4000 mètres des Alpes bernoises ou valaisannes et leurs neiges éternelles, le Jura, les Préalpes fribourgeoises et vaudoises et même le Mont-Blanc à l’horizon. Rien de tout cela à Dortmund : c’est plat.
Cap au sud
Et si tu veux trouver du relief depuis Dortmund, inutile de partir vers l’ouest : la traversée de la plaine de la Ruhr, ce sont les mêmes paysages, le Rhin, le Niederrhein, tout est toujours aussi plat jusqu’à la frontière hollandaise. C’est encore pire vers le nord, on s’en rend compte à chaque fois que l’on va jouer à Brême, Hambourg, Hanovre ou Wolfsburg : le Münsterland, les plaines de Basse-Saxe, toujours un paysage uniformément plat, presque aucun relief entre Dortmund et la Mer du Nord, à part un petit peu du côté de Porta Westfalica et son impressionnant Kaiser-Wilhelm-Denkmal. Si tu veux trouver des montagnes ou. à tout le moins, des collines à Dortmund, c’est vers le sud qu’il faut mettre le cap. Il faut partir en direction d’Hagen et le paysage devient tout de suite plus accidenté. Et ensuite tu arrives dans le Sauerland.
Pour ceux qui ont l’habitude d’arriver à Dortmud en voiture depuis le sud de l’Allemagne, une fois que tu as contourné Francfort et que quittes l’A5 qui poursuit sur Kassel et Hanovre, tu empruntes la A45 pour Dortmund et tu traverses une région de collines boisées sur au moins 150 kilomètres, avec une interminable succession de ponts et de viaducs. C’est le Siegerland, le pays des vainqueurs, puis, en s’approchant de Dortmund, le Sauerland, le pays du sud (de Dortmund) ou pays ardu, il existe une controverse sur l’origine du nom.
Sauerland
La Sauerland, c’est donc cette vaste étendue de collines boisées qui s’étend au sud et sud-est de Dortmund. C’est là que prennent leur source la plupart des cours d’eau de la région, dont la Ruhr. Le Sauerland est traversé par une chaîne de montagnes, les Rothaargebirge, d’origine volcanique et datant de la période du Dévonien il y a 370 millions d’années. Les altitudes ne sont pas très élevées: les plus hauts sommets, le Langenberg (le point culminant de Nordrhein-Westfalen), l’Hegekopf et le Kahler Asten) s’élèvent entre 841 et 843 mètres au-dessus du niveau de la mer. Mais c’est une région qui bénéficie d’un enneigement généreux : comme ce sont les premiers vrais reliefs depuis la Mer du Nord, les nuages chargés de flocons venus de Scandinavie viennent buter sur les collines des Rothaargebirge.
On y trouve donc des vraies stations de sports d’hiver comme Winterberg ou Willingen (à ne pas confondre avec Villingen en Forêt-Noire) où s’organisent régulièrement des Coupes du monde de bobsleigh, luge ou saut à skis. Je n’ai jamais testé le ski dans le coin, j’imagine que la pente ne doit pas être vertigineuse et les descentes pas très longues mais c’est un fait : depuis Dortmund, tu peux te retrouver en moins d’une heure de voiture sur les pistes de ski !
Le Sauerland nord-westphalien se décompose en quatre cercles : le Kreis Soest, le plus près de Dortmund, le Kreis Olpe, au sud, le Märkische Kreis à l’ouest où se trouvent Altena, dont je t’ai déjà présenté le château, Iserlohn, la ville le plus peuplée de la région (un peu moins de 100’000 habitants), et Lüdenscheid. Lüdenscheid, c’est la ville d’origine de Nuri Sahin mais c’est aussi ainsi que les fans de Schalke désignent Dortmund : Lüdenscheid-Nord, sous entendant que Dortmund n’est même pas une ville mais juste la banlieue nord de Lüdenscheid, de la même manière qu’un fan du BVB ne parle jamais de Gelsenkirchen mais uniquement d’Herne-West. Enfin, il y a le Hochsauerland, la partie la moins peuplée et la plus montagneuse du Sauerland. En fait, il existe un cinquième cercle dans le Sauerland, le Kreis Waldeck-Frankenberg à l’est mais il ne fait déjà plus partie du Nordrhein-Westfalen mais de la Hesse.
Monument national naturel
Aujourd’hui, c’est dans le Hochsauerland que nous allons pour découvrir l’un des cinq monuments naturels nationaux d’Allemagne. Deux des cinq monuments naturels allemands se trouvent dans la région de Dortmund puisque le Kluterthöle d’Enneptal, une grotte remplie de fossiles préhistoriques, est également située dans le Sauerland.
Mais c’est des Bruchhauser Steine dont il est question aujourd’hui. Il s’agit de quatre gigantesques pierres qui se dressent au sommet d’une colline et surgissent au milieu de la végétation. Ces pierres se sont formées au fond d’une mer à l’époque du Dévonien, il y a 370 millions d’années, par des éruptions volcaniques puis, lorsque la mer s’est retirée, les roches alentours, formées d’argile, se sont érodées et seules ont subsisté les Steine, formées de roches volcaniques plus dures.
Pour atteindre les Bruchhauser Steine, il faut d’abord passer par Olsberg, charmante petite bourgade située sur le cours de la Ruhr.
On dit souvent que Ruhr rime avec football et on peut le constater à Olsberg.
Moins de dix kilomètres après avoir pris sa source sur les hauteurs de Winterberg, la Montagne de l’Hiver, la rivière Ruhr borde un premier stade: la Sparkassen-Arena, antre du TSV Bigge-Olsberg, pensionnaire de Kreisliga Hochsauerland Ost A, l’avant-dernière division du football allemand.
Les pierres
Puis nous arrivons au pied des pierres. Elles sont donc quatre à se dresser majestueusement, en blanc, au milieu de la verdure environnante. La plus grosse des pierres, c’est le Bornstein, un gros caillou de 92 mètres de hauteur et 5000m2 de superficie à la base, la pierre de la source car jadis une source se trouvait à son sommet.
Ensuite, il y a le Goldstein, la pierre d’or, en raison de la présence de quartz lui donnant une allure brillante. La troisième des Steine, c’est le Ravenstein, la pierre des corbeaux.
Et enfin, la dernière, la plus élevée, c’est le Feldstein, la pierre du champ, car son sommet, qui culmine à 756 mètres au-dessus du niveau de la mer, est aplati. C’est la seule pierre au sommet de laquelle il est possible d’accéder par un sentier dans la roche, un peu scabreux quand tu t’es arrêté au bar situé au milieu de la colline pour écluser une ou deux bières avant de poursuivre la brève mais pentue ascension. Mais enfin, nous avons fini par parvenir au sommet, orné d’une croix.
La vue valait l’ascension avec des kilomètres de forêts et de collines, entrecoupées de villages nichés au creux des vallées et de champs : il est difficile d’imaginer que nous ne sommes qu’à quelques encablures de la plaine la plus industrialisée d’Europe et de la région la plus densément peuplée d’Allemagne.
Un peu d’histoire
Aujourd’hui, c’est une réserve naturelle qui occupe la colline des Bruchhauser Steine et il n’est pas permis de s’éloigner des sentiers battus pour ne pas déranger la faune et la flore uniques du lieu. D’ailleurs, l’accès au site est limité et réglementé. Mais il n’en a pas toujours été ainsi: des fouilles archéologiques ont révélé des fondations de la plus vieille forteresse de Rhénanie du Nord-Westphalie, datant de 2500 ans avant Jésus-Christ, constituée de bois, de pieux et de roches ceinturant l’espace entre les quatre pierres pour en interdire l’accès à tout envahisseur potentiel. Plus tard, le site a également été utilisé comme temple celte, il n’est pas exclu qu’il s’agisse du sanctuaire détruit par le général romain Germanicus en l’an 14 après Jésus-Christ dont parle Tacite dans son Germanicus. En tous les cas, une animation 3D avec une jumelle permet de reconstituer entre les pierres la vue de l’antique forteresse dont il ne subsiste plus que quelques soubassements.
Schmalatal
Après avoir musardé au milieu de ce décor un peu surréaliste, l’heure vient de redescendre. En randonnée, je déteste descendre par le même chemin que celui par lequel je suis monté. Nous avons donc opté pour un itinéraire de traverse: le Schmalatal.
Ce n’était pas vraiment réfléchi mais le nom sonnait bien: Schmalatal, ça ressemble aux schala-la-la-la, schala-la-la-la-la que l’on entonne souvent au BVB et ça rappelle le Schal-la-la Tag qui était organisée jadis au Westfalenstadion, le jour de l’écharpe, où il s’agissait d’agiter encore plus d’écharpes dans le stade que d’habitude. Départ donc pour le Schmalatal. Au début, le sentier est sec puis l’eau commence à sourdre sous le chemin puis à se transformer en ruisseau, le Schmala, puis en lac, le Schmala-Stausee.
On apprendra plus tard qu’il s’agit de la ligne de démarcation des eaux entre les bassins versant du Rhin et de la Weser.
D’un côté, le ruisseau part se jeter dans la Weser puis dans la Mer du Nord du côté de Bremerhaven, de l’autre il rejoint la Ruhr avant de se jeter dans le Rhin à Duisburg et de finir sa course dans la Mer du Nord mais à Rotterdam. C’est un endroit charmant, complètement perdu au milieu de nulle part et quasi désert.
Cela a un inconvénient: il n’y a pas un Almhütte à des kilomètres à la ronde. Et forcément, quand tu choisis ton itinéraire de randonnée parce que « le nom sonnait bien », tu finis un peu par t’égarer.
Enfin, bref, il a fallu parcourir ces collines, avec en toile de fond les Bruchhauser Steine, pour finir par retrouver un semblant de civilisation, en l’occurrence la gare de Brilon-Wald où il doit passer environ un train par heure. Par chance, il y avait un hôtel à proximité où nous avons pu aller quémander quelques bières en attendant notre train pour rejoindre Winterberg puis Dortmund.
BVB au pays de la Veltins
Et puisque nous parlons de bières, je ne serai pas complet si je ne mentionnais pas que le Hochsauerland, c’est la patrie de la Veltins, la bière sponsor de notre ennemi juré Schalke, celle qui a donné son nom à la Turnhalle d’Herne-West. La Veltins (du nom de ses fondateurs) a été créée et est brassée dans le village de Grevenstein, à quelques kilomètres seulement des Bruchhauser Steine. Le Hochsauerland est une région magnifique qui mérite le détour mais il faut être préparé psychologiquement à se voir servir de la Veltins dans tous les bars. Ou alors de la Grevensteiner, c’est issu de la même brasserie mais le nom fait moins mal aux yeux.
Mais, si la bière locale est celle de notre ennemi juré, le Hochsauerland vote très majoritairement BVB ! Il faut dire que la région est un peu un désert footballistique. J’ai souvent expliqué que, dans les environs de Dortmund, il y avait un nombre incalculable de clubs, de stades et de matchs à voir, de Bundesliga, de Zweite Liga, de Dritte Liga ou de Regionalliga, c’est vrai à l’ouest (surtout), au nord et à l’est de la ville, en revanche beaucoup moins au sud. Entre Dortmund et Francfort, il existe une étendue d’environ deux cent kilomètres sur cent sans le moindre club appartenant aux quatre premières divisions du foot allemand. Les clubs les plus connus de la région sont le VfL Gummersbach, l’un des grands clubs historiques du handball allemand, les Iserlohn Roosters, appartenant à la ligue fermée de hockey sur glace, la DEL, le SC Willingen, qui a surtout fourni des sauteurs à ski et biathlètes de haut-niveau, ou le BSC Winterberg, qui cumule les médailles mondiales ou olympiques en bobsleigh, skeleton ou luge.
C’est donc avant tout une région de sports d’hiver; pour le football c’est un peu le néant. Il y a bien les Sportfreunde Siegen, club d’où viennent notre légende Nobby Dickel, Florian Kringe et Patrick Helmes, l’ancien buteur du 1. FC Köln. Mais, si les amis du sport ont fait quelques apparitions en Zweite Liga, ils galèrent actuellement en Oberliga Westfalen. C’est donc naturellement que le Hochsauerland se tourne vers le Borussia Dortmund.
Karli, qui possède l’abonnement à côté des miens et avec lequel j’assiste à tous les matchs depuis dix ans, vient d’Olsdorf, près d’Olsberg, et il m’a souvent vanté les mérites de sa région. Il suffit de voir les drapeaux dans les jardins ou aux fenêtres, les autocollants sur les voitures pour comprendre que le pays de la Veltins a le cœur jaune et noir ! D’ailleurs, à chaque match au Westfalenstadion, des trains spéciaux amènent les fans depuis Winterberg, Brilon ou Soest directement à la gare du stade. Donc, si tu veux faire de la randonnée en terrain jaune et noir conquis, c’est soit à Bad Ragaz, soit dans le Hochsauerland qu’il faut aller.
3 commentaires
Ch. Logoz · 02/04/2020 à 15:55
Merci Julien, pendant cette absence de football pénible à vivre, de prendre le temps de divertir ton lectorat avec ces présentations historico-géographiques très intéressantes ! Super chouette !
Julien Mouquin · 02/04/2020 à 17:09
Tu connais déjà un peu le Sauerland: c’est les ponts pleins de travaux qu’on traverse avant d’arriver à Dortmund. Là où l’on s’énerve contre les limitations à 80km/h et où ta voiture tombe en panne. C’est plus sympa en randonnée, on ira une fois qu’on pourra retourner au Westfalenstadion.
Ch. Logoz · 02/04/2020 à 19:12
Je t’assure que donnerais cher actuellement, pour m’énerver contre les limitations à 80 km/h sur les ponts dans le Sauerland, plutôt que d’être confiné à la maison ! 😉
Volontiers pour la randonnée, cool merci, me réjouis de combiner ça avec un match au Westfalenstadion (prions) !