Antoni Gaudi et Lucien Favre ont sans doute en commun le même souci du détail. Et, à l’image de la célèbre cathédrale barcelonaise, le BVB est actuellement une œuvre inachevée. Le résultat, c’est une équipe complètement désorientée, qui se retrouve à jouer une possession de balle stérile que ses fans ont toujours détesté, et qui se fait piéger sur ce qui fit naguère sa force, un pressing agressif et des projections très rapides vers l’avant. Un comble à Barcelone !
Il y une décennie, une véritable tyrannie s’abattait sur la planète football. Les succès de l’équipe d’Espagne et du FC Barcelone ont érigé en dogme absolu la possession de balle, la multiplication des passes jusqu’à la nausée et le jeu court jusqu’à trois mètres du but. La mode du tiki-taka a envahi le monde et ses partisans, surtout les néo-convertis, nous ont rabattu les oreilles que c’était la seule manière de bien jouer au football et le beau jeu absolu. Oubliant savamment de préciser que les succès obtenus par ces méthodes n’étaient pas dû qu’à des considérations tactiques mais qu’ils étaient portés par des joueurs d’exception au sommet de leur art mais aussi par des éléments moins avouables comme la simulation à outrance ou des cadeaux d’arbitrage à répétition. S’il y a un pays qui est toujours resté réfractaire à cet autoproclamé « beau jeu et seule manière de bien jouer au football », c’est bien l’Allemagne. Malgré le succès relatif qu’il a pu y engranger, Josep Guardiola a eu de la peine à faire passer son système auprès des pourtant très dociles clients bavarois. Et, ce n’est pas la seule raison, mais depuis que Jögi Löw s’est mis en tête de s’inspirer des dogmes catalans, l’équipe d’Allemagne joue des matchs de qualification décisifs devant des stades à moitié vide alors que, quelques années plus tôt, les billets s’arrachaient des semaines à l’avance pour le moindre amical sans intérêt. Forcément, au pays du Sonntagschuß, du Kampffußball, des Bomber et des Biergarten, redoubler des passes à l’infini et ne jamais tirer au but à moins de 12 mètres du goal, ça ne passe pas. Et ce tiki-taka qu’on voulait nous imposer comme beau jeu absolu a surtout été vu en terres germaniques comme le symbole d’ennui absolu et de la mort des émotions et du combat que nous recherchons dans le football.
Le phénomène de rejet était particulièrement fort dans le Ruhrpott, terre de mineurs où l’abnégation, l’engagement et le travail ont toujours eu beaucoup plus de place que les entrechats de quelques artistes et autres danseuses. Cela tombe bien : c’est là que s’est matérialisée la contre-révolution. En fait, elle avait été théorisée, bien avant l’avènement du Barcelone de Guardioa ou de l’Espagne de del Bosque, dans les séries inférieures allemandes par un entraîneur méconnu, Wolfgang Frank. Son dogme à lui, c’est qu’il ne servait à rien de posséder le ballon, il fallait laisser le jeu à l’adversaire pour récupérer la balle grâce à un pressing très agressif et ensuite aller le plus vite possible en direction du but. Ses disciples, Ralf Rangnick à Hoffenheim mais surtout Jürgen Klopp au Borussia Dortmund, ont porté cette théorie au sommet.
Et, en pleine dictature du tika-taka, nous n’avons pas boudé notre plaisir à remporter des titres avec le plus souvent moins de possession de balle que l’adversaire mais un jeu verticalisé à l’extrême et, au final, de notre point de vue, éminemment plus spectaculaire que d’enchaîner 45 passes sans avancer d’un mètre. Dans un premier temps, les zélateurs barcelonais nous ont expliqué « c’est très joli ton truc mais ça ne marche qu’avec les faibles défenses de Bundesliga, regarde ton BVB a fini dernier d’un groupe de Ligue des Champions avec Marseille et Olympiakos », on l’a entendu des dizaines de fois. En avril 2013, toute l’Europe s’attend donc à une finale de Königsklasse « idéale » entre Barcelone et le Real Madrid. Même le président de l’UEFA, Michel Platini, se départissant du devoir de réserve qui sied à sa fonction, l’appelait de ses vœux et un immeuble à côté du stade de Wembley avait déjà été décoré « El Clasico ». Mais le 23 et le 24 avril, stupeur : le Bayern Munich, la copie de Jupp Heynckes, fortement inspiré par Jürgen Klopp après avoir perdu la finale de Pokal 2012 5-2 avec plus de 60% de possession de balle, et l’original, le BVB de Jürgen Klopp, démontent les deux géants du football espagnol 4-0 et 4-1 en deux demi-finales d’anthologie qui marquèrent le triomphe du Gegenpressing et du Vollgas-Fußball sur le tiki-taka. Six ans plus tard que reste t’-il de cette révolution ? Le BVB va perdre à Barcelone en multipliant les possessions de balle stériles et en se faisant piéger sur deux pressings adverses et deux projections catalanes hyperrapides vers l’avant. Au-delà de la défaite, c’est peut-être cette inversion des rôles et le fait de nous voir cantonner dans un schéma de jeu que nous avons toujours réfuté qui nous a le plus dérangé à Barcelone. Fin de la pseudo-démonstration, on commence à parler de bières ?
Méthode Coué
On ne le répètera jamais assez mais être supporter, c’est parfois une profession de foi. Et de la foi, il en fallait une sacrée dose pour entreprendre le déplacement face au grand FC Barcelone en espérant autre chose qu’une défaite quatre jours après la pantalonnade contre Paderborn. C’est vrai, pourquoi une équipe qui se fait tourner autour pendant plus d’une mi-temps par Streli Mamba, Gerrit Holtmann ou Kai Pröger devait-elle craindre quelque chose de Lionel Messi, Antoine Griezmann ou Luis Suarez ? En mode méthode Coué, on se rassure en nous disant que notre équipe a peut-être pris de haut le néo-promu est-westpahlien mais qu’elle a toujours su se sublimer cette saison dans les grandes occasions à l’extérieur comme à Milan, Herne-West, Munich… Passons. Malgré ces auspices plutôt sinistres, le peuple jaune a entrepris le déplacement de Catalogne en masse. Quand je débarque à Barcelone la veille du match au soir, je n’avais même pas encore trouvé mon hôtel que j’avais déjà croisé deux groupes de potes fans.
Difficile de voyager incognito en mode Borussia Dortmund International. Encore moins quand on finit dans un pub arborant un drapeau du BVB devant son entrée… Quelques cervezas plus tard, nous avons fini par tous nous persuader que l’exploit était possible.
L’art de la guerre
Jour de match ! Après nos derniers déplacements germaniques un peu frisquets, on profite du soleil, de la mer, des palmiers et de la température agréable de Catalogne.
Dès le matin, le métro indique déjà la direction du stade aux fans jaunes et noirs qui déferlent sur la capitale indépendantiste.
Mais il est un peu tôt et, en bon Helvète que je suis, je ne puis résister à la tentation d’une ascension en télécabine direction la colline de Montjuïc.
Dans les entrailles du château se tenait une exposition intitulée l’Art de la Guerre, consacrée au stratège chinois du VIème siècle Sun Tzu. Soit l’art de vaincre sans combattre. On sait que Lucien Favre n’a guère de temps à consacrer au tourisme lors de nos déplacements européens (ni à Dortmund d’ailleurs) mais il aurait peut-être dû venir s’inspirer des maximes exposées contre les murs du Castell de Montjuïc. Parce qu’en ce moment, on a parfois l’impression que nos Jungs pratiquent plutôt l’art de perdre sans combattre.
Après ces quelques réflexions hautement philosophiques, je suis invité par un fan dortmundois exilé à Barcelone dans un bar à tapas (Tatin Bistro, très sympa), près de la Sagrada Familia. Ensuite de quoi, il est gentiment l’heure de partir pour le stade. J’ai l’honneur d’effectuer le trajet, au milieu des embouteillages barcelonais, en compagnie d’une espèce en voie de disparition dans les travées du Camp Nou : un authentique socio du Barça !
Cocaïne Nou
Malgré la réputation peu flatteuse de la police espagnole, l’entrée au stade se fait sans encombre et même dans la bonne humeur. Ma boîte de tabac à priser les interpelle un peu, je leur réponds « only Cocaine ». Tout le monde rigole et je peux entreprendre l’ascension du Gästeblock, perché tout en haut du stade, derrière un filet de protection. Pour des billets à 70€, ça frise le racket, c’est triste ces clubs qui ne vivent que pour le fric.
C’était une première pour le BVB au Camp Nou et pour beaucoup de mes potes l’occasion de découvrir le plus grand stade d’Europe. Pour y être déjà allés une dizaine de fois auparavant, je les avais prévenu de ne pas trop se réjouir : ce stade est impressionnant par sa taille mais c’est à peu près tout ce qu’il a pour lui. Peut-être que ça satisferait une nymphomane mais pour la ferveur on repassera. 90’071 spectateurs en ce mercredi mais on n’a entendu que les 6’000 Borussen durant tout le match. Pour le reste, le néant : quelques exclamations admiratives sur les buts, un ou deux « Messi, Messi », un « Barça, Barça » en deuxième mi-temps, sinon un public d’opéra, en bonne partie composé de touristes.
Sancho-Dembelé, même combat ?
Jadon Sancho est une fois de plus écarté du onze de base en raison de nouveaux écarts de comportement. Le prodige anglais semble de plus en plus décidé à marcher sur les glorieuses traces d’Ousmane Dembelé. Justement, le gréviste français (pléonasme…) était aligné d’entrée par Barcelone, nous n’avons pas manqué de le conspuer allégrement à chaque prise de balle pour lui faire part de notre reconnaissance sur la manière dont il a nous a quitté. Il finira rapidement par sortir sur blessure. Le karma : la plupart des joueurs qui nous ont laissé tomber ces dernières années n’ont fait que voir leur carrière décliner après leur départ de la Ruhr. A méditer pour les prochains fuyards…
Le BVB s’est créée la première occasion, une double occasion même, par Nico Schulz, reconverti ailier gauche, mais le sens du but n’est pas vraiment sa qualité première, Le transfuge d’Hoffenheim le prouvera quelques minutes plus tard en galvaudant un caviar d’Hakimi ; il y avait hors-jeu certes mais, avec cette règle débile consistant à laisser se poursuivre l’action avant de revenir des plombes plus tard sur la position illicite, on y a cru. Mais ce seront bien nos seuls frémissements de la soirée.
Inter, Barcelone, même combat
Car Barcelone n’a pas eu à forcer son talent pour faire la différence. Nos Jungs ont tenu à marquer l’approche de l’Avent en offrant deux cadeaux aux Blaugranas, Mats Hummels en particulier. Une mauvaise relance de notre n°15 suivi d’un renvoi malheureux dans l’axe de Manuel Akanji, cela pardonne rarement face au duo Messi – Suarez et cela fait 1-0. Rebelote quelques minutes plus tard, une relance calamiteuse d’Hummels, on retrouve le même duo mais dans l’ordre inverse, 2-0. L’ADN de l’Inter Milan, le club historique d’Helenio Herrera et d’Antonio Conte aujourd’hui, est bien différent de celui du Barcelone de Johann Cruyff et désormais Ernesto Valverde mais au final on a l’impression de vivre un peu le même match qu’à San Siro. Le BVB fait un match appliqué, joue à la baballe mais oublie complètement d’être méchant et décisif dans les vingt derniers mètres devant chaque but. Là où se font les différences.
Et l’adversaire n’a même pas besoin d’imposer son jeu, il suffit de neutraliser un BVB relativement inoffensif devant et d’attendre les inévitables erreurs derrière pour faire la différence. Barcelone est sans doute intrinsèquement supérieur au Borussia, nous l’admettons volontiers. Mais on aimerait voir nos Jungs compenser leur supposée infériorité par cet engagement, cette hargne, cette volonté qui ont longtemps formé l’ADN du club et lui ont permis de forger ses plus grands succès, y compris contre des adversaires censément nettement supérieur, du Benfica d’Eusebio au Real de Ronaldo en passant par le Liverpool de Shankly, la Juventus de Zidane ou le Milan d’Ancelotti. Ce pressing agressif sur les relances adverses pour ensuite filer au but, nous aurions voulu voir nos Jungs l’exercer et non pas le subir nous-mêmes. Aligner les passes latérales stériles et se faire piéger après deux contres au Camp Nou sur le pressing adverse, c’est quand même un peu l’arroseur arrosé. En soi, perdre à Barcelone n’a rien d’infamant, c’est la manière qui dérange davantage.
L’essai en 3-4-3
L’affaire sera close en milieu de deuxième mi-temps lorsque Lionel Messi parcourt une trentaine de mètres balle au pied pour servir sur un plateau le 3-0 à son « pote » Griezmann. Sans être vraiment inquiété. C’est vrai, cet Argentin est un jeune qui débute, on ne pouvait pas deviner que ce petit bonhomme a un peu de talent… Ironie mise à part, Lucien Favre a passé en 3-4-3 en deuxième mi-temps. Le système, également tenté à Berlin trois jours plus tard est prometteur mais il a un inconvénient : le manque de filtrage à mi-terrain, le troisième but blaugrana mais aussi l’expulsion d’Hummels à l’Olympiastadion l’attestent. C’est un problème à résoudre si l’on veut persister dans cette voie-là. Face à un Barça qui a clairement levé le pied, le BVB va se retrouver à plus de 70% de possession de balle dans les vingt dernières minutes. Au Camp Nou ! Mais sans véritable esprit de révolte. Un double exploit de Julian Brandt et Jadon Sancho nous permet de sauver l’honneur. Nous aurions même pu revenir à 3-2, sans doute trop tardivement pour remettre en cause le succès catalan, lorsqu’une frappe de Sancho s’est écrasée sur la latte au terme d’une magnifique action collective sur laquelle nous avons clairement reconnu la patte de Lucien Favre.
Au milieu du gué
Mais pourquoi nous n’arrivons que si rarement à produire de telles actions ? Sans doute parce que nous ne parvenons pas assez souvent à récupérer suffisamment haut dans le camp adverse ou qu’il y a toujours une ou deux passes parasites avant de partir vers l’avant, laissant trop de temps à la défense adverse pour se remettre en place. Le jeu de Lucien Favre nous fait penser à la cathédrale de Gaudi mentionnée ci-dessus : une œuvre inachevée. Le Suisse a débarqué à Dortmund à l’été 2018 en pleine période « back to the Roots », soit la promesse d’Aki Watzke et Susi Zorc que dorénavant il ne serait plus question de viser des titres à court terme mais que notre nouvel entraîneur aurait du temps pour reconstruire quelque chose et réinventer notre jeu. En ce sens, Lucien Favre était le candidat idéal car il a prouvé dans tous les clubs où il est passé sa capacité à faire progresser un groupe collectivement et individuellement. Et il l’a encore démontré l’automne passé. Tellement bien que nos dirigeants en ont un peu oublié leur bonne résolution « back to the Roots » quand nous nous sommes retrouvés largement en tête de la Bundesliga.
Et depuis que le Meisterschale est redevenu une obsession, je dirais depuis le 3-3 contre Hoffenheim, notre équipe ne progresse plus vraiment, elle joue chaque week-end dans l’urgence et sous la pression du résultat. Du coup, nous nous retrouvons avec un jeu inabouti : nous nous sommes éloignés de nos racines et de notre ADN d’un football de combat pour passer à quelque chose qui se voulait plus élaboré mais qui reste un chantier permanent qui avance aussi lentement que le Sagrada Familia, faute de patience et de temps. Nous sommes en quelque sorte au milieu du gué et dès lors trop facilement emportés par le moindre courant contraire. Je pense néanmoins qu’il faut poursuivre dans cette voie plutôt que repartir une fois de plus d’une page blanche avec un nouvel entraîneur. Mais à condition de pouvoir montrer plus d’envie, d’intensité et de conviction. Car, finalement, Paderborn ou Barcelone, c’est toujours la même vérité : c’est dur de gagner un match de football quand tu ne remportes pas les duels.
Retrouver son ADN
Au lendemain de cette défaite 3-1 logique mais un peu amère dans l’attitude de nos Jungs, les maillots jaunes sont beaucoup moins nombreux à Barcelone mais je profite encore un peu du soleil et des terrasses.
Surtout en sachant que 48 heures plus tard, je me retrouverai dans le congélateur de l’Olympiastadion à Berlin. En passant d’un bar à l’autre, je tombe fortuitement sur la magnifique basilique de Santa Maria del Pi et son célèbre vitrail. Je ne suis pas croyant mais on ne sait jamais : à tout hasard, j’allume quelques cierges en souhaitant que notre équipe retrouve son ADN et, ça suivra logiquement, le chemin de la victoire.
Parce que le BVB que l’on veut voir n’est pas celui qui alignait les passes latérales sur la pelouse du Camp Nou.
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