Les Allemands adorent les fêtes à la saucisse. Sauf que le week-end dernier à Dortmund, durant quatre jours, c’est l’inimitable Pfefferpotthast qui remplaçait la saucisse pour célébrer la victoire il y a 640 ans contre les envahisseurs du Comte de la Mark. Bon appétit !  

Pour la vingt-cinquième année, Dortmund organisait sa traditionnelle Pfefferpotthastfest. Des tentes avaient été dressées sur l’Alter Markt, les décorations automnales étaient de sortie, une scène accueillait des concerts au pied de la Renoldikirche dans un seul but : célébrer pendant quatre jours, du jeudi au dimanche, le Pfefferpotthast, un plat traditionnel westphalien, l’une des grandes spécialités de Dortmund.

L’origine

Et pourtant, le Pfefferpotthast a bien failli causer la perte de la ville au XIVème siècle. A l’époque, Dortmund était une ville libre impériale qui causait la convoitise de son puissant voisin : le Comte de la Marck, lequel contrôlait toute la région alentours : de Soest à l’est à Bochum et Hattingen à l’ouest, de Hamm au nord à Meinerzhagen et Gummersbach au sud. En 1378, le Graf Engelbert III. von der Mark s’est donc mis en tête de conquérir la puissante ville marchande qui échappait à son contrôle et qui à l’époque, déjà, constituait le deuxième producteur mondial de bière. Bierstadt Dortmund !

Le Comte Engelbert a voulu jouer les apprentis Ulysse et a tenté de prendre la ville par la ruse. Pour ce faire, il a requis les services d’une noble veuve de la ville Agnes von der Vierbecke, une amie de son frère. Le 4 octobre 1378, la Dame von der Vierbecke s’est donc présentée devant Dortmund avec des chars à foin où étaient dissimulés des mercenaires brandebourgeois à la solde du comte qui devaient prendre la ville de force. Elle a fait ouvrir l’une des portes extérieures de la ville, Wißstraßentorturm et l’a coincée avec un char à foin pour empêcher les défenseurs de Dortmund de la refermer. Elle a ensuite envoyé le garde, Hermann Rübenkamp, qu’elle connaissait, chercher de la viande et des poivrons pour le distraire. C’est l’origine du Pfefferpotthast.

Pendant l’absence du garde, les mercenaires ont tenté d’envahir Dortmund mais ils n’avaient pas prévu que la porte intérieur de la ville, elle, serait fermée. Le bruit qu’ils ont fait en tentant de la briser ont rameuté les défenseurs de la ville et les envahisseurs du puissant Comte de la Marck ont été massacrés jusqu’au dernier. Quant à la traîtresse Agnes von der Vierbecke, elle a été jugée sur le champ et brûlée vive sur l’Alter Markt, pendant que son complice involontaire, le garde Rübenkamp, y était décapité. Oui, là même où se trouvent aujourd’hui la Thier Brauerei zum Alten Markt, le Karstadt Sport, le Wenkers, le Thüringer, le Cotton’s, le Maximilian, le Bierhaus Stade, le Pfefferkorn n°1 am Markt et l’un des Fanshops du BVB, lieux bien connus de tous les fans du Borussia. C’est donc pour célébrer cet événement et cette victoire sur l’envahisseur que, chaque début octobre, Dortmund fête le Pfefferpotthast sur l’Alter Markt.

La recette

Pfefferpotthast, c’est un nom composé de trois mots, soit Pfeffer, le poivre, Pott, le pot unique dans lequel sont mélangés les différents ingrédients, et Hast, qui représente le morceau de viande de porc qui constitue l’ingrédient principal du Pfefferpotthast. Il existe plusieurs variantes mais le Pfefferpotthast se compose donc de ragoût de porc, de saindoux, d’oignons, de feuilles de laurier et de clous de girofles. Des piments et des câpres peuvent également y être joints. On fait mijoter le tout jusqu’à ce que la viande devienne tendre et que le reste des ingrédients se transforment en sauce. C’est servi, selon les saisons, avec des pommes de terre, de la betterave rouge ou, plus simplement, de Pumpernickel, le pain de Westphalie, ou de pain noir. Vous avez l’eau à la bouche, on passe à la dégustation ?

La dégustation

En parcourant les différentes tentes de la fête, j’aperçois assez peu de Pfefferpotthast sur les tables mais plutôt des Schnitzels, des Mettwürstchen ou des Räuchermatjes, je trouve cela un peu suspect : c’est si terrible que cela, le Pfefferpotthast, pour que, même à la fête en son honneur, on rechigne à en manger ? Mais on aime les traditions ou on ne les aime pas, et puis il faut savoir vivre d’expérience. Je commande donc le fameux Westfälischer Pfefferpotthast. Moins de cinq minutes plus tard, je me retrouve avec devant moi une assiette de bouillie brûnatre dans laquelle flotte quelques morceaux de ragoût et un légume qui devait être de la rave. Ce n’est pas peu dire que l’aspect est peu ragoûtant. J’avale deux généreuses gorgées de Kronen, la bière locale qui sponsorise l’événement, pour me donner du courage. La première bouchée est assez terrible, je suis indécis de repousser mon assiette. Mais finalement, on s’y fait et ce n’est somme toute pas si mal : à la longue, le poivre et les épices donnent un goût pas désagréable à la viande et à la sauce (par contre, pour l’haleine le reste de la journée….). Bref, si je ne vais pas me relever la nuit pour le Pfefferpotthast c’est, malgré son aspect peu engageant, quelque chose de tout à fait mangeable, à refaire (mais pas trop souvent quand même). J’avais déjà eu l’occasion de fêter deux Meisterschale sur cette place de l’Alter Markt, là même où la traîtresse Agnes von der Vierbecke et le peu fiable Hermann Rübenkamp ont été brûlés et décapités pour avoir voulu causer la perte de Dortmund, j’y ai désormais également célébré le Pfefferpotthast. Je suppose que cela fait partie du parcours initiatique pour devenir un vrai Dortmunder.


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