Dimanche, Borussia Dortmund – Eintracht Francfort, c’est le 3ème contre le 4ème du classement. Il y a cinq ans, c’était le 2ème contre le 4ème et cela s’était passé comme dans un rêve. Mieux même en fait : car, même dans nos rêves les plus fous, nous n’aurions jamais imaginé qu’avec nos médiocres qualités de footballeurs, nous pourrions un jour avoir la chance de vivre une entrée des joueurs sur la pelouse du plus beau stade du monde devant 80’000 spectateurs… Frissons garantis !!!

Ce délire est parti dans un bar de la lointaine et magique Donetsk. Je sympathise avec quelques fans du Borussia Dortmund, on écluse quelques bières en devisant sur notre passion commune pour notre club préféré. Mon sacerdoce d’assister à presque tous les matchs d’un club situé à 720 kilomètres de mon domicile a dû les impressionner car l’un d’entre eux, Thomas, me demande : « Cela te dirait d’aller sur le terrain avec un drapeau samedi avant le match contre Francfort ? » Je n’allais évidemment pas refuser même si je n’y croyais pas trop. Toujours est-il que le rendez-vous est pris et, que quatre jours plus tard, on se retrouve dans les entrailles de la plus grande tribune places debout du monde, la Südtribüne du Westfalenstadion. « Toujours partants ? », demande Thomas. Bien sûr que nous sommes toujours partants.

Bleib ruhig !

Cela n’a l’air de rien mais agiter ces drapeaux demande toute une organisation, menée par des messieurs et dames d’un certain âge qui doivent faire cela depuis des lustres. Chaque drapeau est soigneusement choisi, inspecté, déplié, replié, l’emplacement de chacun est déterminé avec soin et le timing minuté avec une précision toute helvétique. En tant que néophytes, on nous assigne la place « la moins exposée », devant les tribunes ouest et nord. Cela nous permet de longer tout le terrain avec notre drapeau respectif, de passer à un mètre des joueurs du Borussia à l’échauffement, de faire un signe amical à Blaszczykowski au passage puis d’arriver à côté des arbitres et des joueurs de l’Eintracht Francfort. Les consignes sont simples : dès que le dernier joueur quitte l’échauffement, on s’avance sur le terrain jusqu’à la hauteur du point de pénalty et on commence à agiter le drapeau aux premières notes du You’ll Never Walk Alone jusqu’à ce que les équipes soient de retour, alignées dans le rond central pour le coup d’envoi. Les joueurs du BVB quittent les premiers la pelouse, nos collègues en face prennent position, ceux de l’Eintracht s’éternisent un peu. C’est l’occasion d’un dernier regard un peu envieux vers mon Block 85 chéri, perdu tout là-haut à côté de l’immensité de la Südtribüne, dans lequel je pourrai être tranquillement en train de siroter une bière avec Grzegorz, Karly, Christoph et les autres plutôt que d’être là, anxieux, accroché à une hampe de six mètres de hauteur au bout de laquelle flotte un morceau de tissu qui doit bien faire quatre mètres sur quatre. 80’000 personnes et cinq millions de téléspectateurs nous regardent, me glisse Thomas, « doch, bleib ruhig ».

De l’art de s’emmêler le drapeau

Ruhig, je ne l’étais pas trop, lorsqu’il a fallu s’avancer dans le terrain, que les premières notes ont retentit et que 75’000 écharpes se sont tendues autour de nous. La première minute se passe sans trop d’encombres mais, ensuite, le stress, l’émotion, ma maladresse congénitale et les bières bues la nuit précédente dans le car avec les potes du Confœderatio Helvetica Borussia puis l’après-midi au Strobels devant la Konferenz me font emmêler un peu le drapeau autour de son mat. « Tu vas trop vite », explique Thomas. Je jette un coup d’œil jaloux vers ma camarade d’aventure, Déborah, qui s’en tire manifestement mieux que moi. Mais, assez vite, je reprends le contrôle de la situation et mon drapeau s’agite plus ou moins harmonieusement vers la nuit sans étoile du Ruhrpott. Sur les vidéos ici et , on est en jaunes (surprise…), tout en bas de l’écran et du terrain, de part et d’autre de la ligne des seize mètres.

Les petits Suisses

You’ll Never Walk Alone, la Mannschaftsaufstellung du BVB scandée par le speaker Nobby « der Held von Berlin » Dickel et reprise en cœur par tout le stade, Am Borsigplatz geboren, AC/DC, l’entrée des joueurs, Heja BVB, tout le rituel d’avant-match y passe. Cela doit durer dans les huit minutes, qui en paraissent à la fois deux et cent, entre la félicité du moment et un drapeau qui fait de plus en plus son poids. Les bras commencent à brûler méchamment mais, portés par les 80’000 fans, on tient le coup jusqu’au signal du pas de course qui nous permet d’évacuer le terrain, partagés entre soulagement, regrets, fierté et bonheur. En quittant la pelouse, le sourire vissé jusqu’aux oreilles, on échange un regard avec Déborah : porte-drapeaux, même éphémères, du club le plus populaire de la planète devant 80’000 supporters dans le plus beau stade du monde, les petits Suisses ont fait du chemin. Elle, à l’époque groupie adolescente qui a flambé ses dernières économies pour monter à Dortmund afin d’admirer le physique avantageux (ou la qualité de centre) d’un latéral suisse mais qui n’est tombée amoureuse que de la Südtribüne et du Borussia Dortmund. Moi, à une époque encore un peu plus lointaine, supporter de foot perdu qui sillonnait l’Europe à la recherche de grands matchs, qui un jour ai dit à un pote « si on un essayait Dortmund pour changer, je suis fan depuis l’époque de Chappi mais je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller, maintenant ils sont nuls mais il paraît que le stade est pas mal » et qui, après avoir constaté que l’équipe était effectivement nulle, suis aussi tombé amoureux de la Südtribüne et du Borussia Dortmund.

En live du bar

Toute médaille a son revers : on est en Allemagne, donc une fois sortis du terrain, il faut replier bien soigneusement son drapeau et le remettre exactement à sa place. Résultat : on rate le début de match et on arrive tout juste au bar lorsqu’une ouverture d’Ilkay Gündogan et une déviation lumineuse de Mario Götze permettent à Marco Reus d’aller ouvrir le score. On se précipite dans la tribune pour aller scander le nom du buteur avec Nobby puis on retourne au bar revoir le but au ralenti et chercher une bière (enfin, des bières…). Du coup, on rate aussi la montée de Mats Hummels et son ouverture dont profitera Marco Reus pour aller battre une nouvelle fois Kevin Trapp. 2-0 après dix minutes, ce match au sommet entre le deuxième et le quatrième du classement, décisif pour une qualification directe en Ligue des Champions, ne pouvait mieux commencer.

Malheureux Schieber

Mais, en ce moment, le Borussia Dortmund a l’art de se compliquer les choses. En l’occurrence, c’est de Julian Schieber que vont venir les complications. Guère utilisé depuis le début de la saison, le jeune attaquant allemand voulait profiter des trois matchs de suspension infligés à Robert Lewandowski pour prouver qu’il méritait plus de temps de jeu. Las, en voulant trop en faire, il écope de deux avertissements en cinq minutes, un pied qui traîne un peu retard, un coude un peu haut, rien de bien méchant mais deux jaunes logiques même si au total l’expulsion paraît sévère. On est vraiment malheureux pour lui. Dès lors, on craint de revivre le scénario des matchs contre Wolfsburg et Hamburg, perdus par le BVB après que ce dernier ait ouvert le score puis subi une expulsion. Le dernier quart d’heure de la 1ère mi-temps semble confirmer nos craintes : Kuba manque le 3-0 et, derrière, Francfort se fait très menaçant. Il y a plusieurs ballons chauds devant le but dortmundois, le plus dangereux lorsque Rode croise trop son tir seul devant Weidenfeller. Au moins, l’avantage de la situation, c’est que le public fait bloc derrière son équipe et l’ambiance devient complètement survoltée, surtout qu’il existe quelques vieux contentieux entre supporters dortmundois et francfortois.

Marco Reus est magique

Durant la mi-temps, Jürgen Klopp trouve les solutions pour repositionner son équipe et compenser l’infériorité numérique. La manière dont un BVB réduit à dix a surclassé après la pause un Francfort, quatrième du classement et restant sur une très bonne série, est impressionnante. Il n’y aura qu’une frayeur, une reprise à côté de Lakic, mais sinon la maîtrise jaune et noire est totale. Un tir de Subotic est dévié sur la latte et c’est finalement un solo magnifique de Mario Götze qui amènera le 3-0 libérateur signé Marco Reus pour le triplé. Fort heureusement, Marco n’a pas suivi les conseils avisés que lui a prodigué l’ex-footballeur aux pieds carrés de 5e ligue que je suis lors de notre rencontre impromptue dans les rues de Donetsk. Finalement, à défaut d’avoir séduit une beauté locale, j’aurai quand même fait des rencontres intéressantes à ce Donetsk. Et accessoirement, paraît-il, passé sur Sport 1 en train de chanter Heja BVB devant la Donbass Arena.

Des paillettes plein les yeux

Il ne s’est pas passé grand-chose dans la fin de match, sinon deux cartons jaunes pas anodins. L’un parce qu’il a valu l’expulsion au Japonais Inui pour deux avertissements, l’autre parce qu’il a mis fin à une série de 49 matchs de Bundesliga sans carton pour Mats Hummels. Pour un défenseur central, c’est monstrueux et ça illustre la classe immense du bonhomme. Avec cette victoire (presque) sans histoire, le BVB conforte sa deuxième place et prend un peu ses distances avec son adversaire du jour. Dès lors, il était difficile d’imaginer que cette journée mémorable ne se termine autrement qu’en dansant sur la scène de l’Anton’s Bierkönig. Mon ami Andrej n’a toujours pas enlevé son maillot, on ne voit donc pas les paillettes sur lui, par contre elles scintillent sur mon polo fuchsia. Mais, en fait, c’est surtout dans les yeux qu’on avait des paillettes, depuis une certaine escapade sur le terrain du Westfalenstadion que l’on n’est pas prêts d’oublier.

Borussia Dortmund – Eintracht Francfort 3-0 (2-0).

Signal Iduna Park, 80’500 spectateurs.

Arbitre : M. Brych.

Buts : 8e Reus (1-0), 10e Reus (2-0), 65e Reus (3-0).

Dortmund : Weidenfeller; Piszczek, Subotic, Hummels, Schmelzer; Gündogan (89e Sahin), Bender; Blaszczykowski (66e Grosskreutz), Götze (82e Leitner), Reus; Schieber. Entraîneur: Jürgen Klopp.

Francfort: Trapp; Jung, Zambrano, Anderson, Oczipka; Schwegler, Rode (80e Celozzi); Aigner (60e Occean), Meier, Inui; Lakic (78e Matmour). Entraîneur: Armin Veh.

Cartons jaunes : 27e Schieber, 43e Lakic, 51e Subotic, 54e Inui, 89e Hummels.

Cartons rouges : 31e Schieber, 74e Inui (tous deux pour deuxième avertissement).

Notes: Dortmund sans Owomoyela (blessé) ni Lewandowski (suspendu), Francfort privé d’Amedick (blessé).

Classement (22 matchs) : 1. Bayern 57 2. BVB 42 3. Leverkusen 41 4. Francfort 37 5. Freiburg 34 6. Hambourg 34 7. Mainz 32 8. Hanovre 30 9. Schalke 30 10. Mönchengladbach 30 11. Brême 28 12. Stuttgart 28 13. Düsseldorf 27 14. Nürnberg 26 15. Wolfsburg 26 16. Hoffenheim 16 17. Augsburg 15 18. Fürth 12.

Catégories : Au StadeRetro

0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *