Le football, c’est simple et peut se résumer par cette courte périphrase : Kämpfen und siegen ! Combattre et vaincre. Le combat n’assure pas toujours la victoire mais il en augmente significativement les chances et on en a eu la preuve contre Leverkusen. Reste les deux questions qui fâchent : pourquoi si tard et qu’est-ce qui a provoqué une telle métamorphose six jours après le non-combat d’Herne-West ?
Avec deux mois d’avance, l’été a débarqué sur le Ruhrpott. Les Biergarten sont pris d’assaut, la bière coule à flot, l’ambiance est joyeuse. En découvrant cette atmosphère festive, il est difficile d’imaginer que nous avons affaire à un club en crise qui, six jours plus tôt, a totalement déçus ses supporters en perdant sans combattre le match le plus important de l’année. Bien sûr, les discussions sont animées et les spéculations vont bon train sur l’identité du prochain entraîneur, les raisons du fiasco d’Herne-West, le changement de cap que doit impérativement effectuer notre club pour renouer avec ses valeurs perdues… Et accessoirement, après tant d’avant-match dans le froid et la pluie, nous regrettons que, alors que les beaux jours arrivent, la saison touche déjà à son terme.
Une chaleureuse bienvenue
Mais si la langueur et la bonne humeur d’une fin d’après-midi ensoleillée et chaude ont pu nous faire quelques instants occulter la triste réalité actuelle de notre club, celle-ci s’est rappelée à nous dès notre arrivée dans le stade. Lors de l’arrivée des joueurs pour l’échauffement sur Aida, des sifflets retentissent dans le Westfalenstadion. Pas la bronca certes mais suffisamment pour couvrir les chants de ceux qui avaient choisi, malgré tout, de sacrifier au rituel traditionnel de faire tourner leur écharpe en reprenant la Marche triomphale de Giuseppe Verdi. Pire, en bas de la Westtribüne, une grande banderole proclame « Celui qui ne comprend pas la valeur du Derby – un traître ».
Quelques minutes plus tard, à l’entrée des équipes, c’est cette fois la Südtribüne qui fera part de son courroux avec une banderole « Pas de volonté, pas de passion, pas de courage, pas d’équipe, personne n’a jamais aussi peu incarné le Borussia Dortmund que vous ». Même avec ma longue expérience du Westfalenstadion, je n’ai pas souvenir d’avoir vécu un accueil aussi glacial pour nos Jungs. On a bien voulu pardonner la débâcle à Munich ou la peu glorieuse élimination en Europa League à Salzburg, mais perdre un Derby sans combattre, ça ne passe pas.
Le nouveau Leverkusen
Ce n’était évidemment pas le contexte idéal pour accueillir le redoutable Bayer Leverkusen, peut-être la meilleure équipe d’Allemagne actuelle après le Bayern Munich, en tous les cas je trouve qu’il y a davantage de qualité à Neverkusen qu’à Herne-West, même si le classement tend à démontrer le contraire. Pendant longtemps, Vizekusen et son sponsor Bayer ont dépensé beaucoup d’argent pour conquérir enfin le premier Meisterschale de l’histoire du club. En vain. Même quand la Werkself avait la meilleure équipe du pays, il lui a toujours manqué ce petit supplément d’âme, de rage, de passion pour aller au bout, comme en 2000 et ce titre perdu à Unterhaching ou en 2002 avec le Meistertor d’Ewerthon. Depuis quelques saisons toutefois, Leverkusen a modifié sa politique. Plus question de parler de titre et d’investissements massifs. Souvent hautain et arrogant, le directeur sportif Rudi Völler a revu sa politique et est revenu à davantage d’humilité. Comme à Schalke, on a compris qu’on ne pouvait pas rivaliser avec le Bayern avec de l’argent et qu’il fallait d’abord imaginer un projet. A l’image de ce qu’avait construit le BVB à partir de 2008.
Ce n’est pas un hasard si l’entraîneur, Heiko Herrlich, est une ancienne gloire du Borussia qui a entamé une carrière d’entraîneur prometteuse dans les ligues inférieures et si le Bayer a misé sur Sven Bender, l’un des plus vaillants soldats de l’ère Klopp. Avec Manni, son frère Lars mais aussi Kohr, Aranguiz, Baumgartlinger ou Volland, Bayer a d’abord cherché à constituer une équipe de guerriers entourant des jeunes prometteurs comme Retsos, Brandt, Heinrichs, Tah et le dernier joyau, Havertz. Autant on a souvent raillé Neverkusen comme une masse d’individualités sans âme, autant on est séduit par le projet actuel du club, même si cela n’enlève rien au profond mépris éprouvé pour les Werksclubs. Mais c’est un peu triste de constater qu’au moment où nombre de nos rivaux tentent de copier la recette qui nous amené au succès, nous ayons nous-mêmes oublié notre propre recette. Même lors de la défaite 2-6 concédée quatre jours plus tôt contre le Bayern en 1/2 finale de Coupe d’Allemagne, Leverkusen n’a pas démérité. Ils ont bousculé le Rekordmeister, ont été tout proches de revenir à 2-2 puis à 2-3 avant de s’écrouler sur la fin mais, s’ils pouvaient regretter leurs erreurs défensives, les joueurs de la Werkself avaient pu quitter le terrain avec l’impression d’avoir tout tenté. Nous n’avions pas pu en dire autant de nos Jungs lors de la débâcle à la Turnhalle d’Herne-West…
La magie du Westfalenstadion
Mais dès les premières notes du YNWA, nos déboires du Derby sont oubliés. L’hymne est repris en cœur par tout le stade et on n’entend pas un seul sifflet lors de la composition des équipes. C’est aussi cela la magie du Westfalenstadion : on peut ne pas être content de notre équipe et le faire savoir mais, dès que le match arrive, nous sommes à nouveau tous unis derrière nos Jungs. Pour autant que ceux-ci se montrent à la hauteur dans l’engagement, la volonté et la combativité. Et ils l’ont été samedi. En un sens, le tournant du match, c’est cette action anodine près du poteau du corner après trente secondes de jeu sur laquelle nos Jungs, en particulier Sokratis et Götze, se sont arrachés pour aller récupérer le ballon. Finalement, pour rien mais c’est typiquement le genre d’actions, de pressing, de combat que nous n’avions absolument pas vues lors du Derby et que trop peu souvent depuis l’arrivée de Peter Stöger.
Mais là, il apparaît d’emblée que l’état d’esprit est complètement différent, qu’il y a une volonté claire de mettre l’adversaire sous pression et de l’agresser. Et cela suffit à enflammer le Westfalenstadion presque comme aux plus beaux jours. Comme nous l’avons souvent écrit, finalement le classement, l’enjeu, la qualité du jeu importent peu, ce qu’on veut avant tout voir, ce sont des joueurs qui se défoncent et donnent tout pour leurs couleurs. Le reste suivra. Onze guerriers sur le terrain, cela veut dire 80’000 (moins quelques Leverkusener) en tribunes : même lorsque Bürki dégage directement en touche après cinq minutes, on n’entend pas un seul sifflet, alors qu’une action similaire contre Stuttgart avait provoqué le courroux du Westfalenstadion parce que le début de match avait été beaucoup plus timoré.
Bierdusche
Après moins de dix minutes, le BVB s’est créé plus d’occasion qu’en nonante le dimanche précédent à Herne-West. La frappe de Götze est déviée au-dessus du but alors que Sancho, magnifiquement servi par Reus, perd son duel avec Özcan. Le jeune Anglais sera plus heureux quelques instants plus tard après un magnifique solo de Pulisic sur la droite et une glissade de Bailey : cette fois-ci, il gagne son face à face avec le gardien de Leverkusen d’une frappe enroulée dans le petit filet. Le Westfalenstadion explose, on assiste à la plus belle Bierdusche de la saison en Südtribüne, comme s’il fallait évacuer toute la frustration accumulée depuis une semaine et cette satanée Derbyniederlage. Et puis, la Bierdusche, c’est quand même plus agréable par 25° que par 3°… Tout n’est pas parfait, un petit frisson parcourt le temple sur un tir trop croisé des Rheinländer mais le foot, c’est quand même beaucoup plus simple quand tu gagnes les duels, quand le porteur du ballon a toujours du mouvement devant lui et quand l’adversaire est tellement sous pression qu’il ne peut pas déployer ses attaques. En bref, Leverkusen est complètement étouffé par la grinta schwarzgelbe et c’est quelque chose que nous n’avions plus vu au Westfalenstadion depuis la victoire contre Mönchengladbach fin septembre.
Reus l’obstiné
C’est alors que Marco Reus a commencé son show. Promu capitaine en l’absence de Schmelzer, Marco commence par inscrire un splendide 2-0 d’une volée surpuissante après une remise acrobatique de Philipp. Las, l’arbitrage vidéo a vu un hors-jeu de l’ancien Freiburger. Deuxième chance quelques instants plus tard pour Marco après une faute sur Pulisic mais son pénalty, très mal tiré, est détourné par Özcan. L’acte III survient après la pause mais sa demi-volée s’écrase sur la latte. Mais il en fallait plus pour décourager notre Dortmunder Jungs qui finit par être récompensé de ses efforts à la 55e en dribblant le dernier rempart des Rheinländer pour doubler la mise après une ouverture de Weigl et une déviation subtile de Götze. Comme par magie, nous avons retrouvé le football de mouvement qui nous avait valu tant de joies avec Jürgen Klopp. Et cela sera confirmé huit minutes plus tard avec le 3-0 après une ouverture magistrale d’Akanji, un contrôle raffiné et un débordement de Sancho et une conclusion en force de Philipp.
Des promesses d’avenir
Akanji, Sancho, Philipp : trois joueurs qui représentent l’avenir du BVB, un avenir qui peut être radieux si nous parvenons à retrouver un vrai projet de jeu et à entamer tous les matchs avec la même détermination que contre Leverkusen. Avec encore Pulisic, Weigl, Dahoud, quelques anciens comme Reus, Götze, Kagawa, des joueurs en prêts qui pourraient être rapatriés comme Paßlack ou Burnic, il y a quand même des bases très intéressantes pour le futur mais il s’agira de ne pas se tromper durant l’été : c’est-à-dire changer le logiciel de recrutement, passer d’un recrutement d’opportunité à un recrutement de besoin. Je m’explique : depuis deux ou trois ans, on a l’impression qu’on a davantage recruté en fonction des opportunités sur des jeunes talents à fort potentiel et coût raisonnable qu’en fonction des besoins de l’équipe. Il faut que cela change et que l’on parvienne à cibler quelles sont nos lacunes et à recruter surtout sur les postes et les profils qui nous manquent, notamment deux vrais milieux récupérateurs et un attaquant de pointe. Et il faudra aussi mieux permettre à nos jeunes talents de s’exprimer. A ce titre, si Manuel Akanji est à créditer d’un très bon match comme latéral gauche, ne répétons pas l’erreur commise avec Ginter : je reste persuadé que Matze aurait dû être le successeur d’Hummels mais il s’est perdu à force d’être baladé entre une défense centrale à trois, à quatre, latéral, milieu de terrain, il a fini par souhaiter s’en aller vers un club où on lui assurait une place fixe dans l’axe. Même s’il a parfaitement dépanné sur le côté, la place d’Akanji est dans l’axe et il s’agira de ne pas trop tarder à lui confier les clés de notre charnière centrale.
Jour de fête
Leverkusen n’aura même pas droit au but de l’honneur, Roman Bürki s’interposant brillamment sur une reprise à bout portant. Ce sera au contraire 4-0 sur un centre de Jadon Sancho repris par la tête de Marco Reus. Le Westfalenstadion exulte, on a retrouvé notre BVB ; contrairement à la victoire contre Stuttgart où la première mi-temps avait été médiocre, cette fois-ci on a eu droit à un vrai match plein où l’adversaire a été pris à la gorge dès les premières secondes et n’a eu droit à aucun répit. Mieux vaut tard que jamais mais Peter Stöger tient (sans doute trop tard pour lui) son match référence. Comme quoi, même avec un système de jeu encore flou, des automatismes pas au top et une confiance chancelante, tout devient tellement plus facile quand on gagne les duels. C’est ce qu’on réclame depuis des mois : de la combativité, de l’enthousiasme, de la volonté, le reste vient tout seul. Et comme par enchantement, cet état d’esprit retrouvé permet à l’ambiance du Westfalenstadion de revivre.
Comme notre stade est beau comme cela, tout en jaune, avec des chants ininterrompus et une équipe qui fait bloc derrière son équipe. Dans ces moments là, on ne pense plus au classement, à la bonne opération en vue de la prochaine Ligue des Champions, aux déceptions passées, nous cherchons juste à savourer l’instant présent et à profiter de ces émotions dans le plus beau stade du monde. Cela n’a pas toujours été facile cette saison, nous avons souvent quitté le stade fâchés et déçus mais il suffit d’un début de soirée comme celui-là pour tout effacer. On n’en a jamais eu mais, si on pouvait avoir le moindre doute sur notre soutien au BVB, il serait dissipé avec ce genre de match. Il y a peut-être des clubs qui gagnent plus de titre que nous mais, quel que soit leur palmarès, eux ils ne connaîtront jamais ce genre d’ambiance, de folie, d’émotions. Alors que nous nous pouvons quand même avoir l’espoir de regagner quelque chose un jour ou l’autre.
La seule fausse note
Le petit bémol de la soirée intervient à la fin du match. L’immense majorité du stade était bouillant pour célébrer la victoire avec nos Jungs et le remercier pour cette belle performance. Mais, après avoir fait mine de venir vers nous, ils ont fini par se raviser et renoncer aux célébrations traditionnelles d’après-match. Finalement, seul Manni Bender est venu saluer la Südtribüne. On a d’abord cru que nos Jungs avaient été vexés par les banderoles d’avant-match mais il semble qu’ils étaient prêts à venir célébrer avec nous mais qu’ils en été dissuadé par des gestes hostiles venus de quelques énergumènes rancuniers en bas de la Südtribüne. C’est un peu triste, surtout que les ultras n’ont pas vraiment de leçons à donner sur le Derby de la semaine précédente, vu qu’ils en étaient absents en raison de la sanction qui les frappe depuis deux ans à Herne-West. Pourtant, voir toute l’équipe sautiller avec ses fans pour célébrer une unité et une joie retrouvées aurait été la meilleure manière de clore cette journée magnifique.
Les questions qui fâchent
Il reste à aborder les questions qui fâchent. Comment l’équipe sans venin et sans envie d’Herne-West a-t-elle pu, en six jours, se transformer en une troupe de guerriers se jetant sur chaque ballon comme des morts de faim ? Pourquoi n’avait t’on plus revu un tel état d’esprit depuis la fin de l’automne ? On n’a pas de réponse. Je doute que l’absence de Marcel Schmelzer puisse en rien expliquer cette métamorphose, plus de la moitié de l’équipe alignée contre Neverkusen était composée de « traîtres » du Derby, c’est injuste de faire d’un seul homme le responsable du naufrage collectif d’Herne-West. Est-ce que les joueurs ont été piqués au vif par les banderoles ? Est-ce que Peter Stöger a enfin trouvé les mots pour transcender ses joueurs ? Est-ce qu’il y a une réunion d’équipe et une prise de conscience qu’il était impossible de continuer comme cela ? On n’en sait rien, cette équipe 2017-2018 restera une énigme, une équipe capable de tout, y compris de replonger lamentablement lors du prochain match à Brême. Mais si l’on veut avancer la saison prochaine et éviter de revivre autant de hauts et de bas, il faudra d’abord comprendre pourquoi nos Jungs peuvent nous présenter des visages si différents et passer en quelques jours du spectacle désolant du Derby au match plein de Leverkusen. Car, gageons que si nous avions abordé tous les matchs cette saison avec la même détermination, nous serions peut-être aujourd’hui dans l’exaltation d’une lutte pour le titre ou d’une demi-finale européenne, pas seulement du vague espoir d’une qualification pour la Königsklasse.
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