La hiérarchie semble à nouveau s’inverser dans la Ruhrpott. Depuis l’initialisation de son « projet Dortmund » en 2016, Schalke 04 est revenu à ses valeurs historiques et s’est souvenu qu’il était un club de mineurs. A l’inverse, le BVB s’est brûlé les ailes à vouloir voler trop près du soleil et jouer dans la cour des grands. Dimanche, à Herne-West, c’est une équipe, un club, des joueurs, des fans sans âme, sans projet, sans émotion, sans envie qui ont perdu un Derby que nous n’avons jamais donné l’impression de vouloir gagner.

Il y a une dizaine d’années, Schalke était clairement le club numéro 1 dans le Rurpott. Alors que le BVB se remettait difficilement de la folie des grandeurs et des dettes des années Niebaum/Meier, les Knappen jouaient les premiers rôles en Bundesliga et même en Europe. Leur nouveau stade et l’arrivée d’un richissime sponsor russe leur donnaient des moyens financiers dont nous n’aurions pas osé rêver. Quand nous sortons en phase de groupe de l’Europa League en 2010-2011, eux jouaient la demi-finale de Ligue des Champions contre Manchester United. Quelques années auparavant, en 2007, leurs fans avaient même le fantasme de fêter le titre lors de 33ème journée au Westfalenstadion en reléguant le BVB. Finalement, cela s’est passé différemment : nous avions pu nous mettre à l’abri de la relégation et même priver les Blauen de ce titre qu’ils attendent depuis 1958… Sauf que cette quête du titre est devenu une obsession du côté d’Herne-West et le club s’est perdu et a perdu ses repères pour tenter d’aller enfin décrocher le Meisterschale.

L’ère bling-bling

Chaque été, les dirigeants königsblaue promettaient que cette année serait la bonne, défiaient le Bayern et affichaient ouvertement leurs rêves de titre. Ils ont dépensé beaucoup d’argent dans des campagnes de transfert galactiques, notamment du côté de Madrid, avec les Raul, Metzelder, Huntelaar et autres Jurado. En 2009, les Blauen parviennent même à débaucher à coup de millions l’entraîneur champion d’Allemagne à Wolfsburg : Felix Magath, qui avait pour mission de décrocher le titre avec les mêmes méthodes qu’à Autostadt, soit des campagnes de recrutement massives (40 transferts en moins de deux saisons à la Veltins Arena). Le bling-bling, l’impatience et l’instabilité sont devenus la norme à Gelsenkirchen : pendant les sept ans de Jürgen Klopp au BVB, les Blauen ont connu onze (!) entraîneurs différents, y compris un ancien vainqueur de Ligue des Champions, Roberto di Matteo, un fiasco de plus. Les fans ne se reconnaissaient plus dans cette politique, l’ambiance jadis réputée des Knappen est devenue versatile avec des fans qui ne se reconnaissaient plus dans leur club et dans leur équipe de stars, il n’était pas rare d’entendre les fans siffler leurs propres joueurs et cette politique onéreuse pour des résultats médiocres a fini par plomber les finances. Pendant ce temps-là, à Dortmund, avec un projet beaucoup plus humble et moins onéreux, initié en 2008 par un jeune entraîneur peu connu, Jürgen Klopp, a reconquis la suprématie dans le Ruhrpott.

Le projet Dortmund

A l’été 2016, c’est la rupture à Herne-West. Les dirigeants de S03+1 ont compris qu’ils n’allaient nulle part avec cette stratégie. Exit le manager Horst Heldt et début d’un nouveau projet : l’objectif est clair, revenir aux valeurs traditionnelles d’un club de mineurs du Ruhrpott, humilité, travail, patience, en s’inspirant de la manière dont l’éternel rival du BVB était parvenu à revenir au sommet. Le nouvel homme fort pour porter ce projet, c’est Christian Heidel, l’ancien directeur sportif de Klopp et Tuchel à Mainz, ami personnel de nos dirigeants Hans-Joachim Watzke et Michael Zorc. Cela s’est immédiatement vu dans la stratégie de recrutement : fini les noms prestigieux, désormais ils misent sur la jeunesse, des joueurs peu connus, parfois même venus de deuxième division, ou quelques opportunités sur des joueurs en fin de contrat, tels que Naldo ou Konoplyanka, les buteurs de ce Derby. Lorsque celui qui devait diriger ce nouveau projet, l’ancien entraîneur à succès d’Augsburg, Markus Weinzierl, n’a pas obtenu les résultats escomptés, il n’y a pas eu de panique : ils l’ont laissé finir la saison avant de faire calmement le bilan et d’arriver à la conclusion que Weinzierl ne serait pas le Klopp d’Herne-West puis de donner sa chance à un autre entraîneur prometteur : Domenico Tedesco. En parallèle, ils sont revenu aux fondamentaux et aux valeurs historiques, les références aux Malocher et aux Knappen, les mineurs qui ont forgé l’histoire du club, sont omniprésentes à la Veltins Arena. Et comme par miracle, l’ambiance est redevenue énorme, le public s’identifie à nouveau complètement à son équipe, peut-être moins talentueuse que par le passé mais tellement plus combative et attachée au maillot. Le magnifique Choreo réalisé par les fans des Knappen en début de match est assez révélateur de l’atmosphère qui règne actuellement à Herne-West : Schalke est un club uni, avec un projet et une stratégie clairs, fans, dirigeants, joueurs et entraîneur marchent tous ensemble derrière un objectif, on ne parle plus de gloire ni de grandeur, juste d’avoir des mecs qui se défoncent tous ensemble pour leur maillot et les résultats viendront ensuite.

Les vertus oubliées

En fait, tout le contraire du BVB qui actuellement ne sait pas où il va, comment il y va et avec qui il y va. A force de rêver titres, Ligues des Champions et gloire, d’engager les futurs stars du football mondial, de vouloir jouer dans la cour des grands ou de faire des tournées marketing en Asie, on a oublié ce que Schalke a su réapprendre : le succès dans le Rurpott ne s’acquiert jamais par le talent ou l’argent mais d’abord par la sueur, le travail, la combativité, l’amour du maillot… Qualités qu’on n’a pas ou trop peu aperçues dimanche chez nos Jungs. Dès le coup d’envoi, nous avons compris que nous n’allions pas gagner ce Derby. Après dix minutes d’images de mineurs sur l’écran géant, le Choreo de la Nordkurve donne le ton : bleu et blanc sont les couleurs de tout en haut ! Le signe d’un kop à nouveau fier de ses couleurs. Tout le contraire du Gästeblock : on a bien senti un peu de Derbyfieber dans le court trajet en Sonderzug puis dans le Schuttlebus en direction du stade mais une fois dans le stade, les 7000 Borussen une livré une prestation à l’image de leur équipe : insignifiante.

Et l’absence des ultras, toujours privés de déplacement à Herne-West, n’excuse rien. Clairement, le peuple jaune et noir ne répond plus. Il y a quelques années, les Klopp, Großkreutz et autres Weidenfeller étaient vraiment habités par le Derby, on sentait la pression monter les jours précédents le match, actuellement c’est le néant ; dimanche on a eu l’impression que les joueurs n’avaient même pas envie d’être là, qu’ils avaient juste hâte que cela se termine et malheureusement, il n’y avait pas plus d’envie chez les supporters : trois malheureux drapeaux, des chants inaudibles, une résignation qui s’est installée dès le coup d’envoi…

Si près, si loin….

En voyant la différence de dynamique des deux clubs, il est hallucinant de penser qu’ils n’étaient séparés que par un seul point au classement. Si l’on n’avait pas eu connaissance du classement, on aurait plutôt cru que Schalke était proche de remporter le plus grand titre de son histoire et que le BVB était aux portes de la relégation. Et pourtant, les deux clubs convoitaient la même deuxième place au classement. Officiellement du moins. Car nous n’avons pas eu l’impression que nos Jungs convoitaient quoi que ce soit dimanche. Pourtant, ce Schalke version Tedesco n’est vraiment pas génial. Juste une équipe de mecs qui se défoncent pour leurs couleurs, suivent un plan de jeu simple et efficace et ont une totale confiance dans leur système de jeu, sans essayer de réinventer le roue en important des tactiques tarabiscotées de Barcelone ou d’Amsterdam. Et actuellement, c’est largement suffisant pour battre le BVB.

Fatalistes

Dès la première minute, notre équipe a été surclassée dans les duels. Je reste persuadé qu’il y a infiniment plus de talent dans notre effectif que dans celui de Schalke mais sans volonté, sans duels gagnés, sans rage de vaincre, tu ne vas nulle part en Bundesliga et encore moins dans un Derby. Bürki sauve une première fois sur un tir de Schöpf. Nous parvenons même à atteindre la pause sur un score nul et vierge mais c’est bien davantage en raison des limites du jeu des Blauen que de nos propres mérites. Marco Reus alerte même Fährmann sur un coup franc lointain mais c’est tout ce que nous sommes parvenus à produire. Sur le terrain, dans les tribunes, sur le banc où, alors que Domenico Tedesco harangue sans cesse ses troupes, Peter Stöger semble déjà avoir tourné la page BVB, tout le monde paraît avoir déjà abdiqué et attendre le premier but avec un certain fatalisme. Cela ne manque pas de se produire sur une erreur de débutant de Marcel Schmelzer qui rend le ballon à l’adversaire et permet à Caligiuri et Konoplyanka d’aller inscrire le 1-0 au milieu d’une défense en mode spectateurs.

La messe était dite. Il y a eu trop peu de conviction sur nos rares occasions d’égaliser, un tir trop mou de Reus, une reprise manquée de Pulisic, une frappe contrée de Schürrle, pour croire à un possible retour dans le match. Et c’est fort logiquement que le 2-0 est intervenu sur un coup-franc concédé par Schmelzer et transformé en force par Naldo. Un vrai coup de fusil mais nous n’avons pas non plus eu l’impression que nos joueurs dans le mur étaient prêts à faire don de leur corps pour contrer l’obus du Brésilien et préserver un frêle espoir dans ce Derby. Impliqué sur les deux buts adverses, Marcel Schmelzer a forcément été la cible de toutes les critiques. C’est un peu sévère car c’est toute l’équipe qui n’a pas été à la hauteur. Mais force est constater que depuis que Sebastian Kehl a décidé de renoncer au brassard, nous n’avons plus de capitaine capable d’entraîner son équipe derrière lui. Hummels n’a jamais été à l’aise dans ce rôle de capitaine et Schmelle n’a plus un niveau de performance suffisant pour tirer l’équipe ni même d’amener son expérience aux plus jeunes, il donne plutôt l’impression de vivre dans la nostalgie éternelle des heures glorieuses de Jürgen Klopp. Un peu comme tout le club d’ailleurs mais ce n’est pas en ressassant le passé que nous allons avancer sauf si c’est pour tirer les leçons de ce passé afin de préparer un avenir glorieux.

Pas de cache-misère

Tu imagineras aisément que l’ambiance dans le Sonderzug du retour a été glauque à souhait après un Derby aussi misérable. Heureusement que le trajet jusqu’à Dortmund n’est pas trop long… Le constat est amer : pendant des années, nous avons regardé Schalke avec commisération en nous gaussant de leur quotidien fait de crises, de valses des entraîneurs, de désillusions, de conflits et d’espoirs déçus. La roue a tourné et désormais les crises, la valse des entraîneurs, les désillusions, les conflits et les espoirs déçus constituent notre quotidien. Alors que notre rival de toujours a retrouvé la joie simple de jouer au foot avec une équipe qui se bat et un club uni recentré sur ses valeurs, sans trop se préoccuper du fossé qui les sépare du Bayern Munich en tête du classement. Le motif d’espoir, c’est que si les Blauen ont connu les abîmes de déprime où nous sombrons en ce moment et en sont sortis en s’inspirant du… BVB, nous pouvons nous aussi en sortir en nous rappelant ce qu’a été notre club et en revenant à nos fondamentaux. Pour cette saison, cela va être compliqué et il va falloir tenter de sauver ce qui peut encore l’être avec les moyens du bord. Mais dès la saison prochaine. L’avantage, c’est qu’au moins, contrairement à 2006-2007 où la victoire dans le Derby avait permis de terminer la saison dans l’euphorie mais empêché les dirigeants de tirer les conclusions d’une saison ratée, cette année le Derbysieg ne pourra pas servir de cache-misère. Pas plus que nos parcours en Pokal et en Coupe d’Europe. Si une victoire dans le Derby peut sauver une saison ratée, en revanche une défaite aussi misérable dans le match le plus important de l’année, venant après le clash du match aller, va forcément peser très lourd dans le bilan. Et cela ne peut qu’amener une profonde remise en question : c’est-à-dire renoncer à toute velléité de « projet Bayern, Real ou Manchester » mais revenir à ce que Schalke a su faire depuis 2016 : un projet Dortmund. Pour ne plus JAMAIS jouer un Derby avec la désagréable impression que c’est tout un club qui a oublié pourquoi le Derby des mineurs du Ruhrpott constituait le match le plus important de la saison.

Catégories : Au Stade

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