Même en cette période sans football, on sait s’amuser et mettre une ambiance de folie à Dortmund. Ton site préféré est allé en force s’en rendre compte début juillet du côté du magnifique Revierpark Wischlingen pour le mythique festival de Schlagerparade Dortmund Olé.
Les vieux poncifs éculés présentent souvent le Ruhrpott comme une région grisâtre où les usines côtoieraient hauts fourneaux, mines de charbon, voies de chemin de fer et tuyaux rouillés, cheminées fumantes, entrepôts désaffectés, blocs d’habitation monocordes en béton, canaux pollués, containers à l’abandon et autres joyeusetés d’un paysage industriel dévasté. C’est assez loin de la réalité : il y a bien des endroits pas très avenants (surtout du côté de Gelsenkirchen !), témoins du passé (surtout) et du présent industriels du Pott mais la région s’est fortement reverdie avec la désindustrialisation et comporte aujourd’hui 52% de surfaces vertes, dont 25% de forêts ! La ville de Dortmund ne fait pas exception et s’orne de nombreux parcs : Hoeschpark (sur le site d’une ancienne usine d’armement et du premier stade du BVB, la Weiße Wiese), le Westfalenpark (en face du stade, au pied de la Florianturm), le Rombergpark, le Westpark, le Fredenbaumpark, le Hauptfriedhof (cimetière principal), le Tremoniapark, le Stadtgarten etc.
Revierpark Wischlingen
En ce premier week-end de juillet, l’objet de notre visite était le Revierpark Wischlingen. Il s’agit d’un parc de 39 hectares situé à Huckarde, au nord-ouest de Dortmund. On y trouve de nombreux espaces verts, un lac, une patinoire, une piscine, un minigolf, un centre de spa et de fitness, des tennis etc. Et puis, au milieu, il y a la Festwiese, la place de fête, qui accueille au cours de l’année divers événements et festivals, comme le PollerWiesen Festival, le Rock’n Tribute, le Out4fame, l’Oktoberfest, le Weihnachtsmarkt. Et, ce fameux week-end, le Revierpark Wischlingen a fait le plein avec quelques 20’000 fêtards pour le festival itinérant de Schlagerparade Dortmund Olé.
Schlagerparade
En général, parler de Schlagerparade à un Francophone suscite immédiatement une moue réprobatrice. On imagine généralement de la musique folklorique avec fanfare, accordéon voire cor des Alpes joués par des quinquagénaires moustachus descendus des montagnes du Tyrol, de Bavière ou de l’Oberland bernois pour un public du troisième âge. Il y a de cela mais la Schlagerparade ce n’est pas que cela. En effet, la Schlagerparade est désormais un truc de jeunes, elle a su se moderniser, ajouter des sonorités dance aux instruments traditionnels et désormais les tubes de la Schlager sont fredonnés par tous les Allemands. C’est même devenu une sorte de hype pour les jeunes et toutes les grandes villes d’Allemagne possèdent leurs boîtes de Schlager qui ne désemplissent pas. Si tu en doutes, passe un soir de week-end à la Bolkerstrasse de Düsseldorf et essaie d’enchaîner le Anton’s Bierkönig, le Ballermann 6, l’Oberbayern et la Villa Wahnsinn. La Schlager est descendue de ses montagnes et se tourne désormais bien davantage vers Majorque, ses stars comme Helene Fischer (celle-là même que nous avons conspué en finale de Pokal) remplissent régulièrement des stades de 60’000 places et les disques se vendent par millions. Les paroles ne sont guère recherchées et s’articulent essentiellement autour des thèmes de l’amour et de la fête, quand elles ne sont pas complètement loufoques, en faisant des théories sur du jambon, une girafe ou une mouche, avec quelques Hula-la-la, Ho Ha et Ratataboum pour combler les vides lorsque l’inspiration vient à manquer. Peu importe la poésie : le but, c’est de composer des paroles et une mélodie simples et accrocheuses pour coloniser le cerveau de millions d’Allemands qui n’arriveront plus à se les sortir de la tête dès la première écoute.
Dortmund Olé
Car la Schlagerparade repose avant tout sur des tubes. Personne ou presque n’a envie d’aller écouter un concert entier (à quelques exceptions près, comme Helene Fischer précitée) ; ce que tout le monde veut entendre ce sont les deux ou trois tubes qui ont rendu célèbres les différentes stars de la Schlager. D’où le concept du festival Olé : il s’agit d’un festival itinérant réunissant une quinzaine de stars de la Schlagerparade qui interprètent chacun leur deux ou trois chansons phares, puis souvent reviennent plus tard pour des duos ou des reprises improbables. Entre les deux, des animations : tubes diffusés en boucle, mascotte (l’ours Oléo) se trémoussant sur la scène, déluge de confettis, orgie pyrotechnique, bref on est davantage dans le registre d’une Party géante complètement déjantée que de véritables concerts. Cette année, sept villes d’Allemagne ont l’honneur d’accueillir une Olé Party : Oberhausen Olé, Mönchengladbach Olé, Dortmund Olé, Bremen Olé, Hamburg Olé, Nürburgring Olé et Schalke Olé. A Dortmund, la Olé Party s’est tenue longtemps au Westfalenpak mais, depuis l’année dernière, elle a migré à l’autre extrémité de la ville, au Revierpark Wischlingen. C’est donc là que nous nous rendons par ce beau samedi ensoleillé. Car une Olé Party est un marathon qui commence dès 13h pour s’achever une grosse douzaine d’heures plus tard avec les derniers rescapés qui ont réussi à survivre à la folie ambiante.
L’émeute
Nous sommes sept Suisses et un Français, tous fans du BVB, à débarquer à Wischlingen. Il est 13h, le soleil cogne fort sur le Revierpark et une longue file d’attente s’est déjà formée devant l’entrée de la fête. Pas de chance : nous manquons la prestation d’Anna-Maria Zimmermann et son célèbre 1000 Traüme weiter (Tornero). Mais, après une demi-heure de patience, nous pénétrons enfin dans le saint des saints et nous avons à peine passé l’entrée que nous sommes déjà munis de glaces Waldgeist (esprit de la forêt), officiellement pour nous rafraîchir mais surtout joyeusement alcoolisées. Le ton est donné car sur la Festwiese, l’ambiance est déjà complétement survoltée : les tubes s’enchaînent sur la scène, des boudins bleus se tendent vers le ciel alors que des ballons aussi saugrenus les uns que les autres se baladent au-dessus de la foule. Mon pote Kevin devient ainsi rapidement l’ami d’un dinosaure, le Kevinosaure, mon amie Viviane d’une chope de bière et moi j’hérite d’une licorne rose que je finis rapidement par céder pour mieux adopter une petite Heidi, en référence à mes origines helvétiques et au prochain camp d’entraînement du BVB dans le Heidiland. Puis Heidi sera échangée contre un collier à fleurs qui deviendra plus tard un collier bleu assorti d’un chapeau rose. Bref, du grand n’importe quoi mais c’est cela la Schlager : un public jeune, festif, déjanté sans autre préoccupation que de s’amuser et plus c’est kitsch plus c’est drôle.
Philharmonie à Wischlingen
Les cocktails et les bières s’enchaînent, généreusement amenés par une armada de serveurs munis de fûts sur le dos qui sillonnent la foule compacte afin de s’assurer que personne ne puisse rester plus de cinq minutes sans un verre à la main… Et cela pendant plus de dix heures ! Sur la scène les vedettes de la Schlager s’enchaînent. Les noms ne te diront peut-être rien mais je t’assure que si tu fréquentes régulièrement l’Allemagne, leurs chansons, elles, te seront familières et t’auront sans doute trotté, à l’insu de ton plein gré, dans la tête quelques jours. Tour à tour, Michael Wendler nous présente son « Nina », VoXXclub introduit l’accordéon dans « Rock Mi » et les demoiselles tombent en pamoison devant le beau Norman Langen et son « Pures Gold » (Pures Gold halte ich in meinen Händen. Pures Gold das mit uns wird niemals enden. Pures Gold du machst mich zum reichen Mann. Pures Gold für ein ganzes Leben lang – Or pur, je tiens dans mes mains, or pur cela ne finira jamais entre nous, or pur tu fais de moi un homme heureux, or pur pour une vie entière). Enfin, tu vois le genre.
Johnny Däpp
L’après-midi avance, les bières descendent, le soleil est toujours haut dans le ciel du Pott, une légère brise agite les arbres du Revierpark et les ballons dans la foule, dont une immense majorité est déjà en mode fin de soirée. Entre chaque artiste, la mascotte déjantée Oléo se charge d’enflammer encore plus les fêtards, les confettis volent par milliers et pourtant les choses sérieuses n’ont pas encore commencé. Car il est temps pour le maître de cérémonie du jour, Lorenz Büffel de venir définitivement enflammer Wischlingen avec son « Johnny Däpp » (Scheiss auf den Job Scheiss auf mein Geld Egal was ihr sagt Egal was ihr denkt Ich möchte nur eins Ich möchte mein Glück Alles egal Ich will Malle zurück – Merde pour le boulot, merde pour mon argent, égal ce que vous dites, égal ce que vous pensez, je ne veux qu’une chose, je veux ma chance, je veux retourner à Majorque). Puis die Atzen, même s’il n’est même pas 17h, nous expliquent que nous allons fêter toute la nuit (« Das geht ab (Wir feiern die ganze Nacht »). Cette année, certains papes de la Schlager comme DJ Ötzi, Tim Toupet, Olaf Hennings, Axel Fischer ou Andreas Gabalier ne sont pas à l’affiche des Ole Parties. Qu’à cela ne tienne : leur tube sont diffusés entre les concerts ou alors c’est Joey Gabalögl, la doublure officielle d’Andreas Gabalier, qui vient dispenser aux fêtards leur ration de « I sing a Liad für Di » et de « Hulapalu ».
En mode groupies
Puis vient le moment que nous attendions avec impatience : le concert de Mickie Krause. Alors que jusque-là, nous étions sagement restés au milieu de la foule et pas trop loin des bars, nous gagnons les premiers rangs pour admirer la prestation de Mickie et de ses danseuses à la gestuelle impeccable en fredonnant le mythique « Schatzi schenk mir ein Foto » en version revisitée. Après le passage de Willi Herren, qui nous a chanté qu’il n’était jamais allé à New-York, il était de temps de passer à un peu de douceur féminine dans l’atmosphère survoltée ambiante. Enfin, quand on parle de douceur, on fait surtout allusion à Michelle et son romantique « Träume haben Flügel » car ensuite on a changé de registre avec l’irruption volcanique de la star incontestable de ces Olé Parties 2017 : Mia Julia.
Cette jeune demoiselle était jadis connue sous son pseudonyme de Mia Magma comme actrice pornographique bavaroise (évidemment…), avant de se reconvertir dans la Schlagerparade. On dira qu’elle brille davantage par son énergie et sa plastique que par le timbre de sa voix et la qualité de ses compositions, consistant surtout à haranguer la foule à grand coup de « Mallorca, Mallorca ». On la verrait davantage en monitrice de Zumba qu’en chanteuse à succès… Mais une fois sur scène, il est difficile d’expulser Mia Julia qui s’est fait un malin plaisir de revenir hanter la scène lors de la plupart des concerts suivants pour des duos improbables.
La fin du monde
Heureusement, la fin de soirée était réservée à des vétérans de la Schlager qui en ont sans doute vu d’autres. A commencer par Jürgen Drews et son éternelle veste à paillettes qu’il promène depuis des années sur toutes les scènes d’Allemagne ou de Majorque en construisant des châteaux pour sa dulcinée (« Ich bau dir ein Schloss »). La nuit tombe sur Wischlingen, on ne comprend plus grand-chose à ce qu’il s’y passe, on se retrouve même un moment promu en zone VIP et la foule devient plus clairsemée devant la scène, alors que les fêtards fatigués préfèrent la proximité d’un bar pour les soutenir ou le confort des buttes herbeuses du Revierpark. Néanmoins, la foule se réveille pour reprendre en cœur le « Anthony Modeste » d’Ikke Hüftgold. Comme nous sommes plutôt en bons termes avec le 1. FC Köln, c’est avec plaisir que nous braillons la chanson consacrée à leur futur ex-buteur vedette. Mais on imagine que le « Anthony Modeste » n’a pas dû recevoir le même accueil triomphal lors de Mönchengladbach Olé… Comme la nuit descend sur Wischlingen, sur scène on s’en donne à cœur joie avec les effets pyrotechniques mais il n’y avait pas vraiment besoin de cela pour réchauffer le public déjà en ébullition depuis de longues heures. Et qui désormais connaît par cœur l’hymne officiel des Olé Parties 2017. En même temps, ce n’est pas si compliqué : dès lors que tu appris «feiern, feiern », « Olé Olé » et « Ho, Ho, Ho » tu connais l’essentiel du texte. Comme dit en préambule, ce n’est pas si compliqué la Schlager, cela ne demande pas d’avoir étudié la langue de Goethe jusqu’à l’université, même toi tu dois pouvoir y arriver et faire illusion dans une Olé Party comme si tu étais un fan de Schlager de longue date. C’est à Peter Wackel qu’est revenu l’honneur de clore la soirée avec un « Ladioo » de circonstances. Enfin, on ne sait trop s’il faut parler d’honneur avec une place de fête transformée en champ de bataille, pour ne pas dire dépotoir, où les restes humains gisaient aux côtés des déchets en tous genres, dommage collatéral d’une douzaine d’heures de fiesta échevelée. Bien évidemment, nous n’avons pas fait exception à la règle et sommes rentrés en mode survie en pièces détachées à notre appartement. Un peu (beaucoup) alcoolisés mais euphoriques, des chants et des images pleins la tête. Tu l’auras compris : même sans football, Dortmund sait faire la fête, Olé Dortmund 2017 a vécu et bien vécu et nous avons déjà tous resigné pour Olé Dortmund 2018 !
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