La réalité du football n’est pas toujours très souriante en ce moment dans un sport gangréné par le fric, le business et les magouilles. Heureusement il y a des soirs pour nous rappeler à quel point notre jeu favori peut être merveilleux : spectacle, combat, suspense, rebondissements, émotions, passions, avec au final une victoire du BVB et une Bierdusche générale. Que demande le peuple ? 

Il fait gris sur le Ruhrpott en ce samedi matin. Un vent glacial balaie les rues désertes et désolées de l’Innenstadt-Nord. Mais nous nous armons de courage. C’est devenu une tradition les jours de grand match : la journée débute par une petite heure de footing dans notre quartier avec au menu tous les lieux historiques et fondateurs du Ballspielverein : Borsigplatz, Zum Wildschütz, Hoeschpark-Weiße Wiese, maison natale de Franz Jacobi et Dreifaltigkeitkirche. Ne jamais oublier qui nous sommes ni d’où nous venons.

Würstchenparty

Après une douche glaciale, histoire d’être définitivement réveillés, il est temps pour une petite visite au Fanshop, celui de la Thier-Galerie bien sûr, le moins infesté de touristes, par sa situation planquée au sous-sol de l’ancienne brasserie de la Thier. En ville, les maillots jaunes sont déjà partout : six heures avant le coup d’envoi, on sent déjà régner une atmosphère et une tension un peu particulières, ce n’est pas l’effervescence d’un Derby mais il y a une réelle possibilité d’ébranler un peu la machine commerciale qui domine la Bundesliga sans partage ni émotion depuis six (trop) longues années. Nous entrons dans le premier bar du jour, lui aussi entièrement jaune et noir, les bières s’enchaînent devant la Konferenz de Zweite Liga, l’occasion d’admirer les infects maillots du 1. FC Köln concoctés pour l’ouverture du Karneval (laids mais porte-bonheurs puisque nos potes du Effzeh étrillent Dresde 8-1).

Puis c’est le départ pour le stade : au programme Würstchenparty trois heures avant le match sur notre parking habituel, les saucisses sont englouties en quantités astronomiques, les bières aussi d’ailleurs, une membre de notre Fanclub venue de Saarbrücken offrait les quatre première caisses. Freibier für alle !

La bruine qui humidifiait le Pott en début d’après-midi a cessé et, juste avant d’entrer au stade, un timide rayon de soleil confère au ciel une magnifique couleur jaune au-dessus des structures arachnéennes du côté Süd du Westfalenstadion, le nôtre, alors que le vent pousse de vilains nuages noirs vers le nord où se trouvent les fans bavarois. Prémonitoire ?

Le coup de poker de Kovac

Une fois dans le stade, l’ambiance est déjà énorme. Cela faisait si longtemps que nous n’avions pas accueilli le Rekordmeister avec une telle avance au classement, quatre points, le YNWA, la Mannschaftsaufstellung sont repris avec une vigueur toute particulière. Ceci dit, personne ne sous-estime le Bayern : même s’ils sont en difficultés, les Bavarois ont l’expérience de ce type de match au sommet alors que pour la plupart de nos Jungs, c’est une découverte. Chez nous, sur les 14 joueurs alignés samedi, un seul (Piszczek, Götze étant absent ce jour-là) était déjà présent lors du BVB – Bayern de 2011-2012, la dernière fois qu’ils sont venus au Westfalenstadion avec du retard au classement. En revanche, ils sont huit rescapés (Robben, Ribéry, Boateng, Neuer, Alaba, Müller, plus Hummels et Lewandowski qui jadis portaient les bonnes couleurs) côté bavarois ! Très critiqué ces derniers temps, l’entraîneur Niko Kovac a tenté de revenir aux méthodes qui ont fait son succès à Francfort, à savoir beaucoup d’intensité et un pressing très agressif dès le coup d’envoi, histoire de mettre la pression sur nos Jungs.

Le coup de poker de Favre

Je doute que cette stratégie ait beaucoup surpris Lucien Favre. Pourtant, il n’a pas choisi d’y répondre en musclant son jeu, par exemple en titularisant Delaney. Il a au contraire essayé de déjouer le pressing bavarois par le jeu et la circulation de balle, avec Weigl aligné en Doppelsechs aux côtés de Witsel et Götze en position de centre-avant. Le pari, c’était de laisser passer l’orage puis de pouvoir introduire du muscle au milieu avec Delaney et du punch en attaque avec Alcacer, au moment où la pression bavarois allait se relâcher. Car, le revers de la médaille de l’expérience, c’est une équipe vieillissante et donc incapable de jouer à ce rythme 90 minutes. C’était osé et on doit dire que nous avons parfois douté devant la domination et la pression bavaroises en première mi-temps. Dans les buts, Marvin Hitz remplace Roman Bürki, blessé. On sait que le plan initial de nos dirigeants était plutôt de confier le poste de numéro deux au jeune Dominik Reimann, après la retraite de Roman Weidenfeller. Ils se sont ravisés lorsque Hitz, en fin de contrat à Augsburg, s’est proposé, spontanément et sans indemnité de transfert, pour jouer la sécurité. Et c’était sans doute le bon choix : faire débuter le jeune Reimann, qui ne s’est toujours pas imposé comme titulaire au Holstein Kiel, sans expérience, dans un tel Giganten-Gipfel eût constitué un risque non négligeable. Alors qu’Hitz a rendu une copie propre et sans bavure, plutôt rassurant pour notre défense. Et puis, il faut une nouvelle fois souligner le match énorme réussi par Axel Witsel tant pour colmater les brèches au milieu de terrain aux côtés d’un Julian Weigl en difficultés, que pour ressortir proprement le ballon ; le Belge est vraiment le patron qui faisait tant défaut depuis la retraite de Sebastian Kehl. Enfin, nous étions 81’365 en tribunes (moins quelques Bavarois bien silencieux) pour contenir la pression adverse, des chants incessants, à peine entrecoupés de concerts de sifflets à chaque touche de balle munichoise et d’immenses clameurs à chaque duel gagné.

La douche froide

Si la domination est bavaroise, nos Jungs tiennent plutôt bien le choc. Finalement, à part les simulations et récriminations grotesques de Lewandowski, ce n’est pas si dangereux. Fort heureusement, M. Gräfe, s’il nous a un peu énervés en première mi-temps par sa distribution à notre goût unilatérale de cartons, a été finalement très bon et ne s’est pas laissé abuser par les simagrées de notre ancienne idole polonaise. C’est même Marco Reus qui se procure la première grosse occasion mais, seul devant Neuer, il tire directement sur la muraille (pas si infranchissable que cela) munichoise. Le genre d’occasion à ne pas laisser passer contre l’expérience bavaroise et nous allons être punis lorsque Lewandowski ouvre le score de la tête. Devant nous, dans un Block pourtant rigoureusement interdits aux fans munichois, des spectateurs se lèvent pour célébrer et même se prendre en selfies avec les mines dépitées des fans en arrière-plan. Inutile de dire que cette attitude nous remplit de joie et de bonheur… Le pire, c’est qu’en deuxième mi-temps, ces pitres reviendront avec des écharpes du… BVB et fêteront également nos buts. Ces reventes de billet sur internet sont un vraiment un fléau : on pense à tous les fans qui n’ont pu avoir des tickets et on doit se coltiner ces parasites avec des billets sans doute achetés 300€/pièce sur viagogo. Pathétique.

La douche froide (bis)

Heureusement, nous attaquons face à la Südtribüne en deuxième mi-temps et le pouvoir du mur jaune va emporter les arrogants millionnaires de Bavière. Dès la reprise ou presque, Neuer accroche Reus et Marco transforme le pénalty avec un sang-froid absolu. 1-1, le stade explose et l’ambiance monte encore de deux crans. Le Bayern commence à montrer des signes de fatigue et nos Jungs, portés par les clameurs du peuple jaune et noir, paraissent en mesure d’emballer le match. Mais il ne faut jamais sous-estimer l’expérience du Rekordmeister qui, alors même qu’il paraissait au bord de la rupture, reprend l’avantage sur une jolie combinaison Gnabry-Kimmich-Lewandowski dans un espace pourtant réduit. Niko Kovac déclara après le match que son équipe avait réalisé sa meilleure prestation depuis longtemps et il a sans doute raison. Si le match a été d’aussi grande qualité, c’est aussi parce que nous sommes tombés sur un très bon Bayern, loin de l’équipe en crise parfois décrite, avec un coach qui avait sans doute fait tout juste. Mais une équipe qui doit composer avec un effectif un peu trop mince et que quelques blessures ont rendue vulnérable en raison de la fainéantise de ses dirigeants qui ont oublié d’étoffer le cadre durant l’été. Mais, malgré le classement, il ne faut surtout pas enterrer ce Bayern-là : avec le retour des blessés et quelques renforts durant l’hiver, cela demeure un candidat très sérieux au titre.

Bierdusche

En revanche, Lucien Favre avait des cartouches sur son banc : nos trois jokers Dahoud, Alcacer et Delaney ont tous amené quelque chose et on s’est même payé le luxe de ne pas faire entrer Guerreiro et Pulisic ! Car, passé quelques instants d’incrédulité après la deuxième réussite du mercenaire polonais, la pression schwarzgelb, devient intenable. Les actions s’enchaînent en direction de Neuer, sauvés à deux reprises sur la ligne par ses défenseurs au cours d’un siège en règle devant la Südtribüne. Le bruit est tel qu’on n’arrive plus à se faire entendre de nos voisins. A ce tarif, le Bayern allait bien finir par craquer. Et plutôt deux fois qu’une ! Mahmoud Dahoud décale Lukasz Piszczek sur la droite, son centre trouve Marco Reus qui égalise d’une volée croisée limpide.

Il reste vingt-trois minutes et l’enfer est promis aux Bavarois dans cette ambiance de feu. Et cela virera définitivement à l’hystérie collective lorsque Jadon Sancho récupère une balle près de son poteau de corner sur Ribéry. Marco Reus relaie d’une talonnade géniale pour Axel Witsel qui lance Paco Alcacer. L’Espagnol part seul affronter Neuer qu’il trompe avec sang-froid d’une délicieuse pichenette. Le Westfalenstadion explose définitivement, une gigantesque Bierdusche s’abat sur le Westfalenstadion, y compris en tribune d’honneur. Uli Hoeness et Karl-Heinz Rummenigge n’ont paraît-il guère apprécié. On les rassure : quand ils auront créé leurs Superleague avec Paris, Barcelone, Manchester et quelques autres nababs, ils n’auront plus jamais à subir pareilles ambiances, ils joueront toutes les semaines dans les mêmes arènes aseptisées pour clients dociles. Qu’ils la fassent, leur ligue en carton. Pourvu qu’on n’en soit pas !

La déprime

Treize secondes, c’est le temps qu’a duré l’action du 3-2 victorieux entre la récupération de Sancho et la conclusion d’Alcacer. C’est aussi cela qui était attendu de Lucien Favre : un entraîneur flexible, qui privilégie la conservation du ballon mais qui peut aussi nous mener au succès sur des contre-attaques éclairs. Les dernières minutes nous paraîtront beaucoup plus longues. Nos Jungs soufflent un peu après la formidable débauche d’énergie consentie pour renverser l’ogre bavarois et paraissent partagés entre la volonté d’aller marquer un quatrième but et celle de gérer leur petit but d’avance. En face, le Bayern paraît groggy mais il ne faut jamais sous-estimer une bête blessée. Alors que l’affaire semblait entendue après un ultime corner repoussé sur lequel Neuer avait délaissé sa cage, Lewandowski égalise au bout du bout du Bayern-Zeit. Catastrophe, tout était si parfait, le match, l’ambiance, le scénario, le résultat… Je ne veux pas voir ça : dépité, je rabats mon bonnet schwarzgelb sur les yeux. Après quelques instants d’intense déprime, je sens une main me taper sur l’épaule. « Kopf hoch, Julien, das Tor zählt nicht ». C’est Karli, mon fidèle voisin en Block 85 depuis huit ans, qui m’informe que le but ne compte pas. Hors-jeu. Paraît-il complètement justifié. On l’a échappé belle… Et les chants de reprendre de plus belle, cette fois-ci la victoire est dans la poche.

La fête

On n’essaiera même pas de décrire la liesse qui envahit le Westfalenstadion après le coup de sifflet final, les chants, la ola et les « Wer ist Deutscher Meister, BVB Borussia » devant la Südtribüne. Des instants de grâce qui font oublier tous les moments pénibles vécus avec notre club ces dernières saisons. La fête se poursuit au Lütge Eck, notre bar favori, et respect aux deux fans munichois qui sont restés toute la nuit dans un Kneippe archibondés de fans dortmundois en liesse à enchaîner les tournées de Null Neuner. Mais, malgré l’euphorie générale, je trouve qu’il règne une bonne atmosphère en ville en ce moment : tout le monde profite de l’instant présent mais personne ne s’enflamme ou commence à faire des projections nauséeuses sur le Meisterschale. On est contents d’être là où nous sommes au classement, bien sûr, mais Mönchengladbach, Leipzig, Francfort, Bayern sont toujours là. Mais nous sommes surtout heureux d’avoir retrouvé une équipe qui joue bien et surtout a retrouvé envie, joie de jouer, motivation, combativité et ambitions. Pour la suite, on verra plus tard… Danke Jungs !

 

Catégories : Au Stade

2 commentaires

Logoz Christophe · 16/11/2018 à 13:18

Très bel article, Julien, qui restitue magnifiquement les extraordinaires émotions qu’on a vécues ensemble, et avec tout le peuple jaune et noir, en ce week-end de grâce pour le BVB !

Et content de voir que tu sembles t’être finalement rallié à ma fine analyse, concoctée après environ la huitième bière 😉 et qui ne semblait pas te convaincre sur le moment, comme quoi Lucien s’était volontairement passé de Delanay et Alcacer en première mi-temps pour les introduire au moment qui lui semblerait opportun (cf: ton chapitre intitulé « Le coup de poker de Favre »)

Bien aimé aussi le passage sur la bierdusche reçue par les pontes du Bayern Hoeness et Rumenigge ! Délicieux !

Heja BVB !

P.S. : et merci d’apprendre à tes nombreux lecteurs que l’auteur de ce commentaire avance un âge respectable de 50 ans, aio ! 🙂 🙂 (cf: les dernières photos en fin de ton article)

    Julien Mouquin · 17/11/2018 à 06:55

    J’ai expliqué la stratégie de Lucien, j’ai pas écrit que je la trouvais pertinente. Enfin, un entraîneur qui gagne a toujours raison… Et je croyais que le 50 sur le maillot, c’était ton nombre de buts par saison avec les seniors du FC Echallens.

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