C’est avec le sentiment de s’être fait voler le Derby que les fans ont quitté samedi la Turnhalle d’Herne-West. Pour les Blauen, d’avoir été privé d’une victoire largement méritée par un Marwin Hitz exceptionnel et un manque de réussite certain. Pour nous autres Borussen, d’avoir été privés des ingrédients indispensables à un Derby parce que notre équipe n’a pas joué avec l’envie, l’engagement, la passion et la rage que nous sommes en droit d’attendre d’eux dans un tel match. Nous espérions profiter de ce Derby pour nous remettre sur le chemin du succès, nous sommes au contraire repartis avec bien davantage de doutes et de questions qu’en arrivant.
C’est un 177ème Revierderby sous très haute tension qui se jouait samedi à Herne-West : il marquait en effet le retour des groupes ultras dortmundois à la Turnhalle après cinq ans de suspension. Unity, Jubos et Desperados avaient en effet écopé d’un avertissement après le Derby 2013 et le jet d’engins pyrotechniques qui avaient mis le feu au terrain, avertissement commué en interdiction une année plus tard lorsque 200 d’entre eux avaient envahi, le matin du Derby, le Glückauf-Kampfbahn, le premier stade des Blauen. Une provocation potache et innocente mais qui n’avait pas été du goût des autorités policières. Cinq ans plus tard, la suspension est levée mais la police est sur les dents pour ce retour des ultras. Pourtant, le trajet s’effectue dans un calme relatif avec le Sonderzug jusqu’à la gare de GE, transformée comme d’habitude en camp retranché. Les Borussen envahissent la place qui leur est réservée, derrière la gare, avant de prendre place dans les bus en direction du stade. Comme tout le monde doit faire le trajet ensemble avec l’imposante escorte policière, aucun bus ne quitte la place tant qu’il y reste un seul fan en jaune… Je te laisse imaginer l’interminable attente, dès lors qu’il se trouve toujours un fan pour vite aller chercher une bière, fumer une cigarette ou passer aux toilettes avant le départ des bus… Enfin, deux heures après avoir quitté Dortmund, nous parvenons enfin à la Turnhalle. Pour un trajet d’environ 35 kilomètres, en train et bus. Eliud Kipchoge a couru le marathon plus vite avec ses seuls pieds. Ce sont les joies du Derby !
Le retour des Ultras
Pour marquer leur retour, les Ultras avaient prévu une action « tous en jaune » et, histoire de s’assurer que tout le monde respectait la consigne, un t-shirt collector était vendu devant le stade pour tous les fans ayant effectué le déplacement. Cela permettra de financer un prochain Choreo. L’ambiance est bien entendu chauffée à blanc, nos ultras signent leur retour avec des Pyros dégageant une épaisse fumée jaune. Accessoirement, ça donnait un sale goût à la bière car, une fois de plus, aucune restriction sur l’alcool pour le Derby malgré le contexte tendu, alors qu’on nous l’interdit en Gästeblock lors de certains déplacements tout à fait amicaux, comme par exemple à Freiburg ou Augsburg, va comprendre… Toujours est-il que cela fait plaisir de retrouver un Derby avec des Ultras, cela donne encore un piquant supplémentaire au combat entre les deux grands rivaux du Ruhrpott.
Par contre, les ultras des Blauen se sont surtout distingués en exhibant des banderoles volées à des Fanclubs dortmundois. En soi, cela reste des provocations entre ultras pas bien méchants, si un groupe est assez stupide pour se faire voler sa bannière lors d’un déplacement trop arrosé, tant pis pour lui… Sauf que là, il semble qu’une partie des banderoles aient été dérobées à des groupes absolument pas ultras en fracturant et cambriolant des véhicules lors d’une Sommerfest en 2007, à des kilomètres de tout stade. La bêtise crasse à l’état pur et les mecs arrivent à en tirer un motif de fierté, c’est d’une tristesse. Définitivement, on n’aime pas Sch****.
Les retrouvailles avec Wagner
En fait, les seuls qui n’étaient pas vraiment en mode Derby samedi, c’était nos joueurs. Pourtant, il n’était guère difficile d’imaginer que Schalke allait venir avec beaucoup d’engagement. C’est une vieille connaissance qui préside désormais au destin des Blauen, David Wagner, ancien entraîneur de nos U23, meilleur ami et témoin de mariage de Jürgen Klopp. Il avait fait de l’excellent boulot au début avec nos Amateure, qu’il avait ramené en Dritte Liga. Mais cela s’est gâté par la suite, avec une relégation largement évitable en Regionalliga et, lorsqu’il était parti pour l’Angleterre, notre deuxième équipe était menacée d’une nouvelle relégation, en Oberliga, avant que son successeur Daniel Farke redresse la situation de manière spectaculaire. David Wagner a connu un parcours similaire à Huddersfield : d’abord un conte de fées, une promotion en Premier League et un maintien miraculeux, puis le désastre avec une succession de défaites, un limogeage et une relégation. On peut donc s’interroger sur le succès de la méthode Wagner à long terme mais il n’est arrivé qu’il y a quelques mois à Gelsenkirchen, il se trouve encore dans la période où son discours infuse auprès de ses joueurs.
Car, après une saison 2018-2019 catastrophique et une campagne de transferts estivale pas franchement prometteuse, personne ne s’attendait à voir les Blauen accrocher le peloton de tête de la Bundesliga. Ce n’est pas franchement génial dans le jeu mais ça joue avec beaucoup d’engagement, d’enthousiasme et de dynamisme, on doute que ça suffise pour durer mais samedi cela a été largement suffisant pour copieusement dominer le Derby. Alors que nous étions engagés trois jours plus tôt en Ligue des Champions à Milan, les Blauen avaient eu toute la semaine pour préparer leur Derby et, sans surprise, David Wagner a su faire passer son message et insister sur les qualités de combat, de cœur et d’émotions nécessaires pour gagner le Derby. On n’en dira pas autant pour nos Jungs.
Pas à la hauteur
Clairement, notre équipe n’a pas été à la hauteur des enjeux de ce Derby. Que ce soit dans la passion, dans l’engagement, dans les émotions, dans la volonté, nos Jungs n’ont pas investi ce que nous étions en droit d’attendre dans le Mutter aller Derbys. D’un côté, on avait une bande de jeunes loups et de sans grades, peut-être limités, mais terriblement motivés par l’enjeu et la rivalité, de notre côté, nous avons eu l’impression d’avoir des stars suffisantes qui pensaient que leur seul talent suffirait pour gagner sans trop d’efforts. Cela aurait peut-être pu passer, Sancho se crée la première occasion avec un tir détourné par le gardien Nübel mais ce ne fut qu’un feu de paille. Car ensuite, nos Jungs se sont fait manger dans l’engagement et la volonté par les Knappen. On se demande si nos joueurs se rendent compte de ce que représente au Derby pour les fans, on a eu l’impression d’une équipe déconnectée du club qui descend sur le terrain comme une armée de fonctionnaires pour gagner (et plutôt bien) leur pain mais qui évolue sans passion, sans joie ni émotions.
Nous sommes en particulier déçus de notre capitaine Marco Reus : il a répété durant tout l’été qu’il voulait gagner le titre cette saison, il porte le brassard et c’est le plus Dortmunder de l’effectif ; or, alors que notre équipe traverse une mauvaise passe, il erre comme une âme en peine sur le terrain, au moment même où il devrait tirer son équipe hors de l’ornière. Et Lucien Favre, avec son discours très cartésien et sa volonté de ne pas se laisser emporter par les passions qui entourent le club pour se concentrer sur le terrain, ne paraît pas en mesure de donner une nouvelle impulsion. Pourtant, la solution n’est pas dans des aménagements tactiques ou techniques, ce qu’il nous manque, c’est de retrouver une dynamique positive, un enthousiasme, une joie de jouer, une rage de vaincre, tel que nous les avions connus l’automne dernier.
Le talisman
Roman Bürki grippé, c’est Marwin Hitz qui gardait nos cages et c’est à lui que l’on doit en grande partie de ramener un point d’Herne-West. Jusque-là, notre deuxième gardien suisse présentait un bilan de huit victoires en huit matchs officiels avec le BVB, il a fait baisser un peu sa moyenne avec ce match nul mais on ne saurait lui en tenir rigueur. Car c’est notre vrai porte-bonheur et en plus la chance était avec lui : il a été assisté par ses montants sur un coup de tête de Sané, considéré comme le plus gros flop des transferts de la saison dernière, et une frappe de Serdar, l’infâme provocateur du dernier Derby au Westfalenstadion. Notre gardien suisse a également gagné son duel avec Matondo qui arrivait seul pour nous permettre d’atteindre la pause sur un score nul et vierge très flatteur. Le scénario n’a guère changé en deuxième mi-temps : Schalke continue de gagner les duels et d’être beaucoup plus dangereux, si l’on excepte une frappe enroulée de Sancho qui flirte avec la lucarne. Hitz gagne un nouveau face à face avec Matondo, Burgstaller enlève trop sa reprise et Guerreiro sauve sur sa ligne un essai du même Burgstaller. Et la chance a continué de nous sourire lorsque l’arbitre ignore une main suspecte d’Hazard, fraîchement entré, dans la surface, ce n’était pas volontaire mais on nous a sifflé des pénaltys pour moins que cela la saison dernière, notamment à Berlin et dans le Derby. Tant mieux pour nous cette fois mais il faudra m’expliquer où est la cohérence avec cette VAR.
Frustrant
Il a fallu attendre les vingt dernières minutes pour discerner un léger mieux pour notre BVB. Les Blauen ont commencé à fatiguer et à relâcher leur pressing, on a senti nos Jungs prendre l’ascendant physiquement. En Gästeblock, nous avons eu l’espoir que, après avoir été dominés pendant 70 minutes, nous pourrions réussir à filouter les trois points sur la fin. Mais que nenni : à part un tir de Sancho renvoyé par Nübel, notre légère domination terminale n’a rien donné. Nos Jungs n’ont pas assez investi offensivement et n’ont jamais vraiment réussi à mettre la défense des Blauen sous pression. C’est dommage : j’avais l’impression que nous avions fait le plus dur en arrivant miraculeusement avec ce score nul et vierge à l’amorce du dernier quart d’heure et qu’il y avait la place pour aller cueillir cette Derbysieg que nous convoitions si ardemment. Mais encore eût-il fallut que nos Jungs y mettent un peu plus de rage et de conviction. Tel ne fut pas le cas et c’est donc sur ce 0-0 frustrant que nous quittons la Turnhalle. Il y a toujours tellement d’excitation, de passion et d’enjeux avant le Derby que c’est à chaque fois décevant de se quitter sans but. Même si – maigre consolation – nous avons au moins privé les Blauen de la joie d’une Derbysieg qui eut été méritée. Mais on en attendait clairement plus.
Désolation et espoir
Après la folie du Derby – en tribunes du moins – le retour avec l’Einsatzzug est toujours assez calme, même après une victoire, mais samedi cela ressemblait carrément à un convoi funéraire. C’était clairement l’ambiance des soirs de grandes défaites, nous étions venus pour autre chose.
Après avoir évité les quelques incidents survenus à l’arrivée en gare de Dortmund – je suis sorti côté Nord de la gare et c’est à l’entrée principale que plusieurs fans ont été blessés par la charge de la police après une altercation avec un fan de … Schalke – je débarque en ville. L’ambiance est morose. Les rues sont vides, on ne se bouscule pas dans les bars. J’arrive dans mon Fankneipe préféré, l’endroit aurait dû être bondé un soir de Derby – c’est désert. A peine deux fans endormis sur le bar et un vieux barbu qui joue aux dés avec Thalia, la serveuse, au chômage technique.
Comme toujours, c’est toute une ville qui vit avec son club. Fête avec lui parfois mais souffre aussi avec lui quand ça rigole moins. Pourtant, la situation n’est pas si catastrophique : on n’a pas perdu ce Derby et nous ne sommes qu’à trois points de la tête de la Bundesliga. Et cependant, nous avons l’impression que la ville vient d’être dévastée par la guerre… C’est à la fois la force et la faiblesse de Dortmund : il y a de telles attentes, une telle ferveur, une telle folie autour du BVB que tout prend rapidement des proportions démesurées. Et quand tout ne marche pas comme convenu, la sinistrose arrive rapidement et l’engouement autour du club se transforme en pression négative sur les joueurs. A l’inverse, il suffit de quelques victoires pour que cela se transforme en euphorie qui emporte tout sur son passage. C’est ce qui nous autorise quelques motifs d’espoir pour la suite. On a l’impression que notre équipe n’est pas si loin et qu’il pourrait suffire de peu pour inverser la tendance. Ce Derby aurait pu et dû être une occasion, elle n’a pas été saisie mais peut-être que la victoire arrachée en Pokal contre Mönchengladbach peut constituer ce déclic tant attendu pour remettre notre BVB sur la voie du succès, de la joie et de l’euphorie. A vérifier dès samedi contre Wolfsburg.
0 commentaire