Une kyrielle de blessés, un stade où nous n’avions plus gagné depuis cinq ans en Bundesliga, une bêtise de notre gardien, un pénalty litigieux, une flopée d’occasions ratées,  deux fois un but de retard contre un adversaire réputé hermétique, un terrain difficile : tous les ingrédients étaient réunis samedi à Berlin pour une défaite ou, au mieux, un match nul. Mais nous avons gagné ! Au bout du suspense. Comme c’était bon, merci au football et au Borussia Dortmund de nous faire vivre de telles émotions.

Les rescapés de Berlin. C’est le titre du roman que j’avais emmené avec moi lors du déplacement à Berlin la saison dernière. Cela racontait le périple d’une famille allemande fuyant l’ex-future-Germania et l’arrivée des Russes après la guerre pour trouver refuge en Rhénanie du Nord-Westphalie. Mais peu importe : cette année, les rescapés de Berlin, c’est nous !

Littérature toujours : samedi matin, avant le match, je m’attarde un peu dans la bibliothèque de Hohenzollern à Charlottenburg, le fief des empereurs de Prusse. Les ouvrages sont presque exclusivement en français et je constate qu’il y en a deux consacrés à l’empereur Julien, mon prénom. Il y a également un Lucien, notre entraîneur, en deux volumes. J’y vois un premier présage favorable dans ce déplacement dans la capitale fédérale qui n’avait pas démarré sous les meilleurs auspices : le vendredi soir, dans le train qui m’emmenait à l’aéroport, j’apprends les forfaits de Mario Götze et Paco Alcacer, venant s’ajouter à ceux déjà connus d’Axel Witsel, Maximilian Philipp et Lukasz Piszczek. Déjà que je craignais beaucoup ce déplacement à Berlin contre ce Hertha de Pal Dardai réputé difficile à manœuvrer, alors sans notre guerrier du milieu de terrain et avec une attaque décapitée, cela ressemblait un peu à une mission impossible. Mais impossible n’est pas dortmundois cette saison…

Olympiastadion

En ce moment, nos déplacements footballistiques tournent un peu au cours accéléré d’architecture nazie. Après Nürnberg, nous voici donc dans l’Olympiastadion construit par Albert Speer pour les Jeux Olympiques de 1936. Le stade est toujours aussi imposant, avec son architecture si particulière. Mais cela reste l’un des pèlerinages obligatoires pour tout fan du BVB qui se respecte, tant nous avons écrit quelques-unes des plus belles pages de notre Histoire dans cet endroit. Même si, en Bundesliga, nous n’y avons plus gagné depuis cinq ans. Nous sommes néanmoins 20’000 Borussen à avoir entrepris le déplacement pour encourager nos Jungs. Malgré les absences, l’ambiance est joyeuse et festive. Les organisateurs avaient dû anticiper qu’avec un coup d’envoi à 18h30, le peuple jaune et noir allait débarquer au stade après une journée déjà bien arrosée (et pas seulement par la pluie) : seule de la bière à 2,9‰ est servie dans le stade, c’était fade mais ça a quand même fait l’affaire et ça nous prépare aux Paulaner infecte à 2,5‰ de l’Allianz Arena pour notre prochain déplacement.

Non, Roman…

Au début du match, on pensait que, face à un adversaire aussi compact que le Hertha et avec une attaque pareillement décimée, notre salut viendrait d’une performance défensive impeccable en attendant de saisir une opportunité pour marquer. Mais catastrophe : d’entrée, Roman Bürki relâche un tir de Mittelstädt sur Kalou qui ouvre le score. Notre portier suisse réalise une saison magnifique, il a nous a ramené des points, la frappe a rebondit devant lui et le terrain était détrempé mais ce but, il est quand même pour lui. Et on ne peut pas dire que Roman a choisi son match pour commettre sa boulette, justement le jour où notre équipe paraissait le plus limitée offensivement pour mettre des goals et rattraper le coup. Mais, paradoxalement, ce but a eu le mérite de complètement débrider le match. On n’a pas assisté au match fermé contre un Berlin compact et regroupé devant son but auquel on s’attendait, c’est finalement parti dans tous les sens, avec beaucoup d’espaces et finalement c’était tant mieux pour nous car c’est un schéma de jeu qui nous convient beaucoup mieux.

Mentalitätspieler

Nos Jungs ne sont pas laissés abattre par ce nouveau coup du sort. Bruun Larsen place une première banderille mais le gardien Jarstein détourne sa frappe. Puis Thomas Delaney récupère un ballon au milieu de terrain, s’avance presque sans opposition jusqu’aux seize mètres et place une frappe que Rekik dévie hors de portée de son gardien. La chance nous sourit enfin. Pour le Danois, c’est le deuxième but de la saison. Le premier avait été inscrit à Herne-West contre Schalke. C’est justement pour ce type de match que nous sommes allés chercher Delaney au Werder Brême. Un Mentalitätspieler. Et il a fait honneur à cette réputation en faisant oublier l’absence d’Axel Witsel et en sonnant le signal de la révolte. 1-1, quart d’heure et jeu, balle au centre.

Pénalty ubuesque

Promu centre-avant de fortune, Jakob Bruun Larsen aurait pu nous donner l’avantage dès la 22e mais il tergiverse un peu et sa frappe est détournée par Jarstein. Et au lieu de 1-2, cela allait être 2-1 sur un pénalty ubuesque accordé pour une faute de main de Weigl. Il a bien touché la balle de la main mais le centre de Duda était à bout portant et la main était devant son corps, Julian n’en a en rien tiré avantage sinon celui de se protéger, c’est assez incompréhensible de siffler pénalty là-dessus. Mais Kalou n’en a cure et transforme le péanlty Comme Sancho se heurte une nouvelle fois à Jarstein, c’est avec ce retard d’un but que nous atteignons la pause. Paradoxalement, une bonne mi-temps de nos Jungs, avec pas mal d’occasions mais pas assez de réalisme alors qu’en face Berlin a profité de ses deux seules incursions devant notre but pour marquer deux goals un peu tombés du ciel. Bref, une soirée où tout semblait se liguer contre nous.

Combativité et balles arrêtées

Mais il y quelque chose qui a changé dans notre équipe : lors des trois saisons écoulées, lorsque les événements se liguaient contre nous et que la chance nous tournait le dos, nos Jungs avaient tendance à sombrer dans un certain fatalisme et à vite se résigner. En revanche, depuis le début de cette saison, face à l’adversité, l’injustice, la malchance, nos Jungs ont la capacité de se révolter et de forcer la chance. Ce changement de mentalité n’est pas le moindre des mérites de Lucien Favre et aussi de Sebastian Kehl, qui n’est sans doute pas pour rien dans cette combativité retrouvée. Ainsi, le BVB va égaliser dès la reprise sur un corner magnifiquement tiré par Jadon Sancho et repris par Dan-Axel Zagadou. Je l’écris depuis le début de la saison : notre équipe n’est pas forcément mûre pour maîtriser les matchs de A à Z, elle a besoin de pouvoir de temps à autre compter sur un but sur balles arrêtées pour débloquer ou retourner une situation mal emmanchée. Et cela devient d’autant plus vrai que le championnat arrive dans le money time.

Complètement fou

Cette égalisation précoce va faire basculer la deuxième mi-temps dans l’irrationnel. Cela passe d’un but à l’autre à toute vitesse, les occasions se multiplient, en grande majorité pour le BVB. Mais l’Alte Dame aurait aussi pu reprendre l’avantage lorsque Grujic allume le poteau ou quand Diallo accroche Duda de manière un peu suspecte. Mais un pénalty cadeau par match, cela suffit, M. Dardai ! Cependant, la plupart des occasions sont jaunes et noires, Pulisic et Sancho sont contrés, Jarstein s’interpose une nouvelle fois devant Bruun Larsen, Sancho tire à côté. Puis c’est au tour de Pulisic et d’Hakimi d’avoir le but victorieux au bout du soulier mais cela ne veut toujours pas rentrer.

Dans la Marathon-Tor, les 20’000 Borussen sentent que cette victoire, si précieuse, est à portée de soulier, nous poussons tant et plus nos Jungs, c’est le genre de soirée où tu as tellement envie de voir un but que tu es presque tenté de pénétrer sur la pelouse pour aller pousser la balle au fond. J’adore ces moments avec 11 guerriers sur le terrain, 20’000 dans les tribunes, tous obnubilés par le même objectif : la victoire. C’est dans ces moments de tension extrême que des liens très forts se créent entre une équipe et ses fans. A cinq minutes de la fin, le Hertha est réduit à dix suite à l’expulsion justifiée de Torunarigha pour deux avertissements. La pression jaune et noire augmente encore, Thomas Delaney, quel guerrier, croit marquer le but de la délivrance mais sa frappe magnifique s’écrase sur la latte. Quelle poisse !

La délivrance

Mais il en fallait plus pour décourager nos Jungs, les vagues jaunes et noirs ont continué à déferler en direction des buts berlinois. Et finalement, la délivrance est tombée à la 93ème sur un centre de Jadon Sancho repris par Marco Reus. Enfin, le BVB prend le commandement, 3-2, c’est l’hystérie dans la Marathon-Tor, une immense explosion de joie, de ces moments magiques que seul le football peut provoquer. J’essuie discrètement une larme ou deux.

J’ai longtemps eu des doutes sur le leadership de notre capitaine. Longtemps, Marco ne voulait pas vraiment de ce brassard. Parce qu’il n’avait pas participé, contrairement à beaucoup de ses coéquipiers, aux Meisterschale de 2011 et 2012, parce qu’il avait lui-même trop de doutes sur ses propres blessures pour assumer la responsabilité de l’équipe, parce qu’il avait vu à quel point ce brassard avait plus pesé qu’honoré ses potes Hummels et Schmelzer. Mais, depuis le début de la saison, en retrouvant l’entraîneur qui avait vraiment lancé sa carrière et avec des blessures qui le laissent enfin plus ou moins tranquille, c’est un autre Marco Reus que l’on voit. Ses immenses qualités de joueur sont toujours là mais en plus il s’affirme comme un vrai leader. Dans le jeu mais aussi, et c’est nouveau, dans les vestiaires. Parce qu’il fait désormais partie des anciens, parce qu’il est le plus Dortmundois de l’effectif et parce qu’il veut enfin aller décrocher ce Meisterschale avec le club de son cœur.

Danke Jungs !

Le match s’est terminé dans la confusion avec un Berlin qui termine à 9 suite à l’expulsion d’Ibisevic pour un geste complètement imbécile. Mais ce n’était que péripéties, nous tenions notre victoire et nous l’avons longuement célébrée avec nos Jungs. La fête s’est poursuivie tard dans la nuit dans un BVB-Fankneippe réputé de la Friedrichstrasse, il paraît que Teddy De Beer et Jörg Heinrich y étaient plus tôt dans la journée, l’endroit est bien entendu bondé, l’ambiance est très joyeuse mais ce n’est pas non plus l’émeute à laquelle on aurait pu s’attendre : c’est souvent comme cela après une journée de bière et de football, un match énorme, une tension insoutenable et des émotions incroyables, la fatigue commence à se faire sentir et les fans ont aussi besoin de décompresser. Mais les sourires sont sur tous les visages après avoir vécu un match d’anthologie, un de plus, qui restera, quoiqu’il advienne, dans toutes les mémoires.

Même si nous n’aurons finalement repris la tête de la Bundesliga que pour une journée, avant la victoire 6-0 du Bayern contre Mainz, l’essentiel c’est que notre rêve un peu fou vit toujours. Contre Stuttgart, à Berlin, nous étions tous proches de laisser filer le Rekordmeister mais nous sommes toujours là ! Il est clair que le calendrier, l’effectif, le budget, l’expérience parlent clairement en faveur du Bayern Munich. Avant de penser aux Bavarois, il s’agira d’abord d’éviter le piège Wolfsburg, une équipe imprévisible donc dangereuse. Mais avec les émotions, la joie de jouer, la rage, la solidarité, la combativité qui animent actuellement nos Jungs, rien ne paraît impossible pour cette fin de saison, nous sommes des miraculés et nous n’avons rien à perdre mais tout à gagner. La belle aventure continue et nous sommes fiers de pouvoir la vivre et la partager avec une équipe qui nous procure tant d’émotions !

Catégories : Au Stade

0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *