Au niveau de la qualité de jeu, la Dritte Liga ce n’est pas toujours la panacée. Par contre, pour l’ambiance, on peut y trouver des perles. Comme ce Kaiserslautern – Magdeburg de bas de classement : d’un côté, le deuxième plus grand mur de fans d’Allemagne, de l’autre 4’000 Allemands de l’Est complètement déchainés. Pour l’esthétisme du jeu, on repassera ; pour le bruit en revanche c’était la grande classe.
Flash-back. Nous sommes le 28 avril 2012, stade du Betzenberg à Kaiserslautern, avant-dernière journée de la Bundesliga 2011-2012. Il faut un soleil de plomb et la bière bout presque dans les gobelets. Le Borussia Dortmund se déplace en Pfalz sans pression puisque les Pöhler de Jürgen Klopp sont assurés de leur deuxième Meisterschale d’affilé depuis la victoire obtenue la semaine précédente contre Mönchengladbach. En prévision de la finale de la DFB-Pokal, deux semaines plus tard contre le Bayern Munich, Kloppo aligne une équipe fortement remaniée. Peu utilisé durant la saison, Lucas Barrios signe ses adieux par un triplé, Mario Götze, de retour de blessure, et le joker Ivan Perisic complètent la fête de tir, le Borussia s’impose 5-2. Une défaite qui officialise la relégation du 1. FC Kaiserslautern qui paraissait déjà inéluctable depuis plusieurs semaines. En quittant ce merveilleux stade du Betzenberg pour entamer la descente, j’avais alors pensé « à bientôt, ce n’est pas possible qu’un stade aussi merveilleux s’éternise trop longtemps ailleurs qu’en Bundesliga. » Et pourtant, sept ans plus tard, ce match du 28 avril 2012 reste le dernier disputé à ce jour au Betzenberg en Bundesliga. Je retrouve l’antre mythique du 1. FCK mais c’est pour un match de troisième division…
La descente aux enfers
Pourtant, la saison suivante, en 2012-2013, Kaiserslautern postule pour un retour immédiat en Bundesliga : les Rote Teufel terminent troisième de la Zweite Liga et s’offrent un barrage de promotion contre l’antépénultième de Buli. Cela aurait dû être un Düsseldorf en pleine dégringolade mais, lors de la dernière journée, Dortmund, en pleine préparation pour la finale de Ligue des Champions, s’incline dans les dernières minutes à domicile contre Hoffenheim et rate une occasion historique de se débarrasser de l’imposture de Dietmar Hopp. Ainsi, plutôt qu’un Düsseldorf à l’agonie, Kaiserslautern doit affronter un Hoffenheim regonflé à bloc par le sursis miraculeux décroché au Westfalenstadion. Et, grande tragédie pour le foot allemand, les Kraichgauer l’emportent. Or, pour un grand club historique relégué en Zweite Liga, il est essentiel de remonter dès la première saison car tu peux supporter une saison en catégorie inférieure en gardant plus ou moins un budget d’élite, davantage c’est compliqué en raison de la grande différence des droits TV entre première et deuxième division.
Le 1. FCK entame alors sa descente aux enfers. 4e en 2014 et 2015, 19e en 2016, 13e en 2017 et enfin la relégation en Dritte Liga 2018. Kaiserslautern est une ville de moins de 100’000 habitants, même pas dans les 80 cités les plus peuplées d’Allemagne, sans grande industrie, et au milieu d’une région de colline boisées, de bases aériennes américaines et de vignes (un détour matinal au marché nous enseigne que, si le raisin de Pfalz ne produit pas des vins très réputés, il est exquis à déguster). Bref, malgré le poids de ses traditions, de ses quatre titres de champions d’Allemagne (le dernier en 1998), la passion de ses fans, son stade exceptionnel, malgré les légendes qui y ont joué, de Miroslav Klose à Michael Ballack en passant par Youri Djorkaeff, Andreas Brehme, Mario Basler, Stefan Kuntz et bien sûr la légende Fritz Walter, omniprésente du hall de l’hôtel au stade qui porte son nom, Kaiserslautern végète désormais en troisième division. Aux problèmes sportifs se sont ajoutés des problèmes financiers et le 1. FCK ne paraît pas prêt de voir le bout du tunnel et de retrouver la place qui est la sienne. En Bundesliga.
Une embellie sans lendemain
Pourtant, à Kaiserslautern, la saison a débuté sur une lueur d’espoir : au 1er tour de la Pokal, le 1. FCK reçoit le rival du Rheinland-Pfalz, le FSV Mainz 05. Pendant longtemps Kaiserslautern a constitué l’équipe phare du Land alors que Mainz n’était qu’une équipe anonyme végétant dans les ligues inférieures. Mais, depuis, le rapport de force s’est inversé. Jürgen Klopp, Jørn Andersen, Thomas Tuchel et leurs successeurs ont établi le Karnevalsverein en Bundesliga pendant que Kaiserslautern sombrait. Mayence, la capitale du Land, beaucoup plus peuplée, avec plus d’industries et notamment la proximité des usines OPEL à Rüsselsheim. Et, malheureusement, dans le football moderne, le romantisme et la tradition doivent souvent céder le pas à des vulgaires réalités socio-économiques. Pourtant, l’espace d’un match, Kaiserslautern, pensionnaire de Dritte Liga, a renoué avec sa suprématie ancestrale sur le Rheinland-Pfalz en dominant le Bundesligiste Mainz 2-0 devant plus de 45’000 fans en délire. Mais l’euphorie n’a guère duré : derrière, les Rote Teufel étaient battu 0-3 à domicile par Braunschweig et surtout il y a eu cette affreuse défaite 6-1 juste avant ce match contre Magdeburg sur la pelouse du néo-promu Meppen. Et déjà la fin de l’aventure pour l’entraîneur Sascha Hildmann. Contre Magdeburg, Kaiserslautern intronise donc un nouvel entraîneur, Boris Schommers. Une vieille connaissance : c’est lui qui avait été chargé (en vain) de sauver le 1. FC Nürnberg ce printemps et il avait débuté son mandat en Franconie par un 0-0 de sinistre mémoire contre le BVB.
Les démons bleus
En face, c’est donc le 1. FC Magdeburg, ancienne gloire de l’ex-RDA, ancien vainqueur de Coupe d’Europe (la C2, 2-0 en finale contre l’AC Milan en 1974). Depuis la réunification, l’équipe de Saxe-Anhalt galère. Il y a pourtant eu un espoir de renouveau avec une promotion en Zweite Liga au printemps 2018 mais las, une année plus tard le FCM était de retour à la case Dritte Liga après une relégation qui paraissait largement évitable. Et pourtant, ils sont environ 4’000 à avoir accompagné leur équipe pour le long déplacement de la Pfalz ! 4’000 fous furieux qui ont fait un bruit incroyable durant tout le match, des chorégraphies impeccables suivies par tout le bloc, des chants qui claquent dans le ciel azur du Betzenberg, une passion incroyable. Et l’on parle juste d’un match de deuxième moitié de classement de Dritte Liga ! Au début du match, les mecs étaient tout de bleu ciel vêtus, les couleurs du club, mais le soleil cogne fort dans le Gästeblock du Betzenberg (je l’ai déjà vécu, je confirme), alors ils sont passés au blanc de leurs torses nus puis, une heure plus tard, au rouge des coups de soleil. Mais c’est tellement beau cette passion : même avec le BVB c’est très rare que l’on retrouve une telle intensité dans un Gästeblock.
Le mur rouge
Les inconditionnels du 1. FC Magdeburg ont même réussi à éclipser ceux du 1. FC Kaiserslautern. Et pourtant, le virage ouest du Betzenberg constitue le plus grand virage de fans d’Allemagne après la Südtribüne du Westfalenstadion. Malheureusement, cette Westkurve est loin d’afficher complet. Alors qu’il y avait encore plus de 36’000 fans deux semaines plut tôt lors du Süd-West Derby contre Mannheim, l’affluence atteint tout juste les 20’000 fans pour la venue de Magdeburg. Ce qui reste tout de même fort respectable pour de la Dritte Liga. Mais le naufrage à Meppen a laissé des traces. Après une nuit en prison (en fait, notre hôtel) et un apéro au jardin japonais attenant, j’entreprends l’ascension de la colline du Betzenberg au sommet duquel se trouve le stade. Et même si les fans locaux sont un peu fâchés avec leur équipe favorite, je ne suis pas déçu de l’ambiance, surtout, il faut le dire, grâce aux 4’000 Saxons encore en bleu ciel.
Le contenant et le contenu
L’emballage est magnifique, le contenu l’est un peu moins. La Dritte Liga ne propose pas toujours une qualité de jeu dix-huit carats, surtout dans les profondeurs du classement entre une équipe en crise et une autre fraîchement reléguée. Kaiserslautern est en quête de rachat devant son public et avec un nouvel entraîneur. Mais les Diables Rouges sont manifestement en manque total de confiance. Même les gestes simples paraissent compliqués et leur jeu reste terriblement improductif. Finalement, ils sont tout contents d’atteindre la pause (sous les sifflets d’une partie de leur fans) sur un score nul et vierge car Magdeburg, bien que dominé et plutôt attentiste, s’est procuré les meilleures occasions de la première période : deux frappe non cadrées de Bertram et Jakobsen ainsi qu’un centre de Beck manqué d’un rien par Rother. Après la pause et en attaquant devant son mur rouge, Kaiserslautern est plus incisif. Dès la reprise, les Rote Teufel adressent leurs deux premières frappes en direction du but adverse, c’est loin du cadre mais c’est déjà un début. Et cela se rapproche quelques minutes plus tard avec cette fois-ci un essai qui flirte avec le poteau.
Qui s’y frotte s’y Pick
Et finalement, les Rote Teufel vont être récompensé de leurs efforts : comme un éclair dans la grisaille du jeu du 1. FCK, Christian Kühlwetter réussit une passe lumineuse pour son coéquipier Florian Pick qui ajuste sans problème le gardien adverse. 1-0 et une clameur libératrice jaillit de la monumentale Westkurve. C’est la seule fois de l’après-midi où les fans du 1. FCK auront vraiment pu couvrir les vociférations incessantes des 4000 Allemands de l’Est. Quand je vais voir ces grands clubs en difficultés, j’essaie de les soutenir à ma manière : c’est-à-dire en achetant un maillot du club local, un de plus à ma collection. Comme je ne connais généralement pas trop leurs joueurs, je fais souvent preuve de créativité au moment de floquer ledit maillot. Généralement en me fiant au patronyme uniquement. Là, au Fanshop du 1. FCK, j’avoue avoir longtemps hésité entre Skarlatidis, le futur buteur Pick et Kühlwetter. Finalement, vu la température estivale sur la Pfalz, j’opte ironiquement pour le 24 Kühlwetter, temps frais. A défaut du buteur, j’ai donc la satisfaction d’arborer le maillot du passeur et accessoirement le maillot le plus vendu du jour si j’en crois les coches effectuées par le préposé au flocage à chaque maillot vendu.
La Bundesliga, c’est pas pour tout de suite
Il restait moins d’une demi-heure et cette ouverture du score va inciter Magdeburg à sortir de sa torpeur. Le gardien du 1. FCK Grill (et je ne parle pas de la Currywurst, par ailleurs excellente) réussit le premier arrêt d’un portier du match. Mais il doit s’avouer vaincu sur un corner prolongé au premier poteau et repris à bout portant au deuxième par le défenseur Tobias Müller. Kaiserslautern n’a donc pu conserver son avantage qu’un petit quart d’heure. Et le peu de confiance retrouvé avec l’ouverture du score s’est envolé avec cette égalisation. C’est donc Magdeburg qui va passer le plus près de la victoire dans les dix dernières minutes mais Lennart Grill sauve devant Chahed et Rother manque la balle de match dans les arrêts de jeu. Au final, l’opération rachat n’a donc pas vraiment fonctionné pour Kaiserslautern avec ce match nul à domicile contre un adversaire situé juste devant lui au classement. Le match se termine donc davantage sous les sifflets que sous les vivats, sauf dans les fans du 1. FC Magdeburg, évidemment toujours aussi déchaînés. Malheureusement, au vu du niveau de jeu affiché et des perspectives financières du 1. FCK, j’ai bien peur que nous ne soyons pas prêts de revenir dans ce somptueux Betzenberg avec le BVB avant longtemps. C’est bien dommage, car entre ce stade magnifique, cette ferveur certes un peu désabusée mais qui ne demande qu’à sa rallumer et la folie des fans de Magdeburg, il y a des clubs que l’on aimerait nettement mieux voir en Bundesliga que certaines impostures qui y résident actuellement – inutile de citer des noms…
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