Samedi, le match entre le RB Leipzig et le Borussia Dortmund constituera bien sûr une affiche inédite puisque c’est tout simplement le premier match à domicile du jouet de Red Bull en Bundesliga. Pourtant, le BVB s’était déjà rendu à la Red Bull Arena à l’automne 2013 mais avec sa deuxième équipe. Nous avions alors fait la folie d’un déplacement de 1400 kilomètres pour un match de Dritte Liga. Retour.
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Le déplacement improbable
Total verrückt, complètement fou : c’est généralement ce que je m’entends répondre quand je relate mes diverses pérégrinations footballistiques. Ce qui choque mes potes suisses-allemands fans du Borussia Dortmund, ce n’est pas tant la longueur de mes déplacements, ils font les mêmes, mais bien leur fréquence. Ils estiment qu’une saison à 20 matchs est une grosse saison de déplacement, je dépasse régulièrement les 40… Pour mes amis allemands, ce n’est pas tant la fréquence qui impressionne, certains sont tout aussi assidus, mais les distances : pour eux, un match à domicile c’est 10 ou 20 kilomètres de trajet, pas 1440 aller-retour. Mais la folie, ça doit être évolutif. Et puis aujourd’hui, ça n’a plus beaucoup de panache d’aller voir un match du BVB à domicile (je l’écrivais déjà en 2013 !) : c’est devenu à la mode, ça attire les touristes et tu as la garantie de voir du spectacle, des joueurs de classe mondiale, des buts, une équipe qui lutte pour le titre, une ambiance sans pareille en Europe et, le plus souvent, une victoire. C’était beaucoup plus rock n’roll à l’époque où le club luttait dans l’anonymat du ventre mou du classement avec des joueurs du style Kruska, Degen, Brzenska, Buckley, Klimowicz, Kringe ou Amedick et où tu assistais le plus souvent à un match médiocre et repartais frustré du résultat. Cette époque-là étant révolue, il faut bien trouver une nouvelle folie et, en l’occurrence, l’idée c’est d’aller jusqu’à Leipzig pour voir jouer l’équipe réserve du club, les moins de 23 ans, qui militent en troisième division. Total verrückt.
Traditionsverein vs. Werksklub
Il faut dire que l’affiche du jour, RB Leipzig – Borussia Dortmund U-23 flattait ma vision volontiers manichéenne du football. En Allemagne, on oppose les Traditionsvereine aux Werksklubs. Dans la première catégorie, on trouve les clubs historiques du pays qui se caractérisent par une très longue présence au sommet et un fort attachement populaire, quelques soient les résultats. Les seconds sont apparus beaucoup plus récemment en Bundesliga, ne jouissent pas d’une grande assise populaire et leur ascension, souvent fulgurante, n’a été rendue possible que par l’apport financier conséquent d’un mécène ou d’un sponsor fortuné. Dortmund est à la pointe de la défense des Traditionsvereine, aussi bien dans les tribunes populeuses que dans les bureaux feutrés. Le directeur général du club Hans-Joachim Watzke considère qu’une présence trop massive de Werksklubs serait une menace pour l’attractivité de la Bundesliga et réclame, en vain jusque-là, que la répartition des droits TV tienne mieux compte du rôle essentiel des Traditionsvereine dans le formidable succès populaire de la Buli. Dans les gradins, les fans borussen sont les plus virulents à dénoncer, chants et banderoles à l’appui, l’arrivée inopinée de clubs complètement artificiels comme le RB Leipzig ou Hoffenheim.
Le pari fou de Red Bull
Le patron de Red Bull Dietrich Mateschitz, s’est mis en tête de monter une équipe jouant la Ligue des Champions à Leipzig. Mais les deux clubs historiques de la ville, alors en quatrième division, le Sachsen et le Lokomotive, ont refusé les millions du taureau autrichien pour sauver leur âme. Aujourd’hui, ils ont perdu à peu près tout le reste puisque le Sachsen a fait faillite (il a été remplacés par le Chemie Leipzig qui est en fait l’ancien nom du Sachsen qui avait réutilisé, avant même la faillite du Sachsen, pour créer une nouvelle entité, c’est compliqué le foot en ex-RDA) et le Lokomotive est en Regionalliga (quatrième division), après avoir même tâté de l’Oberliga (cinquième). Red Bull s’est rabattu sur un club de cinquième division de la banlieue de Leipzig, SSV Markranstädt, rapidement renommé RasenBallsport Leipzig et rapatrié sur le grand stade de la ville saxonne. Après avoir fêté la promotion en quatrième division pour sa première saison, le RB Leipzig a vu sa folle ascension freinée en ratant la promotion au profit de Traditionsvereine historiques de l’ex-RDA, Chemnitz en 2011 et Hallescher FC en 2012. En 2013, Red Bull va parvenir à ses fins : après survolé la Regionalliga Nordost, le RB s’est imposé en barrage contre le champion de la Regionalliga West, Sportfreunde Lotte : vainqueur 2-0 à l’aller devant 30’000 spectateurs, le jouet de Dietrich Mateschitz s’était fait peur au retour en perdant 2-0 dans les arrêts de jeu mais avait fini par passer l’épaule en prolongations.
Paradoxalement, ce passage de quatrième en troisième division était peut-être l’étape la plus compliquée de l’ascension du taureau vers les sommets. Car la Regionnalliga est une jungle avec seulement trois promus pour cinq groupes alors qu’il y a deux promus et demi pour un seul groupe de Dritte Liga. Accessoirement, même avec du pognon, il n’est pas facile de recruter des joueurs de qualité dans un championnat essentiellement amateur et aux ambiances souvent champêtres comme la Regionalliga, alors que la Dritte Liga constitue déjà une ligue professionnelle (officieusement du moins) avec des affluences avoisinant souvent les 10’000 fans. En son temps, Hoffenheim était passé en deux saisons de Dritte Liga en Bundesliga…
Des nouveaux amis
Ma dernière folie implique de prendre un train à 6h30 du matin, au lendemain d’une grande victoire du BVB et d’une soirée arrosée au Lütge-Eck et Anton’s Bierkönig. Comme j’ai davantage passé à l’hôtel pour récupérer mes affaires que pour y dormir, j’espérais goûter un repos bien mérité durant le trajet. Mais je n’avais pas prévu que le train serait bondé de fans de Schalke allant voir leur équipe à Berlin ; quand l’un d’entre eux me voit passer avec ma Brinkhoff’s (à 7h, je suis toujours en mode fin de soirée) et mon t-shirt Deutscher Meister 2011, il me demande si le carnaval est avancé cette année. Je riposte en lui faisant gracieusement don de mon exemplaire du Bild innocemment ouvert sur la page du classement de la Bundesliga où le BVB occupe la tête du classement. Pareillement entouré d’ennemis, il n’était évidemment plus question de dormir. Le but de mon voyage m’attire tout de même un certain respect et on finit par devenir « amis » avec les Blauen. Enfin, presque, car, quand je descends prendre ma correspondance à Magdeburg, l’un d’eux sort du train pour brailler un chant à la gloire de Schalke à mon intention. Je réplique en sautillant des « Derbysieger, Derbysieger Hey ! Hey ! », comme ça, à 10h du matin, sur le quai de la gare à Magdeburg, tout seul, n’ayant pas réussi à trouver une bonne âme à embarquer dans cette aventure. Total verrückt.
Les restes de la colère de Dieu
J’avais découvert ce stade de Leipzig lors d’Ukraine – Espagne (donc déjà vêtu d’un maillot jaune) en Coupe du Monde 2006, c’est l’un des plus originaux qu’il m’ait été donné de voir. En effet, le nouveau Zentralstadion a été bâti dans la cuvette de l’ancien, une monstruosité communiste qui détient toujours le record d’affluence pour du football en Allemagne avec 110’000 spectateurs. Pour y accéder, on escalade les tribunes réengazonnées de l’ancien édifice et on traverse une passerelle jusqu’à la nouvelle arène. On est tout de même environ 1500 fans du BVB à avoir fait le déplacement. Certains fans interdits de stade pour la première équipe sont autorisés à assister aux matchs de la réserve et ne s’en privent pas. On trouve donc des dégaines assez intéressantes, sociologiquement parlant, dans ce Gästeblock : des crânés rasés, des piercings et tatouages en tous genres, des bides énormes, des cicatrices spectaculaires, des t-shirt improbables célébrant des vieilles victoires oubliées, des rivalités ancestrales ou des amitiés depuis longtemps révolues. Je crois un instant repérer un fan normal, un père de famille avec sa fille, avant de m’apercevoir qu’il arbore fièrement un bandana « Yakuza » et « Fuck you »… Note, je ne dépareille pas trop là au milieu avec mes joues mal rasées, ma mine de déterré qui n’a pas dormi depuis deux jours et un vieux maillot délavé même pas floqué acheté dans l’euphorie d’une égalisation à la dernière minute d’un Derby de légende. Sur le coup, pour cette virée est-allemande, je n’ai qu’un lointain cousinage avec le notable affable du champêtre Gros-de-Vaud suisse en complet-cravate presque impeccable que je suis le reste de la semaine… Et pour s’éviter des regards soupçonneux dans ce Block licencieux, il est a priori impératif d’avoir en permanence une choppe dans chaque main, je m’exécute de bon gré. La bière locale, la Ur-Krostitzer Feinherbes Pilsner est un peu fade, je me demande même un temps si elle est alcoolisée mais une ascension laborieuse des escaliers à la fin du match me confirmera que oui. Total verrückt.
Red Bull a des fans !
Fatalement, lorsque cet aréopage de mauvaise graine endurcie se fait allumer par les fils à papa d’en face, ces fans du Red Bull qui ont découvert le football deux ou trois ans auparavant, la réplique fuse, cinglante et peu amène. Je doute que beaucoup d’équipes réserves puissent se targuer d’un tel soutien en déplacement. Ceci dit, on relèvera quand même que les affluences du Red Bull Leipzig excèdent régulièrement les 10’000 spectateurs, c’est respectable en troisième division. Après, bien sûr, on aura toujours davantage de respect pour les fans d’une Traditionsverein qui continuent de suivre leur club en difficultés que pour des clients opportunistes appâtés par la perspective de victoires et promotions faciles. Néanmoins, le projet de RB Leipzig fait toujours plus de sens que celui d’Hoffenheim. Là où Dietmar Hopp a bâti un club sur du vent au milieu de nulle part, Dietrich Mateschitz a créé un club certes complètement artificiel, mais au moins dans une ville d’un demi-million d’habitants avec une antique tradition de football et un stade existant de 45’000 places. A terme, le pari peut être gagné et les millions de Red Bull sont peut-être le prix à payer pour que l’Allemagne de l’Est puisse à nouveau être représentée en Bundesliga. Mais le pied de nez qui verrait Union Berlin, le club de quartier des cheminots de Berlin-Est, actuel deuxième en Zweite Liga, arriver dans la grande ligue avant le RB dont il est l’exacte antithèse m’amuserait beaucoup (malheureusement, cela ne s’est pas produit).
Red Bull s’est donné les moyens de ses ambitions et vise clairement la Zweite Liga dès cette saison en alignant quelques anciens joueurs de Buli comme Tim Sebastian (ex-Rostock et Karslruhe), Juri Judt (ex-Nürnberg) ou Bastian Schulz (ex-Hanovre et Kaiserslautern) et même un ancien international suisse : Fabio Coltorti. L’ancienne doublure d’Anthony Favre à la Pontaise dispute sa deuxième saison à Leipzig qu’il a rejoint après son départ du LS. On imagine qu’il doit y trouver son compte financièrement car sportivement la Regionalliga ça n’a pas dû être folichon tous les week-ends. Toutefois, l’ancien portier de la Nati a encore quelques années devant lui et, si Leipzig ne traîne pas trop en route, il peut espérer finir sa carrière en apothéose dans le meilleur championnat du monde (ce sera le cas mais comme deuxième gardien).
La mauvaise sortie de Zlatan
Seule équipe réserve d’Allemagne à avoir l’honneur de la Dritte Liga en 2013-2014 avec celle de Stuttgart, la II du BVB n’ambitionne elle rien d’autre que le maintien. C’est donc assez logiquement que l’ambitieux RB Leipzig prend le match en main et trouve rapidement l’ouverture sur une sortie téméraire du gardien dortmudois Zlatan Alomerovic qui permet au Danois Yussuf Poulsen (aucun lien avec l’ancien partenaire de Stéphane Chapuisat en attaque du Borussia Dortmund) d’ouvrir la marque dans le but vide. Sur l’engagement ou presque, Marvin Ducksch, déjà buteur la même saison avec l’équipe fanion du BVB en Coupe à Wilhelmshaven, a la balle d’égalisation mais est contré au moment de frapper. Le tournant du match, déjà. Car par la suite, les ambitieux Roten Bullen vont asseoir leur domination et la jeune garde dortmundoise peut s’estimer heureuse d’atteindre la pause avec un seul but de retard. L’introduction d’un deuxième attaquant à la mi-temps semble instiguer un vent de révolte mais Fabio Coltorti capte assez facilement les quelques frappes adressées dans sa direction. On est bien plus proche du 2-0 avec quatre tentatives locales qui flirtent avec les montants mais plus rien ne sera marqué. On a bien cru au pénalty lorsque Balint Bajner s’est fait balancer dans la surface mais l’arbitre, M. Stein, reste de marbre, ou plutôt de pierre, comme les statues d’éphèbes nus qui ornent le parvis du Zentralstadion, derniers vestiges d’un lointain passé soviétique. Mais c’est l’occasion de poster, pour une fois, une photo à l’intention de notre lectorat féminin (s’il existe).
Total verrückt
Au final, on en reste donc sur ce score de 1-0 finalement assez conforme aux ambitions bien différentes des deux formations. On n’aura donc pas eu la victoire espérée et morale des jeunes espoirs au grand cœur et aux fans déjantés sur la machine à pognon artificielle du milliardaire autrichien. Tant pis. On réserve quand même une ovation à notre équipe qui s’est bien battue et qui conserve une marge confortable sur la zone de relégation (nos Amas obtiendront le maintien cette saison-là, avant d’être relégués en 2014-2015). Les jeunes fans du Red Bull connaissent leurs premiers émois de supporters puisque leur club profite de la défaite de Darmstadt 98 pour s’emparer de la deuxième place du classement, synonyme de promotion directe, derrière l’intouchable leader Heidenheim. Le déplacement à Darmstadt le week-end prochain pourrait donc rapprocher encore un tout petit peu les Roten Bullen de leurs rêves de Ligue des Champions (effectivement, le RB sera promu cette saison là en Zweite Liga avant de rejoindre la Bundesliga deux ans plus tard). Quant à moi, je conclus cette sympathique après-midi de football en regardant la Bundesliga-Konferenz sur Sky en espérant une bonne surprise et un échec du Bayern à Hoffenheim. J’y ai cru, j’étais même en train de regarder la carte pour offrir le champagne à tout le bar si le BVB restait en tête du classement après cette journée au moment où le Rekordmeister a forcé la décision. Les buts hideux des Bavarois auront au moins préservé mes finances car je n’avais aperçu que la salle où se trouvaient les écrans mais en fait le pub faisait quatre étages et était pas mal rempli, ça aurait fait cher la tournée générale. Total verrückt.
RB Leipzig – Borussia Dortmund II 1-0 (1-0).
Red-Bull-Arena, 11’477 spectateurs.
Arbitre: M. Stein.
But : 12e Poulsen (1-0).
RB Leipzig: Coltorti; Judt, Willers, F. Franke, Heidinger; Kaiser, Ernst, Thomalla (79e Fandrich), Kimmich (86e Sebastian); Poulsen, Frahn (90e B. Schulz).
Dortmund U-23: Alomerovic; Hornschuh, Sarr, Meissner, Bandowski; Solga (46e Bajner), Amini (79e Nyarko); Treude (86e Özbek), Jordanov, Harder; Ducksch.
Cartons jaunes: 22e Kaiser, 44e Solga, 78e Ducksch.
En regardant les compositions, on s’aperçoit qu’aucun de nos Jungs de l’époque n’est parvenu à se faire sa place en première équipe du BVB. Ce n’est pas vraiment une surprise, nos meilleurs espoirs, on l’a vu avec Passlack et Pulisic, passent directement de M-19 aux Profis, sans passer par le case U-23. A Leipzig, moins de trois ans plus tard, seuls trois joueurs sont encore là, le gardien suisse Coltorti (désormais n°2), le capitaine Kaiser et le buteur danois Poulsen. Tous les autres héros de la promotion ont été sacrifiés sur l’autel des ambitions mégalomaniaques de Red Bull. Belle reconnaissance !
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