Nous avons profité de notre séjour à Berlin pour aller visiter le match au sommet de la Regionalliga Nordost. Un vieux stade historique, le deuxième du classement qui reçoit le premier, un club multiculturel de quartier qui accueille des supporters qui défraient régulièrement la chronique pour leurs tendances d’extrême-droite : l’affiche sentait le souffre. Mais finalement, il n’y a rien eu de particulier à signaler, sinon la défaite du leader et un but d’anthologie d’un ex-espoir du football allemand.
Berlin, lendemain d’une grande victoire du Borussia Dortmund. Les fans jaunes et noirs sont encore présents en masse dans la capitale fédérale, devant le Reichstag, la porte de Brandebourg ou dans la gare centrale, en partance pour le retour en NRW, sourire aux lèvres.
Mais moi j’avais mon avion un peu plus tard dans la journée et je décide donc de me rendre de l’autre côté de la gare, là où ne vont pas les touristes, direction Moabit, un quartier populaire du centre de Berlin. Un quartier qui respire le football : dès mon arrivée, un match de juniors et un match féminin se déroulent sur les terrains synthétiques annexes au stade.
Poststadion
Le stade en question, c’est le Poststadion, nommé ainsi parce qu’il accueillait originellement l’équipe des employés de la Reichspost (la Poste de l’Empire). Une pancarte à l’entrée du site indique que le Poststadion fut le stade le plus moderne de Berlin… jusqu’en 1936. Le vieux stade historique de la capitale, c’était le Deutsches Stadion. Mais celui-ci a été détruit pour faire place à l’Olympiastadion, construit sur le même site pour les JO. C’est pendant ces travaux de construction que le Poststadion, dont la construction s’est terminée en 1929, a connu ses heures de gloire : il a accueilli deux fois la finale du championnat d’Allemagne, en 1934 avec la victoire de Schalke contre Nürnberg (2-1) et en 1936 avec le sacre de Nürnberg face à Düsseldorf (2-1 ap. prol.). Mais le match le plus célèbre qui s’est joué au Poststadion, c’est bien sûr l’élimination de l’Allemagne nazie réputée invincible contre la modeste Norvège (0-2), devant 55’000 spectateurs dont tous les dignitaires du IIIe Reich, y compris Adolf Hitler, qui avait quitté le stade ulcéré par la défaite de ses champions. La légende prétend même que c’est le seul match de football auquel le Führer aie jamais assisté. C’est aussi la défaite qui a coûté sa place en équipe d’Allemagne à notre Blonde Legende August Lenz.
Hurrah, hurrah, die Borussen sind da
Aujourd’hui, le Poststadion n’est plus que le cinquième stade de Berlin, derrière l’Olympiastadion, l’Alte Försterei (Union), le Friedrich-Ludvig-Jahn-Sportpark (Dynamo) et le Mommsenstadion (Tennis Borussia). La capacité du stade a été ramenée à 10’000 places. Seule une tribune a été réhabilitée, après les bombardements subis à la fin de la guerre. En face, quelques rangées de siège non couverts ont été installées dans la pente des anciens gradins, alors que derrière un but il subsiste quelques gradins en béton. Au-delà de l’enceinte actuelle, on distingue les ruines des anciennes tribunes, aujourd’hui envahies par la végétation. L’unique baraque en bois vendant les billets est ornée d’un autocollant « Für immer Westfalenstadion » alors que les sanitaires sont également joyeusement teintés de stickers à la gloire du BVB. Pourtant, je n’ai pas souvenir qu’on ait joué une fois dans ce stade, si quelqu’un peut m’aider… Mais c’est aussi possible que ce soit des fans en mode touristes qui aient profité de leur visite pour refaire la décoration. Je constate d’ailleurs avec plaisir la présence de quelques écharpes et vestes du Borussia en tribune : je ne suis pas le seul ravagé à profiter de notre visite dans la capitale pour s’infliger un match de quatrième division au lendemain de notre victoire héroïque de l’Olympiastadion.
Berliner AK 07
Plusieurs équipes résident actuellement au Poststadion et la meilleure d’entre elle, c’est le Berliner Athletik-Klub 07 Berlin. Il s’agit d’un club modeste de quartier qui a longtemps végété dans les ligues régionales. En 2007, le club a fusionné avec un autre club de quartier, le SV Yeşilyurt. Les deux entités étant composées à forte majorité de joueurs d’origine turque, l’objectif était de créer un club multiculturel, avec le soutien financier du club de la capitale ottomane, Ankaraspor. Le BAK 07 Berlin a ainsi été rebaptisé Berliner Ankaraspor Kulübü 07 et a troqué des couleurs originelles rouges et blanches contre le bleu et blanc d’Ankara. Mais le club turc n’a pas tenu ses engagements financiers et, en 2011, le BAK a repris son nom et ses couleurs originels. Mais l’équipe reste composée à très forte majorité de joueurs avec des noms aux consonances turcophones. Et c’est lors de la décennie écoulée que le BAK a connu ses heures les plus glorieuses : deux victoires en Berliner Landespokal en 2010 et 2012 contre le Dynamo Berlin et le SC Gatow, permettant d’accéder à la DFB-Pokal. Et, en août 2012, le BAK va écrire l’histoire de la Coupe d’Allemagne en étrillant Hoffenheim 4-0 au 1er tour. Cela reste la plus large victoire de l’histoire de la compétition d’un club amateur contre une équipe de Bundesliga, même si la belle aventure s’est arrêtée au tour suivant contre 1860 München.
Et en 2011, le BAK accède à la Regionalliga Nordost, la quatrième division, où il réside toujours. Il faut dire que la concurrence est rude à Berlin : il y a bien sûr le Hertha mais aussi le Tennis Borussia, ancien pensionnaire de Bundesliga, le Viktoria, deux fois champion d’Allemagne au début du siècle passé, et le fameux SV Tasmania, qui n’est resté qu’une seule saison en Bundesliga (1965-1966) mais y a battu une flopée de records : plus faible nombre de points, pire différence de buts, plus grand nombre de défaites consécutives, plus grand nombre de matchs sans victoires, plus grand nombre de défaites, pire affluence avec 827 spectateurs alors que la saison avait débuté devant… 81’500 fans. Et puis, il y a les clubs de l’ex-RDA : le Dynamo, le club de la Stasi, qui surclassait le championnat est-allemand, aujourd’hui également en Regionalliga, et l’Union, le club rebelle des cheminots, considéré comme un second couteau en RDA mais aujourd’hui aux portes d’une accession en Bundesliga (troisième en Zweite Liga).
Chemnitzer FC
L’adversaire du BAK en ce dimanche, c’est tout simplement le leader de cette Regionalliga Nordost : le Chemnitzer FC. Vous vous souvenez sans doute que nous avions affronté cette équipe au premier tour de la Pokal en 2015, le troisième match de l’ère Tuchel ; dans un stade en reconstruction, Chemnitz, alors en Dritte Liga, nous avait posé quelques problèmes, avec un fond de jeu et une circulation de balle intéressants mais le BVB l’avait emporté 2-0.
Le CFC a connu une grosse désillusion au printemps dernier avec une relégation en Regionalliga. L’objectif est clair : le retour immédiat en Dritte Liga et c’est plutôt bien parti puisque Chemnitz débarque à Berlin avec dix points d’avance (et un match en point) sur son dauphin et adversaire du jour.
Mais Chemnitz, l’ex-Karl-Marx-Stadt, a surtout fait récemment parler d’elle pour des raisons extra-sportives. L’homme assassiné par deux migrants en marge d’une fête locale était supporter du Chemnitzer FC et les représailles anti-migrants qui s’en sont ensuivies et qui ont choqué toute l’Europe, étaient fortement soupçonnées d’être liées à certains mouvements de fans du CFC. Une semaine avant ce déplacement à Berlin, les supporters chemnitzer avaient à nouveau fait parler d’eux en rendant un hommage appuyé et ambigu à un fan décédé d’une maladie et figure de la mouvance néo-nazie locale. Nouveau tollé. Ce déplacement sur la pelouse d’un club multiculturel s’est donc fait sous haute surveillance policière.
Non aux amalgames
Mais il n’y a pas eu de soucis. Il faut dire que le BAK n’a pas de kop organisé. Les fans de Chemnitz étaient environ 250 sur les 1127 spectateurs présents et il n’y a pas eu de débordement. La rencontre a débuté par une minute de silence contre le racisme, scrupuleusement respectée par les supporters de Chemnitz, qui ont même applaudi à la fin. Ils ont même été admirables : le bloc qui leur avait été réservé n’était pas couvert et pourtant ils sont restés stoïques sous la pluie et le vent, chantant et agitant leurs drapeaux sans discontinuer, malgré le mauvais match de leur équipe. Avec Dortmund, on a de la chance : on se déplace toute la saison ou presque (Freiburg…) dans des tribunes couvertes et la qualité de jeu est généralement au rendez-vous. J’ai un immense respect pour ces fans qui se déplacent, semaine après semaine, pour des matchs de ligue régionale dans des vieux stades vétustes. Il ne s’agit pas de nier qu’il puisse y avoir ici ou là des débordements violents ou extrémistes mais c’est le fait d’une infime minorité. Il ne faut pas tomber dans les amalgames d’une certaine presse qui tente de discréditer les supporters, dont elle ne partage pas la vision, populaire et authentique, du football, en montant en épingle des incidents isolés. Le mieux, c’est d’aller constater par soi-même dans les tribunes et la réalité est bien moins sombre que ce qu’on peut lire dans certains médias, au hasard le Bild…
Abu-Bakarr Kargbo
En leader, Chemnitz place les premières banderilles mais sans grand danger. Quand tu vas voir un match de Regionalliga, tu ne t’attends pas à être ébahi par la qualité du jeu présenté. Mais c’est bien au Poststadion que j’ai vu le plus beau but de mon week-end berlinois : après une petite dizaine minute de jeu, sur sa première incursion dans le camp adverse, le BAK va ouvrir le score sur une remise de la tête et une somptueuse bicyclette d’Abu-Bakarr Kargbo, le genre de geste que tu ne t’attends pas trop à voir à ce niveau. Il faut dire qu’Abu-Bakarr Kargbo d’origine sierra-léonaise, est un ex-espoir du football allemand : il a été champion d’Europe M-17 en 2009 aux côtés de Marc André ter-Stegen, Shkodran Mustafi, Marvin Plattenhardt ou Mario Götze. Mais, malgré des tentatives au Hertha Berlin et à Leverkusen, sa carrière n’a pas pris le même envol et aujourd’hui, à 27 ans, il écume les ligues régionales. Mais il faut croire qu’il n’a pas tout perdu du talent qui en avait fait l’un des espoirs du foot allemand…
BAK reçu avec mention
Depuis ce but, il n’y a quasiment plus eu qu’une seule équipe sur le terrain, le Berliner AK 07. A trois reprises, le portier de Chemnitz Mroß doit s’interposer pour garder son équipe dans le match. Et le BAK galvaude une immense occasion en négociant mal une situation à trois contre un seul défenseur. Mais le 2-0 va tout de même tomber en début de deuxième période : un centre berlinois est dévié de la main par un défenseur, l’arbitre laisse l’avantage mais comme le gardien d’interpose sur la reprise à bout portant de Kargbo, il revient au pénalty. Tunay Deniz transforme, avant une célébration un peu équivoque en forme de prière musulmane. Le BAK ne lâchera pas son os et aurait même pu aggraver encore la marque. Il a fallu attendre la 75e pour voir Chemnitz, décevant leader, adresser un tir cadré mais il ne s’est pas créé la moindre occasion nette de tout le match. C’est donc un succès 2-0 amplement mérité pour le BAK dans ce match au sommet. Et une triste semaine berlinoise pour Chemnitz, un seul point en trois matchs contre des équipes de la capitale, 4-4 à domicile contre Altglienicke et défaites sur les pelouses du Dynamo et du BAK. C’est peut-être la faute à l’absence du buteur Daniel Frahn, suspendu deux matchs pour avoir exhibé un t-shirt « Support your local hools » après un but contre Altglienicke.
L’enfer de la Regionalliga
Néanmoins, Chemnitz reste en position de force pour la promotion, avec sept points d’avance et un match en moins sur son adversaire du jour. On sait que la réforme de la Regionalliga est l’une des principales revendications de la Fanszene allemande contre la DFB. Et à tous niveaux : il y avait encore des banderoles en ce sens à l’Olympiastadion lors de Hertha – BVB la veille. Car l’ancien système rendait trop compliqué la promotion, avec les champions des cinq ligues régionales qui devaient encore lutter entre eux pour l’ascension. Le système a été légèrement modifié cette saison : les vainqueurs des trois Regionalliga les plus relevées, West, Südwest et Nordost (donc probablement Chemnitz) seront automatiquement promus, seuls les vainqueurs des Regionalliga Bayern et Nord, réputées plus faibles, devant s’affronter pour le dernier ticket pour la Dritte Liga. En attendant la réforme plus complète exigée par les fans. Cette défaite sans appel au Poststadion devrait donc s’apparenter à une péripétie sans conséquence pour le Chemnitzer FC dans son opération retour en troisième division. Quant à moi, c’est au retour vers l’aéroport de Schönfeld que j’ai dû songer en quittant le stade. Sur les terrains annexes, trois nouveaux matchs ont commencé… Un vrai quartier de football.
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