Ce week-end, la Saxe était transformée en un gigantesque réfrigérateur. Un réfrigérateur rempli de Red Bull. Mais nous, le breuvage chimique autrichien ne nous intéressait pas : la seule chose que l’on pris, c’est la victoire. Une victoire acquise avec la tête, avec les tripes et avec un gardien héroïque. Une victoire qui vaut un peu plus que trois points…
L’impression d’entrer dans une gigantesque chambre froide : c’est ce que j’ai ressenti en sortant, vendredi en fin de soirée, après neuf heures de trajet, du confort tempéré de l’ICE pour descendre dans la gare de Leipzig. Un colossal bâtiment d’inspiration soviétique (mais transformé depuis en immense temple de la consommation) avec des volumes énormes et des voûtes haut-perchées sous lesquelles s’engouffrent, implacables, les courants d’air glacial de la Saxe. Le ton était donné : ce week-end de reprise de la Bundesliga allait se dérouler sous le signe du froid.
La rencontre fortuite
Le monde appartient aux gens qui se lèvent tôt. Les visites culturelles aussi. D’expérience, je savais qu’une fois que mon Fanclub aurait débarqué de Dortmund, nous n’allions rien visiter d’autre que des bars (note, c’est aussi une certaine forme de culture) : je profite donc de la matinée pour redécouvrir les charmes de Leipzig. Après avoir fait l’ouverture de la Thomaskirche, l’ancien antre de Jean-Sébastien Bach, déambulé devant l’ancien et le nouveau Rathaus, la maison natale de Richard Wagner, l’Opéra, l’Université, je me dirigeais vers la Nikolaikirche, l’église où a débuté la contestation qui a conduit à la chute du mur de Berlin.
Chemin faisant, je passe devant l’hôtel habituel du BVB ; j’ai passé l’âge du mode groupie à attendre des heures pour mendier un selfie ou un autographe, surtout qu’il fait toujours aussi froid. Mais, au moment de mon passage, nos Jungs quittent l’hôtel pour une très brève balade (presque) incognito dans les rues de Leipzig. A part Reus et Witsel, nos Borussen sont tous emmitouflés sous leur capuchon, je repère toutefois notre entraîneur pour deviser quelques minutes durant la balade.
Après avoir échangé quelques nouvelles de la famille, Lucien Favre m’avoue qu’il est inquiet. Il est toujours inquiet avant un match, Lucien, mais particulièrement ce jour-là : plusieurs de ses joueurs ne sont pas au top pour cette reprise : Reus, Alcacer, Diallo, Bruun Larsen, sans même parler de Zagadou et Akanji, absents encore plusieurs semaines. L’objectif du jour, c’est de ne prendre aucun risque : ni dans la composition d’équipe, pour ne pas risquer d’aggraver une légère blessure, ni dans le plan de jeu.
C’est donc moyennement rassuré que je prends congé de notre entraîneur pour aller visiter la Nikolaikirche et ramener un stock de Lerchen, la spécialité locale (une tourte aux alouettes devenue sucrerie depuis l’interdiction de chasser les oiseaux en 1876) pour mes collaboratrices. La matinée se termine par un passage à la boutique dans l’un des deux vrais clubs de Leipzig, le Lokomotiv, pour leur acheter quelques gadgets en signe de soutien.
En revanche, on dédaigne la boutique déserte du RB et ses écharpes pseudos vintages du match du jour. Il fait toujours aussi froid. Mir ist kalt, so kalt, pour poursuivre dans les références musicales puisque Till Lindemann, le chanteur de Rammstein, est aussi originaire de Leipzig, comme Bach et Wagner, même si ce n’est pas tout à fait le même genre de musique…
Triste Red Bull
Comme prévu, l’après-midi se passe dans des bars, d’abord dans un pub qui servait de la Hövels, une bière 100% dortmundoise puis devant la Sky Konferenz. Après le Bayern la veille contre Hoffenheim, on constate que nos poursuivants, Mönchengladbach et Francfort, ne désarment pas. Mais c’est enfin à nous de jouer. On quitte la chaleur du bar bondé de maillots jaunes.
La nuit est tombée sur la Saxe et la température est encore descendue de quelques degrés… Le stade est transformé en bunker, les supporters adverses sont débarqués dans une arrière-cour sinistre avant un long trajet dans l’obscurité le long de l’Elsterbecken, la rivière qui borde le stade et d’où remontent des volutes d’air glacé. C’est dommage parce que ce Zentralstadion ne manque pas d’allure et l’esplanade des Biergarten devant est sympa mais un cordon de policiers nous en barre l’accès. Triste. Comme le sont aussi les clients du Red Bull Leipzig, toujours aussi silencieux et insignifiants. De notre côté, le match était boycotté par les groupes ultras mais, comme d’habitude, le boycott est un échec : le Gästeblock affiche complet. Toutefois, le soutien n’est pas tout à fait le même que d’habitude pour nos Jungs, surtout qu’une partie des fans qui ont fait le déplacement pratiquent eux le boycott des chants. Autant je respecte et je partage les raisons qui poussent une frange de nos fans à contester l’inutile et nuisible Red Bull Leipzig, autant il faut constater l’échec de ces actions de boycott. Il serait peut-être temps d’imaginer d’autres formes de contestations… C’est dommage parce que, de par son intensité et sa dramaturgie, ce match aurait mérité une ambiance un peu plus folle. Et autre chose que des Red Bull et des Ur-Krostitzer alkohofrei servis dans les buvettes…
L’intelligence de jeu
Lucien Favre a tenu parole : il a bien ménagé ses joueurs légèrement touchés, à part Abdou Diallo, parce qu’il n’avait pas vraiment d’autres solutions en défense centrale en l’absence d’Akanji, Zagadou, Toprak et Balerdi. L’un des atouts de notre entraîneur suisse, c’est que, durant sa longue carrière, il n’a pas dirigé que des clubs avec des effectifs cinq étoiles. Il sait donc s’adapter aux joueurs à disposition. Avec une équipe diminuée, il est capable de modifier son plan de jeu et d’opter pour une stratégie un peu plus prudente. Avec une charnière centrale Weigl – Diallo, notre défense est sans doute moins forte dans les duels qu’avec Akanji – Zadagou, par contre elle offre davantage de garanties dans les interceptions et la relance. Le plan de jeu, c’est donc de faire tourner un maximum le ballon et d’éviter de le rendre trop vite à l’adversaire, pour éviter à notre défense de supporter le poids du match. C’est vrai que parfois on a eu l’impression que nos Jungs n’ont pas joué tous les coups offensifs à fond mais cela nous a permis de priver les Bullen de ballon. Et comme leur pressing très agressif du match aller avait tourné au fiasco, les Dosen entrent beaucoup moins fort dans le match, ce qui permet au Borussia de s’installer confortablement dans la partie.
Axel Witsel, bourreau du Red Bull
Axel Witsel chauffe une première fois les gants du gardien Gulacsi. A la 19ème, il va carrément le fusiller avec une frappe aussi soudaine que surpuissante à la réception d’un corner de Raphaël Guerreiro prolongé par notre capitaine d’un soir Lukasz Piszczek. Comme au match aller, notre Belge réussit un but magnifique. On l’avait trouvé un peu fatigué et avec moins d’impact sur le jeu en fin de premier tour mais à Leipzig on a retrouvé le Witsel impérial du début de saison. Le duo qu’il forme à mi-terrain avec Tomas Delaney, c’est vraiment de l’or en barre, un véritable rouleau compresseur pour annihiler les attaques adverses. Le contraste est saisissant avec nos deux derniers déplacements à Leipzig, où nous avions été dominés dans les duels. Cette fois-ci, en revanche, nos Jungs sont prêts au combat ! C’est l’une des améliorations notoires de cette saison : avec Tuchel, Bosz ou Stöger, notre Borussia avait tendance à se défiler et à baisser la tête dans l’adversité, désormais il joue avec encore davantage de solidarité et d’engagement. Un combat, intense, prenant, mené avec la tête et les jambes.
Il ne pouvait rien nous arriver
Clairement, le BVB, conforté dans son plan de jeu par cette ouverture de score rapide, dicte le rythme au match, même s’il doit régulièrement faire face aux ruades brutales mais un peu désordonnées du taureau autrichien. L’intelligence de jeu contre la force brute. Diallo est même tout près de doubler la mise sur corner mais son coup de tête passe à côté. A la pause, notre avantage est amplement mérité. Ce sera plus compliqué après la pause. Roman Bürki réalise un premier miracle après une talonnade un peu ratée de Sabitzer. En contre, Philipp voit se frappe détournée du bout des doigts par Gulacsi. Le combat est total, Leipzig fait monter toute son armada offensive sur la pelouse mais nos Jungs demeurent étonnamment calmes et sereins. Au fil du match, nous sommes de plus en plus gagnés par le sentiment qu’il ne peut rien nous arriver. Même lorsque Bürki glisse au moment de dégager avant de se rattraper superbement devant l’imbuvable Werner. Ou lorsque Sabitzer reprend à bout portant à huit mètre du but mais notre gardien suisse sauve d’un réflexe miraculeux, avant de récidiver deux minutes plus tard devant Werner. C’est chaud mais notre défense tient. Grâce à un Roman Bürki une nouvelle fois héroïque, comme toute l’équipe d’ailleurs. Mais c’est vrai que samedi en Gästeblock, on s’est pas mal égosillé avec le « Bürki, Bürki » à chaque intervention souveraine de notre portier.
Et on tient aussi particulièrement à féliciter Julian Weigl : il n’a pas beaucoup joué au premier tour, il avait une place de titulaire qui lui tendait les bras au PSG avec un salaire sans doute doublé ou triplé mais il n’a pas bronché lorsque notre club a refusé un départ vers le machin qatari. Contrairement à d’autres par le passé, il n’a pas fait grève, n’a pas larmoyé dans les médias sur son triste sort ou multiplié les écarts pour forcer son transfert. Il est resté concentré sur son club actuel et a plus que largement répondu présent lorsqu’on l’a fait appel à lui, à un poste qui n’est pourtant pas le sien, tant contre Gladbach qu’à Leipzig, avec deux partenaires différents dans l’axe. Klasse, Julian ! C’est clairement le signe que l’état d’esprit a changé dans notre club et on a l’impression que la présence d’un certain Sebastien Kehl dans l’encadrement n’y est pas pour rien.
Bien plus qu’une victoire
En fin de match, Paco Alcacer est entré pour marquer son habituel Jokertor. Sauf que cette fois, la latte a dit non, avec cette balle qui rebondit sous la transversale, frappe la ligne de but et ressort. On jouait la dernière minute et c’est une action que l’on aurait pu regretter : à l’ultime minutes des arrêts de jeu, un dernier coup de tête du RB flirte avec le poteau et fait trembler les filets. A l’extérieur. Il ne pouvait rien nous arriver samedi. Cette victoire, elle nous était promise !
Et elle vaut un peu plus que trois points… Déjà, cela relègue un rival potentiel, Leipzig, à quatorze longueurs, un gouffre difficile à combler. Ensuite, elle permet de démarrer la deuxième tour sur la même dynamique positive que le premier. Et puis, après une défaite et un nul, à chaque fois après avoir été dominés dans l’engagement, nous gagnons enfin contre le RB au Zentralstadion. A titre personnel, j’avais même vécu deux autres défaites en jaune dans ce stade, en 2014 en Dritte Liga avec nos Amateure, et en 2006 avec l’équipe d’Ukraine pendant la Coupe du Monde contre l’Espagne (ne me demande pas ce que je faisais à Leipzig avec un maillot des Jovto-Blakytni, ce serait trop long à expliquer…). Le signe indien est enfin vaincu !
Mais surtout, cette victoire et la manière avec elle a été obtenue envoie un signal fort : durant toute la trêve hivernale, joueurs et dirigeants du Bayern Munich ont multiplié les déclarations de défi envers nous, personne n’a répondu au BVB ; la veille du déplacement à Leipzig, ils nous ont mis la pression en revenant provisoirement à trois points, personne ne s’est excité à Dortmund : malgré les qualités de l’adversaire, Lucien Favre s’est privé de plusieurs titulaires potentiels pour ne pas risquer des blessures plus graves. C’est la zen attitude : actuellement, au BVB, on ne s’occupe ni du classement, ni du Bayern ni du titre, on poursuit notre petit bonhomme de chemin, en s’occupant de nos objectifs, de nos joueurs, de notre parcours, peu importe le reste. Il faut absolument que l’on arrive à garder ce mélange de sérénité et de détachement dans la préparation des matchs et de combativité et de rage de vaincre sur le terrain le plus longtemps possible et alors on pourra commencer à rêver. Cela commence samedi contre Hanovre, un match qu’il s’agira d’aborder avec beaucoup d’humilité car 96 nous avait causé par mal de problèmes au match aller (0-0). Humilité mais détermination : ce serait dommage de perdre au Westfalenstadion contre un mal-classé tout le bénéfice de ce succès historique acquis avec intelligence et bravoure dans le réfrigérateur de Leipzig.
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