Assuré de remonter en Bundesliga depuis le but victorieux de Rouwen Hennings à la dernière minute à Dresde la semaine précédente, le Fortuna Düsseldorf a fêté en grandes pompes son retour dans l’élite après cinq ans de purgatoire. Sur fond de Toten Hosen et de rock n’roll bien sûr !
Tage wie diese. Sortie quelques semaines auparavant, la chanson des Toten Hosen était rapidement devenue l’hymne du week-end de grâce des 12 et 13 mai 2012 avec la victoire du BVB en finale de Pokal contre la Bayern et la Doublefeier du lendemain. Partout, dans les bars, dans les bus, dans les rues, dans les trains, sur la Breitscheidplatz, à l’Olympiastadion, sur la Borsigplatz, nous avions célébré les « Tage wie diese », les jours comme ceux-là, si magiques, si uniques… Mais, à la base, la chanson n’avait pas été composée pour célébrer le BVB mais bien le Fortuna Düsseldorf, club dont les Toten Hosen, en particulier leur chanteur Campino, sont fans. Les supporters des Flingeraner apparaissent d’ailleurs dans le clip. Mais depuis la sortie de la chanson en 2012, le Fortuna n’a pas eu beaucoup d’occasion de célébrer de Tage wie diese avec, une année plus tard, la relégation en Zweite Liga où le club végétait depuis lors. Jusqu’au 28 avril dernier et ce but de Rouwen Hennings à Dresde qui assurait le retour du Fortuna en Bundesliga, avant même les deux dernières journées.
Momente für Ewigkeit
Le dimanche suivant, le match n’avait donc plus guère d’enjeu pour les Flingeraner. Il s’agissait avant tout de célébrer les héros. Toute la ville s’est parée de rouge, les drapeaux ornent les fenêtres, les maillots sont partout. Au stade, c’est l’émeute, tout le monde s’arrache les t-shirts célébrant la promotion arborés par les joueurs après la victoire à Dresde. C’est incroyable comment le football peut transporter de joie une ville. Forcément, le Tage wie diese est repris en cœur à l’entrée des joueurs devant un stade archi-comble, plus de 50’000 fans et presque autant de drapeaux « Unsere Heimat : 1. Liga », en forme de clin d’œil au voisin et éternel rival Köln, qui fait le chemin inverse. Au-dessus du kop des Flingeraner, une banderole proclame « Momente für Ewigkeit – Düsseldorf ist stolz auf euch ». Des moments pour l’éternité, Düsseldorf est fier de vous. Bien sûr, en simple touriste de passage, je ne ressens pas les mêmes joies et émotions que ceux qui ont accompagné le Fortuna dans toutes ses années de galère, qui l’ont suivi sur les routes de la Zweite Liga sur le chemin de la remontée, mais ce sont toujours des moments sympas à vivre.
Les revenants
Pourtant, cette promotion était loin d’aller de soi car le Fortuna n’avait pas vraiment bâti une grosse équipe pour remonter. C’est plutôt une équipe de has-been, des paris sur des joueurs dont la carrière s’était égarée dans des chemins de traverse. A l’image du buteur héroïque de Dresde, Rouwen Hennings, ex-grand espoir du SV Hambourg, qui a ensuite connu des hauts et surtout des bas à St. Pauli, Osnabrück, Karlsruhe, Burnley et qui, à 31 ans, revient en pleine lumière. Dans le même registre, le gardien Wolf, écarté à Brême il y a 12 mois, les défenseurs Schmitz et Zimmer, pas assez bons pour Schalke et Stuttgart, le milieu Usami, arrivé trop tôt au Bayern… A côté de ces revanchards, quelques vieux guerriers de la 2. Liga et des jeunes prometteurs. C’était un pari et il s’est avéré gagnant, comme c’est souvent le cas en Allemagne : le succès s’achète rarement mais il se construit en arrivant à créer une bonne alchimie et une dynamique favorable.
Ce Fortuna 2017-2018, c’est typiquement le genre de contingent qui, s’il avait eu un peu de poisse en début de saison, aurait très bien pu se retrouver à galérer contre la relégation. Mais son destin a été tout autre et le mérite en revient aussi à l’entraîneur Friedhelm Funkel. Encore une fois, un has-been : Funkel, ancien entraîneur emblématique de l’Eintracht Francfort mais qui a connu ensuite pas mal de déboires au Hertha Berlin, à Bochum, à München 1860… C’est l’un de ces entraîneurs de l’ancienne génération, des ex-joueurs prestigieux de Bundesliga, qui trustaient les postes en Bundesliga dans les années 1990 et 2000 mais qui ont été poussé vers la sortie à la fin des années 2000 lorsque la mode des jeunes entraîneurs sans grandes expérience ni carrière de joueurs est apparue avec les Klopp, Löw, Tuchel, Weinzierl, Dutt, Schmidt, Schubert, Tedesco, Streich, Nagelsmann, Baum, Wolf, Schuster… Dans ce paysage des entraîneurs allemands en constant renouvellement, Friedhelm Funkel, avec ses 65 ans dont presque 30 comme entraîneur, en héros fait un peu figure de dernier des Mohicans d’une génération oubliée.
Holstein Kiel
Le match débute et l’on entend, dans le kop du Fortuna, des chants « alle alle oh BVB null neun ». Sans doute une petite pique contre l’adversaire du jour, Holstein Kiel, dont les joueurs s’étaient rendus tristement célèbres, en 2011, en entonnant la version dévoyée « BVB Hurensöhne » après un exploit en Pokal contre Mainz et en découvrant le tirage du prochain tour contre notre Borussia. Mais, depuis, Kiel s’est rendu célèbre de manière bien plus glorieuse en accédant, à la surprise générale, à la Zweite Liga en fin de saison dernière. Et défiant tous les pronostics, qui lui promettaient une relégation, en étant toujours en course pour la promotion en Bundesliga cette saison. Pourtant, à part peut-être le latéral van den Bergh (ex-Hertha et Gladbach), il n’y a pas de noms connus dans cette équipe, juste des mecs sortis des séries inférieures ou recalés par des clubs de Bundesliga. C’est dire l’excellent travail réussi depuis deux ans par l’entraîneur Markus Anfang, un Colonais qui aura le redoutable honneur de ramener le club de sa ville en Bundesliga la saison prochain car il a déjà signé au Effzeh. Mais avant de retrouver la Domstadt, Marcus Anfang peut quitter Kiel sur un invraisemblable exploit : amener le minuscule Holstein en Bundesliga, un club dont le stade a été jugé trop petit (13’400 places) pour jouer dans la grande ligue et qui, en cas de promotion, devrait s’exiler pour jouer ses matchs à domicile, un vrai scandale soi-dit en passant.
Un match amical
Cette Zweite Liga est complètement folle : à deux journées de la fin, seuls deux clubs sont fixés sur leur sort, Düsseldorf est déjà promu et (malheureusement) Kaiserslautern déjà relégué, les 16 autres équipes peuvent encore jouer soit la montée soit la promotion. Holstein Kiel est solidement accroché à la 3ème place, synonyme de barrage contre le 16ème de Bundesliga, mais a encore une petite chance d’accrocher le 2ème rang et la promotion directe, et un petit risque de manquer le barrage. Mais les résultats des autres stades vont rapidement mettre un terme au suspense : en gagnant à Sandhausen, Nürnberg s’est assuré la promotion directe alors que les trois équipes qui menaçaient encore les Holsteiner, soit Regensburg, Bochum et Bielefeld, se sont toutes inclinées. Si bien que, quel que soit son résultat à Düsseldorf, Kiel était assuré de sa troisième place. Si bien qu’entre une équipe déjà promue et une autre assurée du barrage, le match n’avait plus qu’un intérêt relatif, son intensité s’en est forcément ressentie. Le spectacle est surtout venu des tribunes avec des Flingeraner en fête mais aussi 4000 fans du Holstein (c’est énorme pour un si petit club) qui ont chanté tout le match et célébré leur équipe pour la magnifique aventure qu’ils sont en train de vivre.
Le chef d’œuvre de Marvin Ducksch
On ne sait pas dans quelle mesure les festivités de la semaine écoulée ont impacté la performance du Fortuna mais Kiel est clairement la meilleure équipe. J’ai vraiment été surpris par la qualité du jeu produit par les Holsteiner, ce n’est pas juste un néo-promu qui surfe sur la vague du succès et la combativité, il y a une vraie cohérence et structure dans le jeu mis en place par l’entraîneur Marcus Anfang. C’est plutôt intéressant pour le 1. FC Köln la saison prochaine… A la pause, le Fortuna doit surtout à son gardien Wolf de tenir un score nul et vierge. Les Flingeraner vont hausser un peu le ton après la pause et enfin se montrer dangereux, devant leurs fans. Sur leur première véritable occasion, la défense nordiste ne parvient pas à se dégager après une parade du gardien Kronholm et la balle revient sur le joker belge Benito Raman qui ouvre le score d’une frappe précise. Il restait quinze minutes à jouer. Je n’écrirai pas que c’est du délire dans le stade car c’était le délire depuis le début du match et ce but n’y a pas changé grand-chose. Surtout que l’avantage au score ne va pas tenir plus de 90 secondes. Kiel va égaliser grâce à son duo de choc, une talonnade géniale de Dominick Drexler suivie d’un enchaînement somptueux petit-pont frappe enroulée dans le petit filet opposé de Marvin Ducksch. Drexler, c’est un illustre inconnu débarqué deux ans plus tôt en catimini d’Aalen, alors que Ducksch c’est l’ancien junior du BVB qui avait eu droit à quelques apparitions en première équipe, avant de se perdre lors d’un prêt infructueux à Paderborn et un passage raté à St. Pauli. Arrivé en janvier 2017 à Kiel, il est en train de véritablement lancer sa carrière, à 24 ans : avec 18 buts (et 12 assists), il va plus que probablement s’offrir un titre de roi des buteurs de Zweite Liga. Dortmunder Jungs !
Aufstiegsfeier
Après ces deux minutes de folie, les deux équipes n’ont pas forcé outre-mesure et ont décidé de se quitter bonnes amies sur ce score de 1-1. Kiel peut attendre sereinement son barrage, que l’adversaire s’appelle Freiburg, Wolfsburg ou Hamburg, les Holsteiner n’auront rien à perdre mais leurs chances seront bien réelles. Quant au Fortuna, il est rejoint en tête du classement par Nürnberg et s’en ira jouer le titre honorifique de champion de deuxième division dimanche sur la pelouse du 1. FCN précisément. Mais ce n’est pas le plus important, ce qui comptait vraiment, c’était l’ascension. Et cela nous fait plaisir, déjà parce que le Fortuna est une vraie Traditionsverein avec un public fidèle et bruyant. Mais aussi parce qu’on s’est toujours sentis un peu coupables de leur relégation.
Rappel : nous sommes au Westfalenstadion, dernière journée de la saison 2012-2013, le BVB, assuré de la 2e place, peut condamner Hoffenheim à la relégation avec une victoire ou un nul. Las, en pleine préparation pour la finale de Königsklasse, nos Jungs jouent sur une jambe, mènent mollement 1-0, ratent maintes occasions de tuer le match et prennent deux buts sur la fin avec l’expulsion de Weidenfeller et Großkreutz au but. Permettant ainsi à Hoffenheim de s’offrir le barrage et condamnant le Fortuna à la Zweite Liga, alors que les Flingereaner auraient eu toutes leurs chances de s’en sortir si c’étaient eux, et non l’infâme Hoppenheim, qui avaient eu droit au barrage contre Kaiserslautern. Il leur a fallu cinq ans pour revenir mais cette triste page peut maintenant être tournée. Dès le coup de sifflet, les fans ont pu envahir la pelouse pour de longues minutes d’hystérie collective. Sur fonds de Toten Hosen et de rock’n roll bien sûr. Tage wie diese !
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