Un déplacement à Herne-West, c’est toujours quelque chose de particulier. Et toujours quelque chose d’éminemment jouissif lorsque nos Jungs repartent avec la victoire. Même si celle-ci n’a rien d’un exploit, tant les Knappen étaient faibles. Récit d’un voyage dans les entrailles du Ruhrpott profond.
8:00, Dortmund, Innenstatd-Nord. Réveil, c’est toujours difficile de faire la grasse matinée un jour de Derby, l’excitation est trop forte. D’habitude, les jours de grand match, j’aime bien débuter la journée par un footing dans mon quartier, là où se trouvent les origines du BVB, Borsigplatz, Dreifalitgkeitkirche, Weiße Wiese. Mais ce matin-là, une pluie glaciale tombe presque à l’horizontale balayée par un vent violent. Un vrai temps de Derby. Mais pas un temps pour du footing.
8:45, Dortmund, Innenstatd-Nord. J’opte donc pour la piscine. Le temps est tellement dégueulasse que même les junkies et les clochards qui occupent habituellement le parc devant la Südbad ont déserté les lieux (l’Innenstadt-Nord, ce n’est pas vraiment les quartiers chics de la ville), tout comme les lapins qui, par beau temps, gambadent dans la verdure. La gigantesque halle est presque déserte, petit moment de relaxation dans l’eau juste tiède en regardant les éléments se déchaîner à l’extérieur. Le calme avant la tempête.
10:00, Dortmund, Innenstatd-Nord. Je vais faire quelque course au Rewe du coin. A la boulangerie, même les vendeuses ont revêtu le maillot du BVB. Devant mon immeuble, une publicité pour une société de paris sportifs indique au milieu de la rue « Auch in Herne-West nur schwarzgelb Dortmund gewinnt ». Un Derby, c’est l’affaire de toute une ville, pas seulement celle des joueurs et des fans.
11:30, Dortmund, Alter Markt. Passage au Weihnachtsmarkt pour une Krakauer.
11:45, Dortmund, Platz der deutschen Einheit. Comme j’ai un peu d’avance, je fais un saut pour une bière dans un bar, rempli de fans en partance pour Herne-West. Contrairement à l’habitude, pas de Schlagerparade dans la sono. L’ambiance n’est pas à la fête, les visages sont tendus, les regards déterminés : une armée qui part à la bataille.
12:24, Dortmund, Hauptfbahnof. On embarque dans le Sonderzug, l’un des deux trains réservés aux fans. Le principe du Sonderzug, c’est de prendre son élan à Dortmund puis d’arriver sans arrêt à destination. Et si, à un moment ou un autre, la voie est bloquée par un autre convoi, il faut absolument éviter de s’arrêter dans une gare où pourraient se trouver des fans rivaux : le risque de dérapage est trop grand avec des wagons remplis de fans gonflés à bloc. Cette fois-ci, le coup a bien été calculé : on fera presque le trajet jusqu’à Gelsenkirchen d’une traite, à peine cinq minutes d’arrêt dans une banlieue anonyme.
12:26, Dortmund, Hauptfbahnof. Le Sonderzug part presque à l’heure, un exploit. Les wagons sont bien remplis mais pas combles, l’ambiance est encore relativement calme, quelques chants mais sans plus. Comme d’habitude, quelques clochards embarquent avec nous : un Sonderzug, c’est toujours une bonne affaire financière. Plusieurs centaines de fans qui vont chacun en moyenne descendre deux ou trois bières pendant le trajet, avec une consigne de 0,20€ par bouteille ou canette, ils auront fait leur journée.
12:30, Ruhrtal. Après avoir longé les murs de containers du port de Dortmund et traversé la réserve naturelle d’Hallerey, le train s’enfonce dans la Ruhr profonde. La pluie, la bruine et le brume sont toujours de sortie, la végétation est rabougrie, les entrepôts abandonnés succèdent aux usines lugubres, les cheminées fumantes aux mines désaffectées. La Ruhr comme on l’aime… Mais j’adore ces ambiances : ça permet de se mettre dans l’ambiance du Derby et de comprendre ce que cela représente pour tout un peuple.
12:43, Bottrop. En traversant la charmante cité de Bottrop, on aperçoit au loin, en haut d’un terril de remblai, le Tetraeder. Cela nous fait penser que c’est là, à Bottrop, que se trouve la dernière mine en activité du Ruhrpott, la Zeche Prosper-Haniel, celle qui va fermer ses portes le 21 décembre. Letzte Derby auf Kohle, le dernier Derby du charbon. Définitivement, celui-là, on n’a pas le droit de le perdre.
12:54, Wanne-Eickel. Le train quitte la gare de Wanne-Eickel, la dernière cité avant Gelsenkirchen. Un embranchement. A gauche, Duisburg et au-delà Düsseldorf, le Niederrhein, la civilisation. A gauche, Gelsenkirchen, l’enfer. Le train ralentit, presque jusque à l’arrêt, comme s’il hésitait. Puis s’engage résolument à droite. A la sortie de la gare, le panneau indicateur de la gare est tombé et git dans les mauvaises herbes. Personne n’a songé à le remplacer. Mais on imagine très bien qu’à la place on pourrait lui substituer un écriteau : « Vous qui franchissez ce point abandonnez tout espoir de rédemption ». La pluie toujours.
13:06, Gelsenkirchen Hauptbahnof. Nous arrivons à destination, c’était rapide aujourd’hui. Le peuple jaune et noir se réveille : « Hurrah, Hurrah, die Dortmunder sind da ». Sous très haute surveillance policière. Nous ne faisons qu’apercevoir les fans des Blauen, loin derrière le no man’s land, les chiens et les barricades qui séparent les fans des deux camps. Nous rejoignons la place qui nous est réservée à l’arrière de la gare.
13:10, Gelsenkirchen Hauptbahnof. Nous embarquons dans les bus qui doivent nous emmener au stade car il n’est évidemment pas question d’emprunter le métro habituel en jaune et noir.
13:30, Gelsenkirchen Hauptbahnof. Les bus s’ébranlent enfin. Comme d’habitude, il a fallu attendre que tous les bus soient pleins et tous les carrefours bloquées. Puis le convoi se met en marche, avec des fourgons de policiers entre chaque bus. Et des policiers, encore, à chaque carrefour.
13:31, Gelsenkirchen. On s’arrête déjà. Après 500 mètres. On a perdu les trois bus de police de tête au premier carrefour, ils sont partis sans nous. Et pas question de continuer sans l’avant-garde de notre escorte. On attend cinq minutes qu’ils rebroussent chemin et reprennent la tête du cortège.
13:36, Gelsenkirchen. Cette fois, on est parti pour de bon. Il y a quelques années, nous empruntions le chemin le plus court entre la gare et la Veltins-Arena. Mais la route traversait la Schalke-Meile, la rue des immeubles bleus et des bars de fans, nos bus étaient systématiquement bombardés d’objets divers. Alors depuis, on fait des détours. L’occasion de voir du pays. Des ruelles glauques, une mine, un terrain vague, un chantier à l’allure abandonnées, des magasins fermés, une autre mine. Il y a pas mal de clichés sur le Ruhrpott mais c’est quand même assez différent d’une ville à l’autre. Dortmund possède aussi son lot d’usines, d’entrepôts, de quartiers miteux mais c’est quand même une ville qui, sans renier son passé minier et industriel, a su tourner la page du charbon et de l’acier, se projeter vers l’avenir, avec des espaces verts, des reconversions réussies comme le U ou la Thier-Galerie, la tour Signal Iduna… Gelsenkirchen, la cité aux mille feux (parce qu’elle contenait le plus de hauts-fourneaux d’Europe) reste encore une ville frappée de plein fouet par la désindustrialisation massive et qui n’est pas encore sortie de la déprime. Taux de chômage record, revenu moyen plus bas qu’en ex-RDA, ici plus qu’ailleurs, le football est la seule échappatoire des tracas du quotidien.
14:05, Gelsenkirchen, Veltins-Arena. Arrivée au parking du stade, sorte de vaisseau futuriste qui se dresse sur une colline, ilot de modernisme incongru au cœur de la morosité ambiante de la ville. Les fans débarquent des bus dans le périmètre sécurisé jaune et noir, musique ambiance joyeuse. Puis nous partons en direction des entrées.
14:35, Gelsenkirchen, Veltins-Arena. Enfin, nous entrons dans le stade. L’entrée en places debout a été particulièrement chaotique avec un triple contrôle pas très bien organisé, sous la pluie, mais peu importe, nous y sommes. Avec des bières. Enfin, des Veltins.
15:05. Après une halte aux bars et pris quelques munitions, nous pénétrons dans le Gästeblock. Le toit est fermé, la Turnhalle mérite son surnom.
15:20. Comme le veut la tradition depuis trois saisons à Gelsenkirchen, des images de mineurs sont diffusées sur les écrans géants. Le club tente de se reconstruire en renouant avec ses valeurs et ses traditions. C’est sans doute louable mais le problème, c’est que les meilleurs talents de la Knappenschmeide, le centre de formation local, ne s’y identifient guère. Les trois meilleurs talents des Blauen sont partis durant l’été, Goretzka, Meyer et Kehrer, les deux premiers gratuitement. Du coup, Schalke paraît terriblement affaibli. La deuxième place de l’an passé tenait déjà du miracle, une bonne dynamique, les difficultés d’autres ténors de la Bundesliga, dont nous. Mais l’équipe était clairement en surrégime, à l’image du Brésilien Naldo, héros des deux Derbys la saison passée, élu MVP de la Bundesliga, et tellement cramé cette saison qu’il est resté sur le banc samedi. Une équipe faiblarde donc mais un Derby reste un Derby donc méfiance.
15:29. Comme souvent à Gelsenkirchen, le Choreo est somptueux. Il faut au moins reconnaître cette qualité-là à nos rivaux d’Herne-West. Leur spectacle pyrotechnique leur aurait coûté 50’000€. Il reste encore un peu d’argent dans cette ville… Le toit a fini par s’ouvrir, le match se jouera donc à ciel ouvert.
15:33. Nous sommes rassurés : notre équipe est bien présente au duel, rien à voir avec le débâcle du dernier Derby. Et Hakimi allume la première banderille, au-dessus.
15:37. Première explosion en Gästeblock : Thomas Delaney ouvre le score en reprenant un coup-franc de Marco Reus. Tout un symbole : le Danois avait précisément été acheté pour répondre présent dans ce genre de combat. Il est exact au rendez-vous. De l’importance de posséder des Mentalitätspieler dans son effectif…
15:50. Le BVB contrôle parfaitement la situation. Et belle ambiance en Gästeblock, malgré l’absence des ultras, toujours punis après leur coup de force au Glückauf-Kampfbahn, le premier stade des Knappen, il y a trois ans.
16:16. Mi-temps. Pas beaucoup d’occasions pour le BVB mais une mi-temps parfaitement maîtrisée. Schalke est d’une insigne faiblesse. Un trio d’attaque Bentaleb, McKennie, Burgstaller, il y a bien des clubs de deuxième division qui sont mieux lotis que cela. Et quand en plus Burgstaller doit céder sa place au… défenseur Mendyl, cela devient compliqué de proposer une attaque d’envergure. La seule petite alerte de la mi-temps aura été cette tentative de la… main de Burgstaller. C’est dire c’est si c’est pauvre côté Blauen. On part relativement rassurés au ravitaillement.
16:47. L’accident : en fait, la principale force de ce Schalke, c’était sa faiblesse. Les Knappen paraissaient tellement inoffensifs que nos Jungs se sont un peu endormis et ont oublié d’aller chercher le but du break. On attendait un combat, on l’a eu mais un peu tronqué par l’impéritie offensive des bleus pas vraiment royaux. Et, dans un Derby, un accident est vite arrivé. Il surviendra sous la forme d’un pénalty peu évident accordé par la VAR pour une prétendue faute de Marco Reus. Caligiuri transforme, l’espoir renaît dans la Turnhalle, c’est vraiment ballot de s’être laissé rejoindre comme cela. La VAR, c’est définitivement nul.
17:00. Notre équipe a beaucoup progressé mentalement. Elle ne s’est laissée ni abattre ni embarquer dans le combat de rue que voulaient imposer les Blauen. Elle s’est juste remise à jouer au football et a répondu aux provocations adverses par le talent. Et sur ce plan-là, les Knappen ne peuvent pas rivaliser : une action magnifique entre Raphaël Guerreiro et Jadon Sancho permet à notre prodige anglais s’inscrire le 1-2 d’une frappe enroulée. Cela paraît tellement facile. Cette fois, on la tient notre Derbysieg !
17:19. Derbysieger, Derbysieger, hey, hey ! Coup de sifflet final, le BVB s’impose à la Turnhalle, cela ne nous était plus arrivé depuis cinq ans. Il n’y a pas eu de deuxième malentendu, Schalke ne s’est pas créé la moindre chance d’égaliser une seconde fois. Certes, on a eu peur jusqu’au bout, parce que Fährmann a sauvé devant Reus et Sancho, parce que Guerreiro a allumé le poteau. Mais peu importe : seule la victoire compte dans le Derby !
17:29. Après dix minutes de Derbysieger et de célébrations dans un stade qui s’est rapidement vidé, nous quittons à notre tour la Turnhalle. Bien sûr, ce n’est pas à proprement parler un exploit, vu l’inconsistance de l’opposition. Mais un Derby, c’est fait pour être gagnés et nos Jungs ont fait le job. On fera les comptes au classement plus tard ; pour l’heure seule compte la joie d’une victoire dans le Derby, après en avoir été privés l’an dernier.
18:20. Retour à la gare de Gelsenkirchen pour le Sonderzug. Les chants de victoires ont bien sûr résonné dans le bus puis dans le train. Mais il y aussi de la fatigue et de la décompression après l’adrénaline, la tension et les chants ininterrompus du match. Les héros sont fatigués mais nous revenons de la bataille de Gelsenkirchen avec la victoire que nous étions allés chercher.
19:15. Retour à Dortmund. Weihnachtsmarkt. Tout le monde a le sourire, est très poli, la joie et la bonne humeur règnent partout. C’est toute une ville qui se réjouit de ce Derbysieg… On ne sait pas ce que nous réserve la suite de la saison mais elle est déjà réussie, ce qui viendra en plus ne sera que du bonus.
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