Le destin du Borussia Dortmund a déjà croisé à deux reprises la route de l’Atletico Madrid en Coupes d’Europe. Les deux clubs s’étaient croisés en phase de poule de la Ligue des Champions 1996-1997 (victoire 1-0 à Vicente Calderon, défaite 1-2 au Westfalenstadion) et en quarts de finale de la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe 1965-1966 (nul 1-1 à l’aller à l’Estadio Metrpolitano, victoire 1-0 au retour au Rote Erde). Et les deux fois, le BVB avait remporté la compétition !
Lors de la saison 1965-1966, le BVB dispute pour la première fois la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe ensuite de sa première victoire en Pokal en 1965 contre l’Alemania Aachen. Les Borussen franchissent très facilement le premier tour contre les Maltais de Floriana La Valette (5-1, 8-0) un peu plus difficilement le deuxième face aux Bulgares du CSKA Sofia avec un retour piégeux derrière le Rideau de Fer (3-0, 2-4). Mais le premier vrai gros test intervient en quart de finale contre l’Atletico Madrid. Le club madrilène vit son âge d’or et tutoie les deux géants Real Madrid et du FC Barcelone. Et il est un habitué de cette C2 qu’il a remporté en 1962 (victoire 1-1 et 3-0 contre la Fiorentina) et dont il fut finaliste en 1963 (défaite 1-5 contre Tottenham). Le BVB, avec son équipe composée exclusivement de gamins du Ruhrpott ne fait donc pas figure de favori. Et pourtant, au match aller, au stade Metropolitano, sur un terrain détrempé, devant 58’000 spectateurs, nos Jungs croient longtemps à l’exploit après l’ouverture du score de Lothar Emmerich. Mais les Espagnols égalisent à trois minutes de la fin, alors même que le BVB avait galvaudé plusieurs balles de break. Néanmoins, ce résultat place notre club en position favorable avant le match retour et l’entraîneur Willi Multhaup donne quartier libre à ses joueurs après le match : « Jungs, feuer frei für Flaschenbier ». Les Jungs en question ne se sont pas fait prier et le journal kicker raconte que des voix bien connues se faisaient entendre dans les couloirs de l’hôtel des joueurs à 6 heures du matin : « les joueurs vivaient pour la bière », écrivit le plus célèbre quotidien sportif allemand. Notre meneur de jeu Aki Schmidt ne dément pas : « S’il y en avait un qui était tôt au lit, s’il y’en a un qui n’était pas venu, il aurait été seul. Tous étaient à moitié sauvages. Nous étions tellement unis. »
La meilleure préparation
Mais, pour le match retour, deux semaines plus tard, le 2 mars 1966, ces joyeuses libations sont oubliées et c’est une équipe très concentrée qui se présente sur la pelouse du Kampfbahn Rote Erde. Trois jours auparavant, notre équipe a réussi la meilleure des préparations possibles dans son stade fétiche : elle a remporté le Derby en explosant Schalke 04 7-0 !!! Et pris la tête du classement, avec une meilleure différence de buts que 1860 München ; les Löwen remporteront toutefois le Meisterschale en nous dépassant à l’avant-dernière journée à la faveur d’une victoire 0-2 au Rote Erde dans le match au sommet. Mais, cette année-là, c’est en Coupe d’Europe que nos Jungs vont se couvrir de gloire. L’effervescence est à son comble au Rote Erde. Le stade affiche complet et le caissier se frotte les mains : le BVB réalise la meilleure recette de son histoire avec 270’000 Deutsche Mark encaissés (contre 160’000 DM pour un match de Bundesliga à guichets fermés). Le club reçoit en plus la somme de 35’000DM pour la retransmission en directe sur la chaîne ARD. Victime d’un refroidissement, l’entraîneur Willi Fischken Multhaup avale beaucoup plus de cachets d’aspirine que de raison pour ne pas rater ce moment historique. Les fans espagnols sont présents en nombre, notamment une hincha venue de Wuppertal dont la banderole sera portée par les joueurs des deux clubs au coup d’envoi, à l’initiative du speaker de l’époque Walter Wolniewicz : « Souvent, lors des soirées européennes, je devais demander aux spectateurs de se serrer encore plus étroitement. C’était le cas lors des matchs bondés contre West Ham et Atletico. Cela s’entassait. Une règle était pour moi que les autres équipes ne devaient jamais être accueillies comme adversaires mais comme hôtes. Et je souhaitais que le match se déroule toujours avec fair-play. »
Emma, évidemment…
L’affluence est telle que le match débute avec quelques minutes de retard pour permettre à tous les fans de trouver une place dans les gradins surbondés du Rote Erde. Ce sont les Espagnols, bien décidés à renverser le score après le nul de l’aller, qui entrent le mieux dans le match : « Pour être glorieux, Dortmund a sué », écrivit la RuhrNachrichten. La technique des Colchoneros fait merveille et nos Jungs doivent s’accrocher. Les défenseurs Wolfgang Paul et Friedhelm « Hugo » Groppe doivent faire valoir leur grande taille pour contenir les assauts espagnols et le gardien Hans Tilkwoski réussit un miracle devant l’attaquant Adelardo. Le tournant du match : notre gardien relance sur Reinhard « Stan » Libuda qui élimine son adversaire et transmet la balle à Alfred Schmidt. Après un relais avec Dieter « Hoppy » Kurrat, Aki s’avance, résiste à la charge d’un défenseur et en élimine deux autres avec une passe géniale sur l’aile pour Stan Libuda ; le centre de ce dernier est manqué par Siggi Held mais parvient au buteur Lothar Emmerich. Sa frappe du gauche finit au fond des filets malgré le plongeon désespéré du défenseur Colo et du gardien Rodriguez. On jouait depuis 15 minutes… Et encore un but de plus pour Emma, qui finira meilleur buteur de cette Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe avec 13 réalisations, un record qui ne sera jamais battu « Il avait une telle fulgurance dans son pied gauche, se souvient le gardien remplaçant Bernhard Wessel, qui en avait souvent été victime à l’entraînement. C’était rare. Sa devise « Gib mich die Kirsche », donne-moi la cerise, était plutôt dans mon souvenir « Gib endlich her die Kirsche » donne enfin la cerise ici. Je crois que c’est ce qu’il a toujours dit. Peu importe. Emma voulait toujours avoir la balle. Ensuite il voyait la faille et ça devait finir dans les filets. »
Le système
Ce but était révélateur du style de jeu du Borussia de l’époque. Beaucoup de combativité et ensuite une grande vitesse pour aller en direction du but adverse. Avec Aki Schmidt en meneur de jeu, les fusées Siggi Held et Stan Libbuda sur les côtés et Lothar Emmerich à la finition. La vitesse de Siegfried « Siggi » Held avait tellement impressionné au match aller en Espagne, qu’il s’était vu offrir sa première sélection en équipe d’Allemagne une semaine plus tard contre l’Angleterre. Il demeure pourtant modeste : « Nous étions bons à l’époque. Mais je ne crois pas que l’on doive faire ressortir les attaquants, Emma, Stan ou moi. La base était notre défense. Nous avions avec Wolfgang Paul, Theo Redder, Gerd Cyliax et les autres une défense stable. Sinon, nous n’aurions jamais connu le succès. Et avec Aki Schmidt, il y avait quelqu’un qui pouvait toujours placer ses coéquipiers dans une bonne situation. Mais c’est juste qu’ensuite nous pouvions apporter en attaque nos différentes qualités. Emma avait un bon instinct. Il ne courait pas beaucoup mais était toujours le plus fort à la conclusion et le plus dangereux devant le but de nous. Stan était très astucieux et donnait de la vitesse. Il avait une grande qualité dans divers secteurs. C’est pourquoi nous étions presque inarêtables. »
Dans la douleur
Le football de rupture du BVB pose bien des problèmes aux Colchoneros. L’entraîneur espagnol change ainsi trois fois de latéral en première mi-temps pour tenter de contenir la vitesse de Siggi Held. L’Atletico a la maîtrise du jeu mais les deux meilleures occasions, dont le but, sont pour le BVB qui atteint la mi-temps sous les applaudissements et même les hurlements d’une sirène amenée par un spectateur. Plus mélodieux: durant la pause, le chœur de la Zeche Minister Stein entonne le Steigerlied, l’hymne des mineurs, un peu mélancolique car, quelques mois plus tard, le Zeche Kaiserstuhl à la Borsigplatz allait fermer ses portes, mettant fin à plus de cent ans d’exploitation de la houille sur la place natale du BVB. En deuxième mi-temps, l’Atletico pousse pour obtenir cette égalisation qui lui permettrait d’arracher les prolongations. L’atmosphère devient irrespirable au Rote Erde. Le BVB se complique un peu la vie en ne concrétisant pas plusieurs occasions de faire le break, notamment par Stan Libuda. Et n’est pas gâté par l’arbitre hongrois qui oublie un pénalty pour une faute de Garcia sur Held. « Schieber, Schieber », vendu, vendu, hurle la foule. Le jeu se durcit ; à l’époque, les changements ne sont pas autorisés, Lothar Emmerich est victime d’une béquille mais il reste tant bien que mal jusqu’au bout, alors que le gardien Hans Tilkowski se déboîte l’annulaire que le médecin lui remet en place. Mais la détermination, le courage et la volonté sont du côté schwarzgelben.
En route pour la gloire
Il est 21:23 lorsque l’arbitre donne enfin le coup de sifflet final. La délivrance. Le BVB l’emporte 1-0 et se qualifie pour la deuxième demi-finale de son histoire, deux ans après celle perdue en Coupe d’Europe des clubs champions contre l’Inter Milan. Mais cette fois-ci, rien ni personne ne pourra arrêter le Borussia : ni West Ham United, tenant du titre, en demi-finale, ni le grand Liverpool de Bill Shankly en finale. Une équipe de copains sortis des mines et des aciéries du Ruhrpott devient le premier club allemand à remporter une Coupe d’Europe : la Coupe des vainqueurs de Coupes. Il faudra attendre 31 ans, à l’automne 1996, pour que le BVB retrouve l’Atletico Madrid. En Ligue des champions cette fois, lors de la phase de groupe que le Borussia terminera en tête. Avant d’aller chercher la Königsklasse en finale contre la Juventus. Vingt-deux ans plus tard, les Schwarzgelben retrouveront les Colchoneros. Pour qu’une fois de plus, comme en 1965-1966, comme en 1996-1997, ces derniers leurs servent de tremplin vers la gloire ? Jamais deux sans trois !
Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe 1965-1966, quart de finale retour, 2 mars 1966 :
Borussia Dortmund – Atletico Madrid 1-0 (1-0). Aller: 1-1.
Kampfbahn Rote Erde, 32’500 spectateurs.
Arbitre : M. Aranyosi.
Buts : 15e Emmerich (1-0)
Borussia Dortmund : Tilkowski; Cyliax, Paul, Groppe, Redder; Kurrat, Sturm; Libuda, Schmidt, Held, Emmerich. Entraîneur: Willi Multhaup.
Benfica: Rodriguez; Colo, Jayo, Glaria; Rivilla, Garcia, Adelardo, Ufarte; Aragones, Jones, Cuellar. Entraîneur: Domenèc Balmanya.
Source:
Die Helden von 66. Gregor Schnittker, éd. Die Werkstatt, 2016.
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