Ce qui est génial en Allemagne, c’est que lorsque tu repars un peu frustré le vendredi soir parce que ton équipe a fait 0-0 Hanovre, il suffit de parcourir quelques dizaines de kilomètres le lendemain pour quand même voir ton quota de buts du week-end. En l’occurrence huit dans un match complètement fou devant des irréductible qui célèbrent une bataille vieille de 2009 ans !
Au lendemain du Nullnummer entre Hanovre et le BVB, on se réveille aux aurores (enfin, pas tout à fait) pour entreprendre le court trajet vers la ville qui n’existe pas : Bielefeld, allusion à un canular complotiste monté sur internet et qui avait rencontré un certain écho. Mais je peux en témoigner (ou alors je fais partie du complot…) : Bielefeld existe bel et bien, c’est une ville d’Ostwestfalen, avec son lot d’industries et de quartiers un peu sinistres, mais aussi quelques endroits bien sympas comme l’Alte Stadt, le Bauernhaus, le château du Sparrenburg ou les parcs qui entourent le stade. Car le but premier de la visite, ce n’était pas le cours de cuisine médiévale végétarienne du Bauernhaus auquel mon amie m’avait inscrit (j’y ai survécu…) mais bien le match.
Un peu d’histoire…
L’équipe locale, c’est l’Arminia. Pourquoi Arminia ? C’est un hommage à Arminius. C’était le fils d’un chef d’une tribu germanique, les Chérusques, envoyé en otage à Rome où il a été élevé. Après avoir combattu pour les Romains, Arminius s’est retourné contre ses anciens maîtres et a sonné la révolte des tribus germaniques. En l’an 9 de notre ère, il a infligé une cuisante défaite aux légions romaines de l’Empereur Auguste, commandée par le général Publius Quinctilius Varus, détruisant et massacrant trois légions, soit entre 25’000 et 30’000 hommes à la bataille de la Teutoburger Wald. C’est la bataille qui a mis fin aux velléités de conquêtes romaines en Germanie et, même si Arminius a ensuite connu quelques malheurs entre défaites militaires contre Germanicus et assassinat par des membres de sa propre tribu, il demeure l’un des héros de l’indépendance germanique. Comme Bielefeld se trouve au nord de la forêt de Teutoburg, le club local a donc été baptisé en son honneur, même si le lieu supposé de la bataille se trouve plus au sud, près d’Osnabrück. Et les fans locaux restent très attachés à leur héros : le match commence par l’hymne de la Teutoburger Wald et je fais un saut chez les ultras locaux pour ramener à mon amie un hoodie avec un visage fantomatique un peu effrayant sur le capuchon et orné de la devise du club « Niemand erobert den Teutoburger Wald », personne ne conquiert la Forêt de Teutoburg !
Un peu de géographie…
L’adversaire du jour n’est pas Romain mais Bavarois et il est venu avec moins de trois légions puisque à peine plus d’une centaine de fans ont accompagné le Jahn Regensburg dans sa conquête de la forêt de Teutoburg. Respect à eux mais c’est quand même un paradoxe certain : l’Allemagne est un pays qui vit et respire le foot comme peu d’autres et pourtant cela fait six ans que le titre national part dans la région du pays où le football suscite le moins de passion, la Bavière. Le SSV Jahn, c’est le club de Ratisbonne, la ville du pape Benoît XVI. Mais c’est aussi le club où notre légende Aki Schmidt a été élu entraîneur du siècle puisqu’il l’a entraîné à quatre reprises, fêtant deux promotions. C’est aussi au SSV Jahn que s’est révélé comme entraîneur notre ancien attaquant Heiko Herrlich, avant d’être promu à Leverkusen.
La folie
Si la veille on avait été frustrés de buts à Hanovre, cette fois nous devons attendre moins de trois minutes pour voir trembler les filets : Regensburg ouvre la marque sur une volée acrobatique du dénommé Grüttner. Mais la joie des Bavarois ne durera que cinq minutes, le temps pour Börner d’égaliser sur un corner d’Edmundsson. Le kop très bien garni de Bielefeld pouvait recommencer à chanter de plus belle. Et cela ne faisait que commencer : l’Arminia a pris l’avantage quelques minutes plus tard sur un centre repris par Andreas Voglsammer. Je n’ai pas souvent l’occasion de venir à Bielefeld mais c’est assez pratique car son duo d’attaque, c’est toujours Klos-Voglsammer, tu n’as pas trop de risques de te tromper.
C’est le délire à l’Alm mais l’euphorie sera assez rapidement douchée lorsque Jann George égalise d’une tête plongeante avant de venir allumer les fans locaux en mode Jean-Kevin Augustin, ce qui lui vaudra les huées du public jusqu’à la fin du match. Et cette provocation ne restera pas impunie car, moins de deux minutes plus tard, Bielefeld reprend l’avantage sur un but gag : le défenseur Saller veut remettre un ballon anodin de la tête à son gardien mais n’a pas senti que celui-ci était sorti à sa rencontre et la balle pénètre tout tranquillement dans le but vide. 3-2, on jouait depuis 28 minutes… c’est mal barré pour notre week-end sans but. Les 15’000 fans sont complètement survoltés, on adore, techniquement ce n’est peut-être pas très académique mais c’est le football comme on l’aime, ça ne calcule pas, ça va d’un but à l’autre, ça joue tous les coups à fond et l’ambiance est complètement survoltée.
Le héros
Après cette première demi-heure de feu, les deux équipes vont quand même lever un peu le pied et Regensburg va calmer l’Alm lorsque son attaquant Marco Grüttner égalise en deux temps en début de deuxième mi-temps. Le match est un peu moins fou, on sent que Regensburg a un peu plus de football dans son jeu, l’Arminia de l’entraîneur luxembourgeois Jeff Saibene, que l’on connaît bien en Suisse, compense par une folle défense d’énergie. Le match devient plus houleux, Jann George continue de s’attirer l’ire des Bielefelder, on sent que cela peut basculer d’un côté comme de l’autre : Regensburg est tout près de reprendre l’avantage avec un sauvetage du gardien adverse, Bielefeld aussi avec un coup franc sur la latte.
Le héros à Bielefeld, à part Arminius, c’est Fabian Klos, le fidèle attaquant, resté au club pendant les années de galère, les problèmes financiers, la Dritte Liga. Et, à 31 ans, il reste la meilleure arme offensive de l’Arminia. Il va la prouver encore une fois en surgissant à deux minutes de la fin pour inscrire le but de la victoire d’une tête rageuse. L’Alm est au bord de la apoplexie, je me congratule avec des fans inconnus autour de moi. Le délire sera complet dans les arrêts de jeu lorsque le gardien de Regensburg monte à l’assaut sur un corner, permettant au joker Patrick Weihrauch d’aller inscrire le 5-3 dans le but vide ! Ein irres Spiel, comme disent les Allemands. Bielefeld ne jouera sans doute pas les premiers rôles cette saison en Zweite Liga mais, s’il donne quelques fois pareille émotions à ses fans, sa saison sera réussie. On en redemande !
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