C’était une journée magnifique dans l’un des plus belles, sinon la plus belle, ville de Westphalie : le soleil et la chaleur, l’arrivée du printemps, la végétation florissante dans les parcs, les terrasses et les berges bondées et, pour ne rien gâter, une victoire de l’équipe de football locale. Puis il y a eu le hurlement des sirènes, le vol des hélicoptères, les rues bloquées par les cordons de policiers. La terreur avait encore frappé là où l’on ne l’attendait pas, dans ce petit coin de paradis.  

Au début, nous n’avons rien compris à ce qu’il se passait quand nous avons commencé à entendre hurler les sirènes et à voir les hélicoptères survoler la ville. Le match était terminé et l’ambiance y avait été toute tranquille. Pareille pour la manifestation en faveur des Kurdes d’Afrin croisée en rentrant du stade. Puis la nouvelle a filtré dans les rues de Münster : une voiture folle s’est précipitée sur une terrasse de la vieille ville historique, là où nous projetions d’aller prendre notre repas du soir. Il s’avérera plus tard que cet acte fou n’avait aucune motivation politique mais était juste le fait d’un déséquilibré. Cela n’enlève rien au lourd bilan de l’attaque : deux morts (plus le tueur qui s’est suicidé), une vingtaine de blessés et toute une ville traumatisée. Mais dans quel monde vit-on ?

La loi des séries

Cela fait tout de même la quatrième fois en peu de temps que nous sommes indirectement touchés par un drame en marge de nos pérégrinations footballistiques. Il y a d’abord eu le crash de la German Wings, compagnie sœur du sponsor du BVB Eurowings, que nous empruntons souvent pour nos déplacements ; il n’est donc pas exclu que nous ayons volé une fois ou l’autre avec le copilote suicidaire qui a crashé son avion sur les montagnes françaises. Puis il y a eu l’attentat contre le Marché de Noël, que nous a interpellé à double titre : d’abord parce qu’il s’est produit sur la Breitscheiplatz, la place qui sert de point de ralliement au peuple borusse lors des finales de Pokal, là où nous avons passé tant d’heures de joie, de chants, d’amitiés et de bières ; ensuite, parce que le terroriste avait vécu à la Malinckrodstraße, la rue qui mène à la Borsigplatz à Dortmund, à deux pas de chez moi et où se trouve ma boulangerie favorite. Là encore, notre route a peut-être croisé un jour celle du dément en allant chercher nos Berliner du dimanche matin. Enfin, bien sûr, il y a eu l’attentat contre le bus du BVB et ses longues minutes d’angoisse et d’incertitude dans les coursives du Westfalenstadion en attendant de comprendre ce qui se passait. Et maintenant, Münster… On espère que la série d’arrêtera là mais c’est l’occasion de se rappeler et de rappeler à ceux qui ont tendance à l’oublier que parfois le football peut apparaître bien dérisoire et qu’il y a des choses plus graves dans la vie qu’une défaite ou qu’une saison sans titre.

Münster

On sait désormais que ce genre de drame peut frapper n’importe où et n’importe quand, la démonstration en est une nouvelle fois faite. Car Münster est un peu le joyau de la Westphalie. Située à une demi-heure de train au nord de Dortmund, cette ville universitaire et historique n’est que calme, charme et beauté avec ses parcs et jardins, ses églises, ses vieux bâtiments gothiques, son château, ses lacs et canaux, ses moulins… C’est aussi le royaume des vélos, auxquels sont offerts de véritables autoroutes sous les allées boisées. Et ce samedi marque la véritable arrivée du printemps sur la Westphalie : les terrasses, les Biergarten, les berges du Aasee, le lac situé à proximité du centre-ville, se remplissent rapidement, alors que la végétation commence à reprendre ses droits dans les parcs et jardins. Bucolique. Mon ancien colocataire m’a avoué une fois que Münster était tellement jolie qu’il lui arrivait même de s’y rendre sans foot, c’est dire…

Preußen

Mais notre visite à Münster à nous coïncide, purement fortuitement bien sûr, avec un match de l’équipe locale de Dritte Liga : le SC Preußen 06. Le SCP fait partie des seize Traditionsvereine qui ont participé à la création de la Bundesliga en 1963-1964. Mais malheureusement pour lui, c’est aussi la seule saison qu’il a eu l’occasion de jouer dans la grande ligue. Le club n’a même plus eu droit à la Zweite Liga depuis 1991 ; depuis lors, il végète entre troisième et quatrième division. Cette saison encore, notre homonyme du Preußen (version allemande de notre Borussia latin) a perdu toutes chances de viser plus haut mais a mis suffisamment de points au chaud pour éviter tout risque de relégation. Une fin de saison tranquille en perspective…

Il en va différemment de l’adversaire du jour, le SV Wehen Wiesbaden, club assez paisible de la capitale de la Hesse, dans l’ombre de ses grands voisins Eintracht Francfort, Mainz et Kaiserslautern. Mais, grâce à un début de deuxième tour canon, le SV Wehen est venu s’inviter dans la course à la promotion ou, à tout le moins, à une place de barragiste contre l’antépénultième de Zweite Liga. Néanmoins, la défaite concédée une semaine auparavant dans le derby contre Würzburg avait constitué un sérieux coup d’arrêt dans la remontée des Rot-Schwarzen.

Preußenstadion

Une semaine après l’atmosphère aseptisée de l’Allianz Arena et l’ambiance morbide des clients bavarois en route pour le titre, cela nous fait immensément plaisir de retrouver une vraie ambiance de foot allemand. Le Preußenstadion est un vieux stade en rond, avec plein de places debout, les vestiges d’une piste d’athlétisme en boue séchant au soleil, des bars, de la bière (Warsteiner en l’occurrence, elle n’est pas brassée très loin), de la saucisse… Das ist Fußball !!! Bien sûr, le SC Preußen ne gagnera jamais de titres, ne jouera jamais la Ligue des Champions et pourtant les mecs sont juste contents d’être là (nous sommes 6048) pour soutenir leur équipe, avec l’espoir peut-être un jour de vivre quelques émotions fortes : une promotion en Zweite Liga, une victoire dans le Derby contre Osnabrück, un exploit en Pokal (comme en 2012 contre le Werder Brême)…

Le football reste un jeu et, si on l’a manifestement oublié du côté des consommateurs de Munich où l’on accueille les titres avec la même satisfaction qu’un banquier qui constate que le rendement de son dernier placement immobilier a bien atteint les 4% escomptés, on le vit très bien à Münster. Quand le match connaît quelques temps morts (et il y en a eu beaucoup…), les mecs s’amusent à faire des olas en tentant d’atteindre le terrain avec leur carton de bières. Rafraîchissant. Enfin, façon de parler : le speaker annonce une température de 23° mais, comme nous sommes en plein soleil et que c’est la première chaleur de l’année, on a l’impression que c’est beaucoup plus chaud.

Le mythique numéro 10

Malgré sa nette avance au classement et quelques joueurs connus dans ses rangs comme Simon Brandstetter, l’ex-Panzer du MSV Duisburg, Stephan Andrist, ancien champion de Suisse avec le FC Bâle ou Kevin Pezzoni, le Kölner qui avait dû s’exiler après avoir reçu des menaces de mort de fans du Effzeh suite à une défaite, Wiesbaden va être largement dominé en première mi-temps. Après moins de deux minutes, son gardien est contraint à un arrêt délicat puis les joueurs du Preußen ne trouvent pas le cadre à quatre reprises.

Depuis que les joueurs portent des numéros fixes pour la saison, le numéro 10 a un peu perdu de son aura et de sa magie par rapport à l’époque où les onze titulaires arboraient des chiffres de 1 à 11 et où le 10 était réservé au meneur de jeu, au créateur, au match-winner. Mais dans ce Münster – Wiesbaden, ce sont bien les numéros 10 qui vont faire la différence : celui du SV Wehen d’abord, Robert Andrich, expulsé à la 40e pour un mauvais coup, je n’ai pas très bien vu, cela s’est passé hors du jeu. Puis celui du SCP, Martin Kobylanski, qui a rapidement profité de cette supériorité numérique en ouvrant le score jusqu’avant la pause d’un coup-franc rentrant depuis le flanc gauche. Mais là encore, je n’ai pas très bien vu, j’étais déjà en train de me diriger vers le bar pour couper court à tout risque de déshydratation.

Zieh…

En revanche, après la pause, cet avantage numérique et au score a paru embarrassé plus qu’autre chose le Preußen et les joueurs de l’entraîneur Marco Antwerpen ont tout fait à l’envers (comprenne qui pourra…). Avec un homme de moins, Wiesbaden a enfin justifié son statut de prétendant à la promotion. Alors que Münster se montrait incapable d’exploiter les espaces en contre, les Rot-Schwarzen vont se ménager au moins quatre occasions nettes d’égaliser. Le speaker avait salué d’un ton un peu narquois les 50 fans de Wehen qui avaient fait le déplacement, en fait ils devaient être 70 mais c’est bien peu par rapport aux 1500 fans de Magdeburg ayant effectué le déplacement, pourtant bien plus long, d’Unterhaching la semaine précédente. Et pourtant, les deux clubs sont bien à la lutte pour la promotion en Zweite Liga.

Autant j’avais été agréablement surpris par le Preußsen en première mi-temps, autant leur incapacité à exploiter leur supériorité numérique en 2ème mi-temps nous fait comprendre pourquoi cette équipe n’est pas mieux classée. Cela devient crispant sur le Preußenstadion et même carrément dramatique lorsque Wiesbaden se retrouve à 9 dès la 84e suite à l’expulsion de Brandstetter. Mais, même à 11 contre 9, Münster se met tout seul en difficultés, le gardien de Wehen monte à l’abordage sur un ultime corner qui ne donne rien, le but est vide sur le contre, le Preußenstadion hurle « zieh, zieh !!! » comme le public du Schattenbergschanze d’Oberstdorf lors d’un saut d’Andreas Wellinger ou de Severin Freund mais l’action avorte lamentablement. Qu’à cela ne tienne : le petit but inscrit avant la pause suffit à offrir une victoire de prestige au Preußen Münster.

Un coin de paradis

Wiesbaden a du coup sérieusement compromis ses chances de retour en Zweite Liga : non seulement il doit laisser filer les deux leaders Paderborn et Magdeburg pour les deux places de promus mais il voit aussi revenir Karlsruhe à une longueur pour la place de barragiste. Et en plus, il perd deux joueurs sur suspension avant le choc contre Magdeburg ce vendredi 13. Une bien mauvaise journée. Les fans du Preußen n’auront eux guère l’occasion de fêter le succès de leur équipe puisque, peu après la fin du match, la ville a été bouleversée par les événements que l’on sait.

Et nous n’avons guère pu non plus profiter de notre soirée dans le centre-ville historique de Münster, complètement fermé suite à l’attentat. Mais nous avons quand même pu dénicher un Biergarten Dortmunder Kronen puis un souper aux chandelles sur les rives de l’Aasee pour nous convaincre que Münster est un petit coin de paradis qui n’aurait jamais dû se retrouver à ce point sur le devant de l’actualité pour un événement aussi dramatique.

Catégories : Au Stade

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