Quatre jours après les événements tragiques ayant précédé le match contre Monaco, le football a pleinement repris ses droits au Westfalenstadion. En revenant aux bonnes vieilles recettes du passé : le retour des glorieux anciens dans le onze de base, un jeu plus direct, davantage d’intensité; l’espace d’une mi-temps le peuple jaune et noir s’est cru revenu dans les années de grâce 2010-2012. Suffisant pour battre Francfort grâce à l’une des mi-temps les plus plaisantes vues cette saison avec le BVB.


Avec à peine plus de onze ans de fréquentations assidues du Westfalenstadion, je passe plutôt pour un « jeune » fan dans mon Fanclub allemand du Borussia. Certains de mes collègues suivent les matchs du BVB depuis tellement longtemps qu’ils venaient déjà au stade lorsque notre première équipe jouait encore au Kampfbahn Rote Erde ! Ainsi, samedi, dans les théories d’avant-match, l’un d’entre eux, Bernd, qui tient le bar privé que nous organisons à chaque match sur un parking du Westfalenstadion (la bière la moins chère du stade !), me confiait : « Je pensais avoir tout vu et tout connu avec notre BVB, notamment depuis ce Derby à Gelsenkirchen en 1962 disputé dans la boue et devant des gradins presque vides car la plupart des fans pensaient que le match allait être renvoyé après quatre jours de pluie intensive. Mais l’arbitre venait du Ruhrpott, il était proche de la retraite et ne voulait pas manquer l’occasion d’arbitrer son premier Derby, il a fait jouer le match. Mais jamais je n’aurai pu imaginer ce que vit notre équipe cette saison : les départs imprévus d’Hummels et Mkhitaryan, les blessés, les incidents contre Leipzig, la suspension de la Südtribüne, le car embourbé à Lotte et le renvoi du match puis maintenant l’attentat contre nos joueurs… Inimaginable ! » « Nous sommes hantés par la malédiction du Schwarz Peter », renchérit Rainer, un autre vétéran du BVB. Schwarz Peter, le Pierre Noir, la carte maudite.

Kopf hoch, Jungs !

Mais nous sommes à Dortmund. Une ville qui a l’habitude des coups durs, qui a traversé maintes crises économiques et sociales, qui a été presque entièrement rasée par les bombardements pendant la deuxième guerre mondiale, un club qui a failli disparaître plusieurs fois en raison de problèmes financiers, et tous deux s’en sont toujours relevés. Ici, c’est une terre de mineurs, de durs au mal, les coups durs on connaît et on finit toujours par repartir de l’avant. C’est le reproche que l’on a parfois pu faire cette saison à nos joueurs : ne pas avoir toujours su faire face à l’adversité, on ne parle pas du match aller contre Monaco où nos Jungs ont déjà été admirables d’avoir été ne serait-ce que présents sur le terrain 24 heures après l’attentat, mais, en d’autres circonstances, moins dramatiques, entraîneur et joueurs ont parfois donné l’impression de se cacher derrière les excuses et les difficultés plutôt que tout en mettre en œuvre pour surmonter ces dernières. C’est pourquoi, samedi contre Francfort, nous leurs sommes reconnaissants d’avoir montré la meilleure des réactions contre la terreur et d’avoir replacé le football au centre des débats.

Retour vers le futur

Et pour réagir, la meilleure solution, c’est d’avoir su revenir à des recettes qui nous ont valu bien des succès par le passé. Enfin !!! Jamais cette saison Thomas Tuchel n’avait aligné autant de champions d’Allemagne 2010-2011 au coup d’envoi, cinq : Schmelzer, Piszczek, Bender, Sahin et Kagawa ! Plus Reus, un vrai Dortmunder, qui n’était pas des épopées 2010-2012 mais de celle de 2013, en y ajoutant encore Bürki, Sokratis, Weigl ou Pulisic, peut-être nos éléments les plus réguliers cette saison, bref une vraie équipe de combat. L’ambiance s’en est immédiatement ressentie : on ne sait pas si c’est une réaction de solidarité après les événements de la semaine ou si le public a été électrisé en découvrant la composition sur les écrans du stade mais le YNWA n’a rarement autant claqué cette saison. En première mi-temps du moins, l’ambiance, si souvent morose cette saison, a parfois rappelé ce qu’elle était il y a encore quelques années, avec des chants qui ne se cantonnaient pas en Blocks 12 et 13 mais gagnaient parfois tout le stade. On reproche parfois aux fans du BVB d’être trop romantiques mais c’est une critique que nous assumons avec fierté. Oui, nous avons vécu un truc de fou avec notre équipe entre 2010 et 2012, nous avons connu et partagé tant de joies, d’émotions et de victoires dans tous les stades d’Allemagne avec ces joueurs que nous garderons toujours un lien fort avec eux. Il ne s’agit pas de vivre éternellement dans la nostalgie d’une époque révolue, nous sommes bien conscients que l’équipe doit évoluer, se renforcer, que nous ne gagnerons pas le Meisterschale en 2021 avec le même onze de base qu’en 2011. Mais si nous sommes peut-être, par reconnaissance, parfois trop bienveillants avec nos Helden de 2010-2012, Thomas Tuchel nous semble parfois tomber dans l’excès inverse avec son complexe d’Œdipe : il veut tellement se démarquer de Jürgen Klopp, dénier cette filiation naturelle avec son prédécesseur dont on l’a si souvent affublé qu’il a tendance à être moins indulgent avec ceux qui ont construit les succès de Kloppo. Que l’on se comprenne bien : si cela nous fait très plaisir de revoir Shinji, Manni ou Nuri dans le onze de base, ce n’est pas que nous estimons qu’ils méritent une place de titulaires à vie pour services rendus. Mais bien parce que nous restons persuadés qu’ils peuvent encore rendre beaucoup de services à notre club adoré. Nous avons engagé des renforts très prometteurs mais ils seraient encore plus performants et s’intégreraient plus facilement en étant mieux entourés par des joueurs qui savent ce que c’est que de gagner un titre avec le BVB et possèdent l’ADN du club dans le sang. Certains d’entre eux ont connu des blessures ou des mauvais choix de carrière mais ils sont encore à un âge où normalement un footballeur atteint sa plénitude et n’ont besoin que de temps de jeu et de confiance pour recouvrer leur niveau d’antan. Il suffit de voir la renaissance d’un Kagawa, que l’on n’avait pas revu aussi performant depuis son départ pour Manchester depuis qu’il est régulièrement aligné, pour s’en convaincre. Goldene Zukunft braucht Vergangenheit, dit la chanson, on espère que notre entraîneur saura s’en souvenir !

Geil !

Cette composition affriolante va déboucher sur une magnifique première mi-temps, l’une des plus excitantes vécue cette saison avec le BVB. Il y a de l’engagement, du rythme, de l’intensité, du pressing, une envie permanente d’aller vers l’avant, on a rajeuni de cinq ans… Symbole de cette envie retrouvée: le premier but avec Pulisic qui s’arrache pour récupérer un ballon qui semblait perdu, redresse son centre et trouve une talonnade raffinée de Marco Reus. Certes, tout ne fut pas parfait et notre jeu retrouvé n’a pas gommé nos sempiternels problèmes défensifs. Comme contre Hambourg, après 10 minutes, notre défense est transpercée sur une ouverture plein axe et cette fois ce n’est pas Roman Bürki qui nous sauve mais la maladresse de Marcos Fabian qui tire à côté du but vide. Le Mexicain sera bien plus inspiré quelques minutes plus tard en égalisant d’une frappe somptueuse pleine lucarne, alors que notre gardien nous sauve d’un réflexe miraculeux sur une reprise à bout portant quelques minutes plus tard. Mais le meilleur restait à venir avec cette frappe d’une violence rare, là encore en pleine lucarne, de notre guerrier Sokratis Papastathopoulos, ce n’était pas le jour des araignées dans les toiles. Un vrai Sonntagsschuß, de ceux qui ont fait la réputation de la Bundesliga. Une première mi-temps intense, un vrai combat contre un vrai rival, trois buts magnifiques, une ambiance retrouvée : à la mi-temps on ne boudait pas notre plaisir.

Retour vers le présent

La suite ne fut malheureusement pas du même acabit. On a retrouvé le BVB actuel, celui qui ronronne et s’endort sur une possession de balle un peu molle. On ne sait pas si c’est l’effet des sorties à la pause de Reus et Bender mais notre jeu est devenu beaucoup moins spontané, moins rythmé, on a retrouvé cette domination stérile d’une équipe qui se met en danger en ne parvenant pas à marquer le but de la sécurité et finit par se retrouver sous la menace d’un adversaire qui s’enhardit. Du coup, l’ambiance descend de deux crans dans le stade et finit elle aussi par un peu somnoler. Heureusement, cette fois notre défense a tenu bon et une action de rupture rondement menée par Ousmane Dembelé et Pierre-Emerick Aubameyang nous a offert le but de la sécurité en fin de match. 3-1, comme elle nous a fait du bien cette victoire et nous avons terminé l’après-midi dans un magnifique moment de communion et d’émotion entre fans et joueurs autour du maillot du malheureux Marc Bartra, auquel nous souhaitons bien sûr un prompt rétablissement.

Rien à perdre

Dans les discussions d’après-match, les esprits étaient déjà tournés vers le match de samedi à Mönchengladbach, voir le choc de Pokal à Munich, comme si le peuple jaune et noir avait, dans un accès de fatalisme, déjà zappé la Königsklasse après les tristes événements du mardi précédent. Il est vrai que Leipzig et Hoffenheim ne faiblissent pas, la 2e place devient inaccessible et même la 3e est menacée : il faut absolument comptabiliser des points contre Gladbach et Köln pour que le choc contre Hoppenheim début mai ait encore un enjeu. Le contexte de notre déplacement à Monaco rappelle un peu celui du quart de finale retour contre le Real Madrid en 2014. L’équipe était décimée par les blessures, abordait le retour en ballottage défavorable (défaite 3-0 à l’aller à Madrid) et Jürgen Klopp n’y croyait tellement pas qu’il avait ménagé certains joueurs en prévision d’une demi-finale de Pokal une semaine plus tard contre Wolfsburg. Et pourtant, avec une équipe bis, le BVB avait bousculé le futur champion d’Europe comme jamais, passant à un rien, trois occasions immanquables ratées par Mkhitaryan, de l’impossible exploit. Il faut aller dans cet esprit-là en Principauté. Pour une fois, notre équipe peut jouer sans pression cette saison, il n’y a aucune attente sur ce match là et personne ne tiendra rigueur à nos Jungs en cas d’élimination dans les circonstances que l’on sait. Nos joueurs doivent donc se lâcher, jouer avec spontanéité, pour le plaisir, pour leur pote Marc Bartra et, même si l’ambiance glauque du stade Louis II ne va pas les sublimer comme celle du Westfalenstadion en 2014 contre le Real, peut-être que l’improbable retournement de situation est possible. Après tout,  mes vieux potes Rainer, Bernd et les autres n’ont sans doute pas encore tout vu avec leur BVB et cette saison où nous avons traversé tant d’épreuves peut encore nous réserver des surprises – bonnes celles-là.

Catégories : Au Stade

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