Dimanche dernier, Hans Tilkowski nous a quitté à l’âge de 84 ans des suites d’une longue maladie. Le BVB perd ainsi celui qui reste probablement comme le plus grand gardien de son Histoire. Un gardien qui vaut bien plus que ce but fantôme encaissé en finale de la Coupe du Monde 1966 à Wembley auquel il est souvent ramené. Hommage sous forme d’un portrait et d’une interview donnée pour le site schwatzgelb.de en 2016.

En mai 2016, le BVB a célébré en grandes pompes les cinquante ans de la victoire en Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe le 5 mai 1966 à Glasgow contre le grand FC Liverpool. La première victoire d’un club allemand en Coupe d’Europe. Lors des divers événements organisés pour commémorer le premier grand succès international du Borussia, sept des onze titulaires de la finale étaient encore parmi nous. Seuls Willi Sturm (décédé en 1996), Stan Libuda (également décédé en 1996), Lothar Emmerich (en 2003) et Gerd Cyliax (en 2008) manquaient à l’appel. Depuis, la grande Faucheuse a prélevé un lourd tribut parmi les Helden von 66 puisque Aki Schmidt (en novembre 2016), Hoppy Kurrat (en octobre 2017), Rudi Assauer (en février 2019) et, depuis ce dimanche 5 janvier 2020, Hans Tilkowski nous ont malheureusement quitté.

Le plus illustre d’entre tous

Le BVB a connu beaucoup de grands gardiens : Heinrich Kwiatkowski, Bernhard Wessel, Horst Bertram, Eike Immel, Teddy de Beer, Stefan Klos ou encore Roman Weidenfeller. Mais, même si Stefan Klos a gagné la Ligue des Champions, si Roman Weidenfeller a été champion du monde (sans jouer), Hans Tilkowski est sans doute le plus illustre d’entre tous. Sa notoriété, le « schwarze Til » la doit avant tout à ce but fameux, peut-être le plus célèbre de l’histoire du football, inscrit (ou pas) lors de la finale de la Coupe du Monde 1966 à Wembley. L’Angleterre et l’Allemagne se sont quittés sur le score de 2-2 après le temps réglementaire le 30 juillet 1966 et se disputent la suprématie mondiale lors des prolongations lorsque, à la 100ème minute de jeu, l’attaquant des Three Lions Geoff Hurst frappe, le ballon rebondit sous la latte puis sur (ou derrière) la ligne de but et ressort. L’arbitre suisse Gottfried Dienst, sur indications de son juge de ligne soviétique Tofik Bakhramov, valide le but et l’Angleterre s’impose finalement 4-2 pour remporter ce qui reste aujourd’hui encore son seul grand trophée international. Cinquante-quatre ans plus tard, personne ne peut affirmer avec certitude si le ballon avait bien franchit la ligne ou pas. Les images ne prouvent rien du tout, diverses études ou tentatives de modélisation ont essayé de résoudre l’énigme et la tendance majoritaire est plutôt d’affirmer que le ballon n’avait pas entièrement franchit la ligne. Aux premières loges, puisqu’il gardait ce jour-là les buts de la Mannschaft, Hans Tilkowski a toujours déclaré : « Je mourrai avec la certitude que le ballon n’est pas rentré. » Cette certitude, il l’a donc emportée dans la tombe depuis dimanche. Mais, même s’il a lui-même intitulé son autobiographie « Und ewig fällt das Wembley Tor », il serait trop réducteur de ramener cet immense gardien à ce but litigieux encaissé.

Das Wunder von Herne

Hans Tilkowski est né à Dortmund en 1935. Son père était mineur à la mine d’Husen et lui se destinait, comme beaucoup de ses futurs coéquipiers de l’époque, à une vie à la mine ou à l’usine. En l’occurrence, c’est comme serrurier dans l’aciérie qu’Hans Tilkowski a appris son métier. Mais il y a eu le football… D’abord comme footballeur des rues, les fameux Pöhler remis au goût du jour par Jürgen Klopp en 2012, puis dans le club local du VfL Husen 19 et ensuite au SuS Kaiserau, un club d’Unna en banlieue sud-est de Dortmund. Mais c’est au Westfalia Herne, à une trentaine de kilomètres de Dortmund, dans l’antichambre de l’enfer (Gelsenkirchen), que le schwarze Til va débuter dans l’élite. A l’époque, l’élite du football allemand était encore très élargie puisqu’elle comptait 76 équipes, réparties en 5 groupes régionaux, les fameuses Oberliga. Lorsqu’Hans Tilkowski débute le 27 août 1955 contre le Schwarz-Weiss Essen, à l’âge de 20 ans, dans les rangs du Westfalia, ce n’est encore qu’un club de deuxième moitié de classement de l’Oberliga West. Mais, sous l’impulsion de l’entraîneur Fritz Langer, Herne va devenir une formation dominante de cette division ouest. Avec une génération dorée : Hans Tilkowski dans les buts, Alfred Pyka en défense, Helmuth Benthaus, qui deviendra bien des années plus tard le père spirituel d’Ottmar Hitzfeld à Bâle, au milieu, et le buteur Gerhard Clement (28 buts, roi des buteurs en Oberliga West cette année-là). En 1958-1959, le modeste Westfalia Herne remporte ainsi l’Oberliga West et devient Westmeister devant tous les grands clubs de la région : le 1. FC Köln, vice-champion d’Allemagne en titre, termine 2ème à six longueurs, le Fortuna Düsseldorf, double finaliste sortant de la Pokal, 3ème. Le Borussia Dortmund, champion 1955 et 1956, ne termine qu’à la 5ème place, à dix longueurs de l’inattendu Herne, alors que le champion d’Allemagne en titre, Schalke 04, échoue à un piteux 11ème rang. Le Stadion am Schloss Strünkede est devenu une forteresse imprenable puisqu’en 15 matchs d’Oberliga, le Westfalia récolte 14 victoires pour un seul match nul. Et Hans Tilkowski n’est pas étranger à ces résultats miraculeux.

Son compère de la défense Alfred Pyka déclara : « Avec ses performances exceptionnels, Hans s’est assuré que nous devenions Westmeister avec autant de points. Nous avons réussi tellement de blanchissages. » Das Wunder von Herne. Le miracle se terminera toutefois lors de la phase finale pour le titre de champion d’Allemagne réunissant les huit meilleures équipes du pays puisque le Westfalia ne terminera que troisième (sur quatre) de son groupe, manquant ainsi l’accession à la finale qui verra le sacre de l’Eintracht Francfort en prolongations contre son grand rival Kickers Offenbach. Néanmoins, ses bonnes performances valent à Hans Tilkowski sa première sélection en équipe d’Allemagne en 1957, à l’occasion d’une victoire 2-1 à Amsterdam contre la Hollande, avec un but victorieux de son futur coéquipier Aki Schmidt, un autre fils de mineur de Dortmund. Le journal L’Equipe écrivait alors : « C’est un homme avec un talent naturel pour le boulot de gardien. C’est un seigneur des buts, de sa surface de but, une sorte de Yachine. »

En 1959-1960, le Westfalia Herne confirme et termine deuxième de l’Oberliga West, derrière le 1. FC Köln mais coiffant sur le fil et pour deux points le BVB, troisième. Après un tour de barrage remporté 1-0 à Hanovre contre le vice-champion d’Allemagne Offenbach, Herne  accède donc une deuxième fois consécutive au tour final pour le Meisterschale. Sans plus de réussite que l’année précédente puisqu’il termine dernier de son groupe. Après ces deux années fastes, Herne va un peu rentrer dans le rang et, lors de la saison 1962-1963, la dernière saison des Oberliga, sa quatorzième place de l’Oberliga West ne lui permet évidemment pas de faire partie des seize équipes qualifiées pour la nouvelle Bundesliga unifiée pour tout le pays.

Der Stern von Rio

Pendant ses années au Westfalia Herne, Hans Tilkovski a compté 18 sélections en équipes nationales. Il avait participé aux matchs de qualifications pour la Coupe du Monde au Chili en 1962, mais, lors de cette dernière, l’entraîneur mythique Sepp Herberger lui préférera un jeune gardien inconnu venu d’Ulm en deuxième Oberliga Süd, Wolfgang Fahrian. Si l’on en croit la biographie de l’entraîneur champion du monde en 1954, Hans Tilkowski a très mal vécu cette décision : « La nuit après le match, il a bu et il a jeté les meubles de sa chambre dans le couloir. « Vous m’avez tous trompé », hurlait-il. » Après son retour en Allemagne, il a annoncé son retrait en équipe nationale. Il fera toutefois son retour en 1964 à Alger lors d’une victoire 0-2 comme Algérie et s’imposera définitivement comme titulaire après une performance grandiose devant 145’000 spectateurs au Maracana en juin 1965 qui lui a valu le surnom de « Stern von Rio », l’étoile de Rio. Ce jour-là, il reçut même les félicitations du Roi Pelé en personne, resté muet devant les prouesses du gardien dortmundois, permettant à la Mannschaft de s’imposer 0-2 sur la pelouse des doubles champions du monde en titre.

Premiers exploits au BVB

Mais, entre son retrait et son retour en équipe d’Allemagne, Hans Tilkowski a connu un tournant majeur dans sa carrière : son passage du Westfalia Herne au Borussia Dortmund. En effet, pour un gardien de sa classe, il n’était pas question de suivre Herne, pour lequel il a joué 281 matchs d’Oberliga, en deuxième division. Et c’est tout naturellement qu’il a rejoint le club de sa ville natale, le Borussia Dortmund, évidemment qualifié pour la nouvelle Bundesliga puisqu’il était champion d’Allemagne en titre, après sa victoire en finale contre le 1. FC Köln en 1963.  Il s’y impose immédiatement comme titulaire, malgré la concurrence du légendaire Heinrich Kwiatkowski, sur la fin de sa carrière, et de Bernhard Wessel, le gardien champion d’Allemagne 1963. Nous savons tous que c’est un Borussen, Timo Konietzka, qui a inscrit le premier but de l’histoire de la Bundesliga, le 24 août 1963, à Brême contre le Werder. Ce qui est moins connu, c’est que c’est aussi un Borussen qui, une semaine plus tard, a été le premier à retenir un pénalty dans la toute jeune ligue majeur du football allemand : Hans Tilkowski est en effet entré dans l’histoire en arrêtant le pénalty du joueur de 1860 München Alfons Stemmer au Rote Erde, le premier pénalty arrêté de l’histoire de la Buli. Mais son premier exploit majeur au BVB, Til va le réaliser le 6 novembre 1963 en huitièmes de finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions à l’Estadio da Luz de Lisbonne contre la meilleure équipe d’Europe de l’époque, le Benfica, triple finaliste sortant de l’épreuve. Ce soir-là, Hans Tilkowski multiplie les prouesses devant Eusebio et consorts pour permettre au BVB de ne repartir qu’avec une courte défaite 2-1. Ouvrant la porte à l’exploit majeur du match retour sur la pelouse gelée du Kampfbahn Rote Erde et le 5-0 avec l’improbable triplé de Franz Brungs.

L’année d’Hans Tilkowski

Le BVB échoue cette année-là en demi-finale de la Königsklasse contre l’Inter Milan et termine quatrième de la Bundesliga, derrière Köln, Duisburg et Francfort. La saison suivante, en 1964-1965, le Borussia accède au podium, derrière Brême et Köln. Hans Tilkowski est au somment de son art. Il joue les sauveurs à l’automne en Coupe d’Europe des Villes de Foire : vainqueur 4-1 à l’aller au Rote Erde, le BVB est mené 2-0 au retour par les Girondins de Bordeaux lorsque son gardien sauve la qualification en arrêtant un pénalty. Il devra toutefois s’avouer vaincu au tour suivant contre Manchester United. 1965 sera l’année d’Hans Tilkowski : ses performances lui valent d’être élu footballeur allemand de l’année. C’était le premier joueur du Borussia à obtenir cette distinction et aussi le premier gardien. Pour couronner sa magnifique année, Hans Tilkowski est bien entendu de la partie lorsque le BVB remporte la première DFB-Pokal de son histoire, en battant l’Alemania Aachen 2-0 en finale à Hanovre. Même si, en l’occurrence, il avait passé une journée assez tranquille puisque la chaleur écrasante et les deux buts d’Aki Schmidt et Lothar Emmerich en début de match avaient complètement assommé l’Alemania.

A l’été 1965, un nouvel entraîneur arrive au BVB, Willy « Fischken » Multhaup, que Til a particulièrement apprécié : « Multhaup donnait volontiers du plaisir. Mais il avait des principes clairs, avec lesquels il restait conséquent. Il s’interrogeait sur l’un ou l’autre joueur selon son opinion. Il prenait seul la décision. Les contradictions étaient malvenues. Il ne s’en laissait jamais conter par des gens qui ne comprenaient rien au football. Il indiquait à la direction que les vestiaires de l’équipe lui sont une zone interdite les jours de match. La discipline est devenue grande avec Fischken. Lorsque nous étions au centre d’entraînement, il imposait par exemple un strict respect de la sieste. Et le poker, l’une des distractions préférées des footballeurs, était interdit. Mais nous ne nous sentions jamais avec une camisole de force avec Multhaup. C’était un programme dur mais il essayait toujours de maintenir la bonne humeur. »

En route pour la finale

La seule saison de Multhaup au BVB, 1965-1966, reste comme l’une des plus glorieuses de l’Histoire du club. Le Borussia enchaîne les tours en Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe en battant Floriana La Vallette puis le CSKA Sofia. En quart de finale se profile l’Ateltico Madrid, un très gros calibre européen de l’époque. Avant le match aller en Espagne, le photographe du kicker demande aux Borussen derrière quel but il doit se placer pour voir des buts. « Nous allons marquer en deuxième mi-temps », lui répond le capitaine Wolfgang Paul. Le photographe va alors voir Hans Tilkowski : « Hennes, aujourd’hui tu blanchis » « Seulement si je retourne le but à l’envers », répond le dernier rempart dortmundois. Et pourtant le schwarze Til n’a pas besoin de retourner le but pour repousser les assauts furieux et les frappes de Luis Aragones ou Miguel Jones en début de match, soutenus par 60’000 fans des Colchoneros dans l’ancien Metropolitano. Le BVB laisse passer l’orage et, comme l’avait prédit son capitaine, marque en deuxième mi-temps par Lothar Emmerich. L’Atletico égalisa en fin de match mais, avec ce score de 1-1, le Borussia abordait le retour en position de force et finit le travail au Rote Erde en battant les Matelassiers 1-0 sur un nouveau but d’Emmerich. En demi-finale, le BVB affronte le tenant du titre, West Ham United, emmené par trois joueurs qui deviendront quelques semaines plus tard champion du monde avec l’Angleterre, le capitaine Bobby Moore et les auteurs de quatre but de la finale 1966 contre l’Allemagne, Geoff Hurst et Martin Peters. Le match est un combat dans l’ambiance surchauffée d’Upton Park, Martin Peters ouvre le score en début de deuxième période mais le BVB finit par imposer son pressing et sa combativité pour retourner les Hammers en soixante secondes avec un doublé de Lothar Emmerich aux 86e et 87e minutes, la première victoire d’un club allemand en Angleterre. Le retour n’est qu’une formalité au Rote Erde et une victoire 3-1 emmène le BVB en finale.

Das Wunder von Glasgow

En finale, Liverpool, champion d’Angleterre, fait figure de grand favori. Son entraîneur Bill Shankly est tellement persuadé de la victoire de ses Scousers qu’il affirme que les joueurs du BVB seraient tout justes bon pour sa deuxième équipe. Et pourtant, il y a match. Siegfried Held ouvre le score à la 62e. Il faudra un cadeau de l’arbitre pour que les Reds égalisent six minutes plus tard, alors que le ballon était clairement sorti sur le centre amenant le but de Roger Hunt : « La balle était clairement derrière la ligne, se souvient Hans Tilkowski. Il n’y a aucun doute et aucune raison de discuter, c’était indiscutable, pas comme à Wembley plus tard. Mais c’est justement là que Multhaup a montré sa contribution à notre succès. Comme nous avons continué à croire en nous et à ne pas nous décourager avec cette mauvaise décision, ce fut décisif. Fischken nous avait donné confiance en nous, basée sur nos succès récents. Ce n’était pas notre meilleur match européen mais dans le combat, c’était optimal, quand on voit simplement la performance de Willy Sturm, qui a livré le match de sa vie. »

Ce but litigieux est le seul que parviendront à inscrire les Scousers à Hans Tilkowski et à ses gants en laine. « C’est vrai à cette époque, je portais des gants en laine. Achetés n’importe où ou tricotés par ma femme. Elle cousait des revêtements en caoutchouc pris sur des raquettes de tennis de table, ainsi la balle adhérait mieux. Parfois j’expérimentais aussi du papier de verre. » Son coéquipier Aki Schmidt ne tarit pas d’éloge sur son gardien : « Hans était aussi quelqu’un avec qui on pouvait avoir beaucoup de plaisir. Peu le croyaient car il était aussi têtu, parfois. J’ai vécu tellement de choses avec lui, je n’ai joué autant de matchs avec personne d’autre que lui. C’était un gars calme. Aussi dans cette finale. Il était en avance sur son temps avec sa position et sa capacité à jouer avec nous. Il évoluait parfois comme joueur de champ en matchs amicaux. Cela ne ratait jamais. Un peu comme Manuel Neuer aujourd’hui. Il ne devait jamais plonger. Il était là où le ballon venait. Pour moi, il était le meilleur gardien du monde. » En prolongations, le lob de Stan Libuda allait donner la victoire au BVB, la première victoire d’un club allemand en Coupe d’Europe.

La gueule de bois

En Bundesliga aussi, le Borussia enchaîne les victoires. Après un départ un peu poussif, notamment une défaite 4-0 en ouverture de saison à Braunschweig, le temps d’intégrer les méthodes de Willy Multhaup, le BVB squatte la première place du classement dès la 23ème journée et une victoire 7-0 contre Schalke au Rote Erde ! Deux semaines plus tard, c’est le Bayern Munich de de Franz Beckenbauer, Sepp Maier et Gerd Müller qui est atomisé 3-0 au stade de la terre rouge. Cinq jours avant la finale de Glasgow, le BVB écarte définitivement le 1. FC Köln de la course au titre grâce à une victoire 3-2 arrachée sur un but de Gerd Cyliax à la 80ème au Rote Erde. A trois journées de la fin, le BVB est leader avec un point d’avance sur la seule Traditionsverein historique de Munich, 1860 München, et deux sur les nouveaux riches qui montent, le Bayern. Le titre s’est joué après la victoire en finale contre Liverpool. Neuf jours après Glasgow et la fête monstrueuse qui s’en est ensuivie, les centaines de milliers de fans massés le long des routes pour acclamer le retour des héros depuis l’aéroport de Cologne, le BVB se déplace à Brême, quatrième du classement. Le buteur Lothar Emmerich avait laissé teinter ses chaussures en or après la finale de Glasgow et les avaient donnée à des fans. Privé de ses souliers, il passe complètement à côté de son match et rate plusieurs balles de but. « De telles bêtises peuvent nous coûter le titre », vitupérait alors l’entraîneur Multhaup. Le BVB s’incline 1-0 à la 89ème sur un pénalty litigieux et est rejoint en tête du classement par 1860 München. Hasard du calendrier, les deux coleaders de la Bundesliga se retrouvent directement aux prises au Rote Erde pour une véritable finale du championnat. Emmenés par l’ancienne gloire du Borussia Timo Konietzka, les Löwen bétonnent en première mi-temps. Meilleur buteur de la Bundesliga cette saison-là avec 31 réussites, Lothar Emmerich croit avoir enfin percé la muraille à la 65ème mais son but est annulé pour hors-jeu. Une minute plus tard, les Löwen ouvraient la marque sur contre-attaque, avant d’assure leur victoire 0-2 à une minute de la fin. Le titre s’était envolé pour le BVB qui termine vice-champion après une défaite 4-1 à Francfort lors de l’ultime journée. L’occasion était pourtant rêvée pour Dortmund de remporter son premier titre de la Bundesliga nouvelle formule. Il devra attendre 29 ans pour ce faire, avec Ottmar Hitzfeld en 1995… Mais probablement que ce Meisterschale 1966 a été perdu dans les fatigues de la formidable épopée européenne et les folles célébrations de la victoire.

Le but fantôme

Mais pour Hans Tilkowski et ses coéquipiers internationaux, il n’était pas encore temps de conclure cette incroyable saison 1965-1966. En effet, la Coupe du Monde se tenait dans la patrie où est née le football, l’Angleterre, et l’Allemagne y débarque avec une très grosse équipe : le prometteur Franz Beckenbauer, la star de l’AC Milan Karl-Heinz Schnellinger, troisième du Ballon d’Or 1963, la légende du 1. FC Köln Wolfgang Overath, le milieu de terrain Helmut Haller, champion d’Italie avec Bologne en 1964 et qui finira deuxième buteur du tournoi derrière Eusebio avec six buts, le capitaine et maître à jouer du SV Hambourg Uwe Seeler…Trois Borussen parviendront à glaner une place de titulaire au milieu de cet aéropage de stars dirigé par Helmut Schön, celui-là même qui parviendra à faire déjouer l’invincible Hollande de Johan Cruyff en 1974 : Hans Tilkowski dans les buts et les attaquants Siegfried Held et Lothar Emmerich, le duo d’attaque magique du BVB. C’est d’ailleurs un schwarzgelb qui inscrira le premier but allemand du tournoi, Siggi Held, lors de la victoire inaugurale 5-0 contre la Suisse. Hans Tilkwoski s’offre un nouveau blanchissage lors du 0-0 contre l’Argentine. L’Allemagne s’assure ensuite la première place du groupe contre l’Espagne. La Roja avait pourtant ouvert le score mais Lothar Emmerich puis Uwe Seeler en fin de match offrent la victoire 2-1 à la Mannschaft. Celle-ci ne fait qu’une bouchée (4-0) en quart de finale de la rugueuse équipe d’Uruguay, qui avait sorti la France en phase de groupe. Avec en prime un troisième blanchissage en quatre matchs pour Til. En demi-finale, à Goodison Park, l’Allemagne affronte l’Union Soviétique. Soit un duel à distance entre Hans Tilkowski et l’immense Lev Yachine. Der schwarze Til gegen die schwarze Spinne, l’araignée noire. Et le duel tourne à l’avantage de l’Allemand puisque Haller et Beckenbauer donnent deux longueurs d’avance à la Mannschaft, l’URSS ne pouvant que sauver l’honneur en fin de match (2-1). L’Allemagne est en finale et y retrouve l’Angleterre dans le temple de Wembley. La suite est connue : les Allemands ouvrent la marque, Geoff Hurst et Martin Peters parviennent à retourner la situation pour les Three Lions avant que le défenseur Wolfgang Weber arrache la prolongation à la dernière minute en reprenant un centre de Siegfried Held. Puis vint cette fatidique prolongation et le but fantôme de Geoff Hurst qui fera définitivement entrer, bien malgré lui, Hans Tilkowski dans la légende, avant que les Anglais assurent leur victoire 4-2 à la dernière minute sur un terrain déjà envahi par les spectateurs.

Le divorce

Tilkowski (comme ses potes Held et Emmerich) pouvait rêver d’un triplé prestigieux Meisterschale, Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe et Coupe du Monde en cette année 1966, il devra finalement se contenter de la C2 et de titres de vice-champion d’Allemagne et du monde. Mais, à 31 ans, il appartient clairement au cercle des trois gardiens du monde de son époque, avec le Soviétique Lev Yachine et l’Anglais Gordon Banks. La suite sera moins brillante. Après une seule saison à Dortmund, Willy Multhaup, qui ne faisait pas l’unanimité, quitte le club pour répondre à l’offre lucrative du 1. FC Köln. Son remplaçant à la tête du Borussia, Heinz Murach, est un fonctionnaire du football venu de Gelsenkirchen (déjà un mauvais point pour réussir à Dortmund). Il a œuvré au sein de la fédération et en juniors mais manque d’expérience dans l’élite. Dès son arrivée, il instaure un tournus dans les buts entre Hans Tilkowski et celui qui l’avait précédé, Bernhard Wessel, le gardien champion d’Allemagne 1963. Une décision qui déplaît à Til : « Il avait des connaissances théoriques, mais dans la gestion des professionnels n’avait pas la proximité dans la relation, l’expérience et la science de Multhaup. Soit exactement les qualités qui seraient nécessaires en ce moment. » Le BVB perd sa Coupe des Coupes dès la premier tour contre les Glasgow Rangers. La saison de Bundesliga n’est pas mauvaise, il y a quelques coups d’éclat, comme des victoires 6-1 contre le Köln de Willy Multhaup ou 6-2 dans le Derby mais le Borussia échoue à la troisième place, à quatre points du champion Eintracht Braunschweig. Mais surtout, Tilkowski est très fâché d’avoir été plus souvent qu’à son tour relégué sur le banc ou en tribune, se contentant de 9 apparitions en Bundesliga contre 25 à son concurrent Wessel. Il décide donc de quitter Dortmund à l’été 1967 après quatre saisons, 81 matchs de Bundesliga et 15 de Coupe d’Europe joués, pour rejoindre l’Eintracht Francfort, où il évoluera encore deux saisons avant de prendre sa retraite. Il fait également ses adieux à l’équipe nationale, après 39 sélections, dans son jardin du Rote Erde à Dortmund le 8 avril 1967, à l’occasion d’une victoire 6-0 contre l’Albanie.

Un homme engagé

Après sa carrière de joueur, Hans Tilkowski s’est lancé dans une carrière d’entraîneur d’une dizaine d’années qui le mènera au Werder Brême (deux fois), à 1860 München, au 1. FC Nünrberg, au 1. FC Saarbrücken et à l’AEK Athènes. Avec le 1. FC Nürnberg, alors le club le plus titré d’Allemagne mais tombé en deuxième division, il avait pour mission de ramener le Club en Bundesliga. Après avoir manqué l’ascension d’un point en 1974, il bénéficie d’une nouvelle occasion en 1976. Der Club termine deuxième de la Zweite Liga Süd et obtient le droit de disputer un barrage de promotion contre le deuxième de la Zweite Liga Nord, lequel n’est autre que le… Borussia Dortmund, tombé en deuxième division en 1972 après avoir très mal géré sportivement et financièrement les suites de la glorieuse épopée de 1966. Le BVB l’emporte 1-0 à l’aller en Franconie et les espoirs de promotion d’Hans Tilkowski vont s’envoler dans son jardin chéri du Rote Erde. Le score est encore de 2-2 jusqu’à la 89ème et ce but improbable de Lothar Huber qui assure le retour du Borussia d’Otto Rehhagel en Bundesliga, qu’il n’a plus quitté depuis lors. Hans Tilkowski abandonnera sa carrière d’entraîneur en 1981 après une dernière expérience peu concluante chez les jaunes et noirs de l’AEK Athènes. Il s’est ensuite beaucoup engagé dans des œuvres caritatives et sociales, organisant d’innombrables matchs de charité pour l’UNICEF, la lutte contre le cancer, la leucémie etc. Mais ce fameux but de Wembley ne l’a jamais vraiment quitté. Tofik Bakhramov, le juge de touche maudit qui avait accordé le but fantôme de Geoff Hurst, est devenu une star dans sa patrie d’origine, l’Azerbaïdjan, et le principal stade du pays porte son nom, le seul stade au monde baptisé en l’honneur d’un arbitre. En 2009, beau joueur, Hans Tilkowski se rendra à Bakou pour y inaugurer une statue à l’effigie de celui qui, 43 ans plus tôt, l’avait privé de son rêve de devenir champion du monde. Il n’avait pas alors pas manqué, dans son discours, de placer diplomatiquement une petite pique pour rappeler que le ballon n’avait jamais franchi la ligne à Wembley ce 30 juillet 1966…

Pour conclure, cet hommage nous reproduisons ici une interview d’Hans Tilkowski effectué lors de la saison 2016-2017 pour le magazine «Straßenmagazin – Bodo e.V. » et récemment repris par le site schwatzgelb.de

Nous sommes assis juste à côté du Stadion Rote Erde. De quel match avez-vous gardé le meilleur souvenir ici ?

Nous avons joué tellement de grands matchs ici, mais le match le plus impressionnant reste la victoire 5-0 contre le Benfica Lisbonne en 1963. Chaque fois que je rencontre des personnes de l’ancienne génération, ils se souviennent et disent: «Mec, j’étais au stade à l’époque ». Nous avons perdu 2-1 à Lisbonne et Benfica était comparable en force au FC Barcelone d’aujourd’hui. Pour nous, une prime de 250 DM avait été prévue en cas d’accession au prochain tour. Ensuite, il y a eu un peu de poker, mais le conseil d’administration ne croyait pas que nous pouvions battre cette équipe. La prime a été doublée, puis nous avons gagné 5-0.

Il y a aussi de mauvais souvenirs de matchs ici ?

Oui, celui que j’aurai naturellement aimé gagner fut le match contre Munich 1860 après la victoire en Coupe d’Europe (n.d.l.r. en 1966, le BVB et Munich 1860 était en tête du classement à égalité, avec une « finale » entre les deux clubs au Rote Erde à deux journées de la fin). Nous venions de perdre 1-0 à Brême, nous aurions dû jouer tactiquement très différemment ici et nous avons perdu 0-2 contre une vraiment bonne équipe de Munich 1860. Ils ont marqué sur deux contre-attaques, c’était vraiment triste. Nous aurions tout aussi bien pu gagner le championnat si nous avions eu une totale concentration comme lors des matchs précédents mais celle-ci s’est considérablement amenuisée après la victoire à Glasgow.

Vous avez mentionné la victoire en Coupe d’Europe 1966. Pourquoi votre équipe a-t-elle connu un tel succès, qu’est-ce qui la rendait si spéciale ?

Des internationaux faisaient déjà partie de cette équipe. Avant d’arriver au Borussia, je comptais déjà 18 sélections et j’en ai eu 21 autres ensuite. Mais je pense que le facteur décisif pour l’équipe à l’époque était que nous avions remporté la Coupe d’Allemagne à Hanovre en 1965. Cette équipe a grandi là-dessus. Avec un nouvel entraîneur, Fischken Multhaup, nous avons pu donner d’autres impulsions. Il y a aussi eu le renfort de Siggi Held et Stan Libuda, de telle sorte que l’image globale de l’équipe n’a pas été modifiée. On l’a seulement un peu complétée et je crois que c’était sa force. Et comme c’est partout le cas en football, les victoires vous donnent confiance en vous, vous rendent forts et nous avions également vu dans certains matchs ce qu’il ne fallait pas faire.

Et comment avez-vous vécu la victoire en finale à Glasgow contre le FC Liverpool ?

Nous avons gagné contre West Ham United, qui avait gagné cette Coupe en 1965, l’année précédente, 2-1 à West Ham et 3-1 ici à Dortmund. Nous n’étions que des étrangers mal dégrossis. Liverpool était alors champion d’Angleterre et c’est ainsi qu’ils sont arrivés, en particulier l’entraîneur Bill Shankly. Il était arrogant, il disait qu’il pouvait jouer contre nous avec son équipe réserve et croyait absolument en sa victoire. Pour nous, il n’y avait aucun doute, nous sommes entrés en pleine confiance dans le match et Fischken Multhaup a déclaré à l’époque : « Nous pouvons jouer dix fois contre Liverpool, nous perdrons neuf fois mais nous devons gagner ce match-ci et nous allons le gagner. » Et je crois que cet élan a été donné lorsque nous avons mené 1-0. Cela a donné à l’équipe une force supplémentaire. Nous avons pourtant dû encaisser l’égalisation. Mais le ballon était sorti, c’est sûr  (n.d.l.r. : effectivement, l’égalisation de Liverpool n’aurait jamais dû être validée car la balle était sortie derrière la ligne sur le centre amenant le but). Et puis nous avons repris l’avantage sur le but de Libuda. Contrairement à aujourd’hui, c’était 120 minutes avec seulement 11 joueurs, parfois seulement 10,5 si l’un était blessé. Mais on ne se plaignait pas car on ne pouvait pas faire autrement. Il y avait déjà des joueurs très, très forts à la course et je crois que Liverpool a été surpris par la vitesse et la combativité de notre prestation. Même si Liverpool était le grand favori, nous les avons battu 2-1.

Comment a commencé votre carrière ?

Je viens de la rue, je suis un footballeur des rues. J’ai joué avec mes potes et cela s’est développé comme cela, c’est devenu de plus en plus grand, c’est cela la beauté. Puis je suis venu dans un club, j’ai lutté, plus tard je suis devenu joueur professionnel et enfin je suis devenu international. Et c’est pourquoi je dois dire au football : « Vieil ami, je te remercie ! » Le football a façonné et changé ma vie. J’avais appris la serrurerie dans l’aciérie et j’aurais peut-être travaillé jusqu’à 65 ans dans cette profession. Mais le football m’a apporté beaucoup plus. J’ai vu le monde, j’ai rencontré beaucoup de gens. J’en parlais encore ces jours-ci, quand la reine d’Angleterre a fêté ses 90 ans. Quand j’ai fait sa connaissance et je lui ai serré la main, elle en avait 40. C’était une très belle femme.

Vous avez titré votre biographie « Und ewig fällt das Wembley Tor » (« Et le but de Wembley tombe pour l’éternité »). Wembley fut-il une bénédiction ou une malédiction pour vous ?

Les deux. La plupart disent : « Le 3-2 t’a rendu mondialement célèbre ». Mais je dis que j’aurai préféré devenir champion du monde. On veut toujours gagner, on joue pour gagner, pour remporter des titres. D’un autre côté, le niveau de reconnaissance est élevé grâce à ce but. Sinon, qui parle d’un match qui remonte à 50 ans ? Il était important pour moi qu’après la victoire sensationnelle en 1954 contre la Hongrie, nous avons fait preuve de fair-play comme équipe au niveau sportif et politique au stade de Wembley comme jamais aucune équipe auparavant. Nous avons pensé, bien, nous avons fait 2-2 dans le temps réglementaire, peut-être que nous pouvons réussir le 3-3. Il y a beaucoup de gens pour dire que c’est formidable ce qu’a fait l’équipe d’Allemagne en ne protestant presque pas.

Vous vous êtes souvent engagé socialement après votre carrière, pourquoi ?

Je ne viens pas d’une famille riche, mon père était mineur. J’ai vécu la deuxième guerre mondiale et la ville bombardée. Dieu merci, nous avions pu survivre assez bien à l’après-guerre grâce au bétail que nous gardions à la maison. Mais ce n’était pas la grande vie. Et je tiens probablement ma fibre sociale de ma mère. Mon premier engagement a été de collecter des fonds avec un match de charité pour des jouets à destination d’une école pour handicapés d’Herne. Et une fois que vous avez commencé, cela suit son cours. J’ai organisé de nombreux événements. La différence entre parler et faire est souvent trop grande pour moi. Puisque l’argent que je demande n’est pas pour moi, je peux avoir une plus grande bouche.

R.I.P. Legende

Sources :

Ein Jahrhundert Borussia Dortmund, 1909 bis 2009. Dietrich Schulze-Marmeling et Gerd Kolbe, éd. Limitée et numérotée Die Werkstatt, 2009.

Der Ruhm, der Traum und die Leidenschaft, Die Geschichte von Borussia Dortmund. Dietrich Schulze-Marmeling, éd. Die Werkstatt, 2011.

Die Helden von 66. Gregor Schnittker, éd. Die Werkstatt, 2016.

bvb.de

schwazgelb.de


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