Que peut-il arriver de pire à un supporter de football ? Depuis samedi 9 mars 2013 17h20, on connaît malheureusement la réponse : perdre deux fois le Derby la même saison. Et c’est même encore pire que ça… Nein, nein und nein !

Malgré une certaine recrudescence de la violence depuis quelques saisons, l’ambiance dans les stades allemands est généralement plutôt du genre détendue et bon enfant. Tu peux sans appréhension arborer le maillot de ton équipe favorite en terres adverses lors de presque tous les matchs de la saison. On dit presque tous car il y a quelques exceptions, la plus notable étant le Revierderby entre Schalke 04 et Dortmund. Si tu ne l’a jamais vécu sur place, tu ne peux pas imaginer les torrents de haine qui se déversent lors du Mutter aller Derbys. S’il est moins médiatisé que d’autres derbys italiens, anglais ou écossais, le Revierderby reste la rivalité locale qui accueille le plus de spectateurs au monde et qui exacerbe, de mon expérience du moins, le plus les passions. Honnêtement, à côté du Revier, un derby milanais ou mancunien fait plutôt figure de réunion amicale de contemporains.

Un grand moment de solitude

Comme on arrive depuis Cologne, on monte dans un train traversant des contrées largement acquises à Schalke. Les maillots jaunes se retrouvent rapidement ultra-minorisés dans le convoi. Il est évidemment impossible de sympathiser avec les fans adverses, tout juste parvient-on à arracher un « Prosit » du bout des lèvres à un fan bleu un peu moins obtus que les autres mais sinon on ne s’attire que regards hostiles, slogans haineux et gestes belliqueux. Du côté d’Oberhausen, un couple de fans könisgsblaue monte dans le train, ils ont l’air tout à fait gentils et civilisés et pourtant, dès qu’elle s’avise de la présence de quelques maillots jaunes dans les wagons, madame, un peu affolée, prévient son ami : « Kein Gewalt, Daniel », « pas de violence, Daniel ».

Lorsque l’on descend du train, on se retrouve un peu isolés en jaune sur le quai bleu, lequel est bombardé d’objets divers, bouteilles, pétards, fumigènes par le quai jaune d’en face. Une bouteille de bière explose un mètre devant nous, ça aurait quand même été ballot de se faire blesser par un supporter portant le même maillot que nous et pourtant il s’en est fallu de peu. C’est donc avec un certain soulagement que l’on traverse les cordons de policiers et de chiens et le no man’s land séparant les deux camps pour nous retrouver dans la marée jaune et noire. Laquelle rejoint la Veltins-Arena sous très haute escorte policière. Malheureusement, la haine est en train de l’emporter sur la saine rivalité sportive et il me semble qu’à chaque Derby c’est pire.

Stratosphérique Julian Draxler

Ceci dit, on a quand même joué au football samedi sous la grisaille de Gelsenkirchen entre les deux seules formations toujours invaincues de la Ligue des Champions 2012-2013. Dortmund est le premier en action mais Mario Götze fait à deux reprises le mauvais choix. Götzinho va clairement perdre le duel à distance l’opposant à l’autre jeune prodige du football allemand, Julian Draxler. Car Schalke va rapidement prendre le match en main et surclasser une équipe dortmundoise aux abonnés absents. Cette domination va être rapidement récompensée sur un centre d’Atsuto Uchida repris par Julian Draxler. Depuis qu’il a pris la place de numéro 10 jadis occupée par Raul puis Lewis Holtby, le jeune prodige de 19 ans est stratosphérique. Et dire que le BVB avait indirectement participé à son éclosion : en effet, alors que tout le monde promettait un avenir doré au jeune Draxler dès l’âge de 16 ans, l’entraîneur de Schalke d’alors, Felix Magath, refusait de lui offrir un contrat pro. Dortmund a alors flairé le bon coup et fait une offre au jeune espoir ; craignant de commettre la même erreur qu’avec Mesut Özil, parti à Brême pour une bouchée de pain parce que l’on n’avait pas cru à son potentiel à Gelsenkirchen, les dirigeants königsblaue se sont alors empressés de proposer un contrat  au juvénile écolier et de lui offrir une place en première équipe, où il s’est rapidement imposé. Mais depuis le début du deuxième tour, avec son repositionnement dans l’axe, il a clairement acquis une dimension supplémentaire. Un futur très grand.

Aux abonnés absents

Le BVB n’y est pas en première mi-temps. Poussé par l’ambiance pour une fois survoltée de la Veltins-Arena, les joueurs de Schalke gagnent tous les duels et multiplient les occasions de but. Weidenfeller s’interpose devant Huntelaar et Draxler, Götze sauve sur sa ligne devant Matip. Mais ce qui devait arriver est arrivé : les Knappen doublent la mise sur un nouveau centre d’Atsuto Uchida repris par la tête du revenant Klaas-Jan Huntelaar, oublié par la charnière centrale dortmundoise. Et au départ des deux buts, il y a un marquage déficient sur le flanc gauche de la défense du BVB, là où Jürgen Klopp avait pourtant titularisé Kevin Grosskreutz en lieu et place de Marco Reus pour mieux assurer ses arrières. Le pari est raté : l’enfant de la Südtribüne, la bête noire de la Veltins-Arena, vit trop intensément la rivalité du Revierderby et y perd complètement ses moyens. Comme lors de la défaite du match aller au Westfalenstadion (1-2), Jürgen Klopp s’est planté dans ses choix tactiques. Le score de 2-0 à la pause est plutôt flatteur pour le BVB et l’on craint même d’assister à une déroute historique.

L’inutile remontée

Le match va changer un peu d’âme après la pause et un remaniement tactique dans les rangs des Pöhler. Un but annulé pour une faute de Bender donne le signal de la révolte et Robert Lewandowski, bien lancé par Kuba, réduit le score. La domination est désormais jaune et noire mais cela reste brouillon et désordonné. Signe du désarroi du BVB, la meilleure chance d’égaliser, un tir de Lewandowski, est annihilée par son coéquipier Götze, par là où ça fait très mal. Si le Borussia a pu y croire jusqu’au bout, c’est surtout parce que Pukki deux fois, Farfan ou Kolasinac ont manqué d’immenses balles de break. Cela aurait pu permettre au BVB d’arracher une égalisation en forme de hold-up à la 88e mais Lewandowski échoue seul devant Hildebrand. Il y a des jours comme cela où tout va de travers, de A jusqu’à Z…Et en plus, on perd Mats Hummels, sorti sur blessure, pour un mois et les quarts de finales de la C1.

De toute façon, il est difficile d’espérer ramener quelque chose d’un Revierderby en livrant une première mi-temps aussi timorée. Après avoir touché le fond il y a quelques semaines, Schalke est en nette reprise et peut à nouveau rêver d’accrocher une place pour la prochaine Ligue des Champions. Ce qui ne suffirait vraisemblablement pas pour sauver la tête de l’entraîneur Jens Keller.

La consternation

Ainsi donc, on perd les deux derbys de la saison, c’est la consternation. Dans les bus jaunes et noirs, les chants martiaux et les joyeuses libations de l’aller laissent leur place à un silence de cathédrale, la détresse est généralisée, les traits sont tirés, les visages livides, les regards hagards, c’est là que tu te rends compte que le Revierderby c’est bien davantage qu’un simple match de football.

Bien sûr on pourrait essayer de relativiser cette défaite par quelques considérations objectives : on reste loin devant eux au classement et cette victoire ne permet qu’à Schalke de grimper à la 4e place du classement, rien à voir avec celle qu’on avait obtenue il y a onze mois dans cette même Veltins-Arena qui nous assurait quasiment le titre. D’ailleurs, on a fêté deux titres lors des deux saisons écoulées alors que tous les fans de moins de soixante ans de ce club de losers qui nous allument n’ont jamais connu et ne connaîtront jamais les joies d’un Meisterschale. On s’en était personnellement occupés en 2007 et on a même réussi à faire passer inaperçu le plus grand succès de leur histoire, le Coupe UEFA 1997, en gagnant le Ligue des Champions la semaine suivante.

La gueule de bois

Mais ces quelques réflexions paraissent bien futiles face à la dictature du moment présent : eux rigolent et nous on pleure. L’alcool a bien des vertus et nous a souvent permis de noyer des chagrins causés par quelques défaites mortifiantes mais, cette fois, la « fête » du samedi soir n’aura servi qu’à rendre la gueule de bois du lendemain plus amère. Sous la pluie évidemment. On est presque tenté de se mettre devant le TV la semaine prochaine pour « soutenir » les Knappen en Ligue des Champions contre Galatasaray. Pas par sympathie, loin s’en faut, mais uniquement dans l’espoir de les retrouver au tour suivante, afin de rapidement gommer le pénible souvenir de cet effroyable samedi dans les boues, la grisaille et la haine de Gelsenkirchen.

FC Schalke 04 – Borussia Dortmund 2-1 (2-0).

Veltins-Arena, 61’673 spectateurs (guichets fermés).

Arbitre : M. Gagelmann.

Buts: 12e Draxler (1-0), 35e Huntelaar (2-0), 59e Lewandowski (2-1).

Schalke 04: Hildebrand; Uchida, Höwedes, Matip, Kolasinac; Höger, Neustädter (73e Fuchs); Farfan, Draxler (82e Raffael), Bastos; Huntelaar (54e Pukki). Entraîneur: Jens Keller.

Dortmund: Weidenfeller; Piszczek, Subotic, Hummels (46e Sahin), Schmelzer; Gündogan (76e Leitner), Bender; Blaszczykowski, Götze, Grosskreutz (46e Reus); Lewandowski. Entraîneur: Jürgen Klopp.

Cartons jaunes: 32e Huntelaar, 61e Kolasinac, 91e Höger.

Notes: Schalke sans Unnerstall, Papadopoulos, Affelay, Marica (blessés) ni Jones (suspendu), Dortmund sans Owomoyela ni Kehl (blessés).

Classement (25 matchs) : 1. Bayern 66 2. BVB 46 3. Leverkusen 45 4. Schalke 39 5. Francfort 39 6. Hambourg 38 7. Mainz 37 8. Freiburg 36 9. Mönchengladbach 35 10. Hanovre 34 11. Nürnberg 31 12. Wolfsburg 30 13. Brême 29 14. Stuttgart 29 15. Düsseldorf 28 16. Augsburg 21 17. Hoffenheim 19 18. Fürth 14.

Catégories : Au StadeRetro

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