Il y a des joueurs qui ont marqué l’Histoire du BVB par leurs succès, leur fidélité ou leur talent. Et puis il y en d’autres dont la place au Panthéon du club tient davantage en une action, une fulgurance, un but. Ewerthon Henrique de Sousa appartient à la deuxième catégorie. Car, si aujourd’hui, en entendant le nom « Everton », tout fan du BVB pense bien davantage à un attaquant brésilien qu’aux Toffees de Liverpool, c’est pour ce but mythique du 4 mai 2002 qui a donné le titre au Borussia dans la Herzschlagfinale contre le Werder Brême.

L’action démarre sur le flanc gauche, face à la Südtribüne. Dede sollicite le relais avec Lars Ricken mais celui-ci est balancé par un défenseur brêmois. Le Westfalenstadion hurle mais l’arbitre ne bronche pas. Qu’à cela ne tienne, le ballon revient sur le petit Mozart Tomáš Rosicky dont la merveille d’ouverture retrouve Dede. Le centre acrobatique de notre légendaire n°17 était trop enlevé, même pour le double mètre de Jan Koller et les gants du gardien brêmois Frank Rost, qui ne peut qu’effleurer le ballon. Mais Ewerthon Henrique de Sousa, entré en jeu 43 secondes plus tôt, surgit alors au deuxième poteau et sa reprise en bout de course heurte la base du montant du but du Werder, longe la ligne et finit par rentrer, avant même de pouvoir être reprise par notre géant tchèque. Tooooooooor ! Tooooooooor !  Tooooooooor ! Une clameur énorme secoue le Westfalenstadion. Le BVB vient de passer de la 3ème à la 1ère place du classement. A 16 minutes de la fin du championnat ! Un but pour la victoire, un but pour la gloire, un but pour le Meisterschale, un but pour l’éternité !

Les lendemains d’hier

Mais reprenons les choses depuis le début. Le BVB a eu un peu de peine à digérer la victoire en Ligue des Champions de 1997 et les départs ou les retraites d’Ottmar Hitzfeld, Stéphane Chapuisat, Michael Zorc, Karl-Heinz Riedle, Andreas Möller, Julio Cesar ou Matthias Sammer. Les entraîneurs défilent sur le banc : Nevio Scala n’a jamais réussi à transposer son football offensif de Parme dans la Ruhr, Michael Skibbe n’avait pas les épaules assez solides alors que Bernd Krauss et Udo Lattek n’ont fait qu’assurer des intérims de quelques mois. Finalement, c’est une ancienne légende du club, le seul Ballon d’Or de l’Histoire du BVB, Matthias Sammer, sans aucune expérience sur un banc, qui reprend  l’équipe en juillet 2000. A l’époque, le Borussia est dirigé par le duo infernal composé du président Gerd Niebaum et du manager Michael Meier. Leur credo ? « Kohle statt Kohle », le pognon plutôt que le charbon. En résumé : peu importent les valeurs et les origines du club, le football moderne appartient à l’argent. Le BVB entre en bourse et investit massivement de l’argent qu’il n’a pas pour retrouver les sommets. Nos nouveaux renforts étrangers viennent de République Tchèque, avec Jan Koller et Tomáš Rosicky, et du Brésil. Débarquent ainsi à la Strobelallee les latéraux Evanilson et Dede, qui deviendra la légende que l’on sait, mais aussi Marcio Amoroso, meilleur buteur de la Serie A en 1999 avec Udinese et arraché au richissime FC Parme de Parmalat, une folie si l’on songe qu’à l’époque les moyens financiers des clubs italiens étaient largement supérieurs à ceux de Bundesliga. Et puis, en 2001, arrive un jeune Brésilien de 19 ans et 1m72, Ewerthon, venu directement de son pays, payé tout de même 7,1M €.

©bvb.de

Au duel avec Leverkusen

La saison 2001-2002 débute moyennement, avec une élimination en Pokal par l’équipe réserve de Wolfsburg. Le BVB entame certes ensuite son championnat par quatre victoires, alors une première dans l’histoire du club, mais rentre dans le rang après deux défaites contre le Bayern et Schalke (dans l’un des Derbys les plus violents de l’histoire, pourtant commencé dans la communion en mémoire des attentats du 11 septembre). Au soir de la 10ème journée et d’une défaite 0-2 au Westfalenstadion contre le Freiburg de Sebastian Kehl (alors tout jeune espoir et auteur d’un but en fin de match), Dortmund est relégué à six longueurs du leader, le champion d’Europe en titre, le Bayern Munich d’Ottmar Hitzfeld. Mais Le Rekordmeister va connaître un hiver difficile et laisser filer Leverkusen (sacré champion d’automne) et Dortmund en tête du championnat. A l’époque, le Bayer aligne la meilleure équipe de son histoire avec les Brésiliens Zé Roberto et Lucio (champions du monde en fin de saison), les Allemands Butt, Ramelow, Schneider, Ballack et Neuville (vice-champions du monde en fin de saison), les internationaux allemands Brdaric, Kirsten et Nowotny, turcs Bastürk, bulgares Berbatov, croates Zivkovic et Vranjes, américains Hejduk, argentins Placente, nigérians Ojigwe… C’est la grande équipe de Neverkusen qui a longtemps rêvé d’un triplé historique mais qui finira par perdre en finale de Pokal contre Schalke (4-2) et surtout de Ligue des Champions contre le Real Madrid (2-1) et la volée d’anthologie de Zinedine Zidane, après avoir pourtant largement dominé le match. En face, le BVB a également fière allure avec l’armada tchéco-brésilienne précitée, les rescapés de 1997 Kohler, Reuter, Ricken, Heinrich et Herrlich, l’ancien gardien vedette de Schalke Lehmann, le canonnier nigérian Oliseh ou encore les internationaux allemands Wörns, Metzelder ou Kehl (transféré durant l’hiver de Freiburg)… Les deux clubs vont se livrer un duel passionnant qui a tenu toute l’Allemagne en haleine, avec Kaiserslautern, Schalke et Bayern en embuscade.

©bvb.de

Alles ist vorbei ?

Le Borussia est le premier à faire le break et prend quatre points d’avance sur Leverkusen et Kaiserslautern après 21 journées suite à une victoire 2-0 contre Rostock grâce à des buts d’Ewerthon et Amoroso. Mais le BVB connaît un mois de février compliqué avec trois chocs consécutifs contre les autres prétendants au titre : match nul à Munich contre le Bayern (1-1, le Brésilien Elber égalisant 3 minutes après l’ouverture du score de son compatriote Amoroso à la 78e), match nul 1-1 dans le Derby à domicile contre Schalke (égalisation d’Ewerthon à la 50e) et surtout défaite 4-0 à Leverkusen (buts de Ballack, Ramelow, Neuville et Berbatov). Encore sonnés, les Borussen enchaînent par un nul au Westfalenstadion contre l’avant-dernier St. Pauli arraché sur un pénalty dans les dernières minutes obtenus par le jeune Odonkor et transformé par Amoroso. Le BVB aligne certes quatre victoires en mars mais son gardien Jens Lehmann écope de quatre matchs de suspension et une défaite à Stuttgart (3-2) vient doucher nos espoirs de Meisterschale, surtout qu’en tête le Bayer ne faiblit pas et enchaîne les victoires fleuves, notamment un impressionnant 4-2 à Kaiserslautern. Cette Bundesliga 2001-2002 semble donc définitivement pliée au soir de la 31e journée et une nouvelle défaite du BVB dans le chaudron du Betzenberg sur un but du Suédois Pettersson. Le très sérieux kicker avait alors titré : « Bye Bye Borussia »… A trois journées de la fin du championnat, Leverkusen compte cinq points d’avance sur le BVB, avec un calendrier très favorable pour terminer, deux matchs à domicile entrecoupés d’un déplacement sur le terrain d’une équipe menacée de relégation. Rien ne semble donc pouvoir empêcher l’échangeur d’autoroutes du nord-est de Köln de fêter le premier titre de son histoire. Mais…

©bvb.de

L’incroyable retournement de situation

Mais le Bayer n’a pas acquis par hasard ses surnoms de Vizekusen et Neverkusen. Comme deux ans auparavant lors du sabordage de la dernière journée à Unterhaching, la Werkself va s’effondrer dans le money time. Les Rheinländer s’inclinent à domicile contre Brême (1-2) après avoir raté un pénalty puis 1-0 à Nürnberg, pourtant menacé de relégation. Pendant ce temps-là, le BVB assure l’essentiel : une victoire 2-1 arrachée sur pénalty à la 89e au Westfalenstadion contre le relégable Köln, puis un succès complètement fou 4-3 à Hambourg, grâce à des buts de Koller, Rosicky et Amoroso (2) et une expulsion de chaque côté. La légende est en marche : le BVB reprend la tête du classement à une journée de la fin de la saison, avec un point d’avance sur Leverkusen et deux sur le Bayern Munich (revenu de nulle part), tous deux au bénéfice d’une meilleure différence de but que nous. Il ne reste donc au BVB « plus qu’à » gagner son dernier match à domicile contre Brême pour être sacré champion. Le problème, c’est que le Werder faisait alors partie des meilleures équipes d’Allemagne et qu’il avait également besoin de points dans sa lutte avec Kaiserslautern pour une place européenne.

©bvb.de

Herzschlagfinale

Nous sommes le 4 mai 2002 et la Bundesliga s’apprête à vivre l’un des dénouements les plus incroyables de son Histoire puisque le Meisterschale va se jouer sur les 90 dernières minutes du championnat entre le finaliste de la Coupe UEFA, le finaliste de la Ligue des Champions et le Champion d’Europe sortant ! Le Westfalenstadion affiche bien entendu complet (68’000 fans, la capacité maximale avant la fermeture des virages) et débute l’après-midi par une séquence émotion en prenant congé de l’une de ses légendes, unser Fußballgott Jürgen Kohler qui mettra terme à sa fantastique carrière quatre jours plus tard après la finale de Rotterdam. Mais ensuite, c’est le combat attendu : le Canadien Paul Stalteri plonge le Tempel der Glückseligkeit dans la consternation en ouvrant rapidement le score pour le Werder. Jan Koller égalise peu avant la mi-temps. Mais c’est insuffisant : dans le même temps, Leverkusen mène 2-0 contre Hertha (2-1 au final) et Bayern 3-1 contre Rostock (3-2 au final). Le match est fou et il entrera dans la légende comme la « Herzschlagfinale », la finale des battements de cœur. Otto Addo tire sur le poteau pour le BVB, le gardien brêmois Frank Rost multiplie les parades et, en contre, le Brêmois Tijkuzu est tout proche de réduire à néant les espoirs dortmundois mais son tir s’écrase sur la latte… Il reste moins de 20 minutes à jouer et le BVB est toujours virtuellement 3e du classement, derrière Leverkusen et Bayern, même pas qualifié directement pour la C1. Puis, à la 73e, l’entraîneur Sammer décide d’introduire le jeune Ewerthon Henrique de Sousa pour Jörg Heinrich. La suite, 43 secondes plus tard, tu la connais…  Brême ne reviendra pas et le BVB pouvait célébrer le sixième titre de son Histoire, après 1956, 1957, 1963, 1995 et 1996, au nez et à la barbe de Leverkusen et du Bayern ! Mais au-delà des émotions et de la joie formidables de ce final ce folie, cela reste un titre au goût un peu amer. Car obtenu avec de l’argent que le club n’avait pas les moyens de dépenser et avec des méthodes pas forcément conformes aux valeurs du club. « Le succès du football capitaliste dans toute sa splendeur », titrait un grand quotidien allemand. On était bien loin des valeurs ouvrières originelles du Ballspielverein et on va payer cher d’avoir oublié qui nous étions et d’où nous venions, presque jusqu’à la disparition. Mais c’est une autre histoire, revenons à Ewerthon.

©bvb.de

100’000 Freunde, ein Verein

Il serait réducteur de résumer la saison du Brésilien à son but décisif contre Brême. Car il a réussi une très bonne première saison en Bundesliga, pour un jeune Brésilien qui débarquait des mythiques Corinthinans du Dr. Socrates et découvrait le football européen. Il n’a pas toujours été titulaire mais a régulièrement été aligné soit d’entrée soit comme joker, ce qui n’avait rien d’évident dans le contingent offensif pléthorique des Schwarzgelben avec Koller, Amoroso, Herrlich, Rosicky, Addo, Ricken, Odonkor… Ewerthon boucle sa saison de Bundesliga avec un bilan de 27 apparitions et 10 buts. Il a également inscrit le but décisif au Stade de France qui avait permis d’éliminer Lille (1-1, 0-0) en huitièmes de finale de la Coupe UEFA. Il était également de la partie lors de la demi-finale mythique au Westfalenstadion lorsque le BVB a explosé 4-0 le grand Milan AC d’Ancelotti, Maldini, Pirlo, Gattuso, Inzaghi ou Shevchenko, l’un des plus grands exploits européens de l’Histoire du club contre un adversaire qui sera champion d’Europe douze mois plus tard. Grâce à cet exploit, le BVB n’a donc guère eu le temps de savourer son Meisterschale puisque, quatre jours après le final mémorable contre Brême, il jouait la finale de la Coupe UEFA. Avec un triple handicap : le hasard a voulu que la finale se joue cette année-là à Rotterdam sur le terrain de l’autre finaliste, Feyenoord, dans un pays en état de choc quelques jours après l’assassinat du leader nationaliste Pim Fortuyn.

©bvb.de

Et en plus du contexte hostile, le Borussia s’est retrouvé réduit à 10 et mené 1-0 sur un pénalty consécutif à une faute de dernier recours de Jürgen Kohler, expulsé pour son dernier match. Mais malgré les circonstances défavorables, Ewerthon (sorti à la 61e) et ses camarades ont offert un véritable morceau de bravoure. Malheureusement, Pierre van Hooijdonck, auteur d’un doublé, a remporté le duel des géants face à Jan Koller, un but sur une volée d’anthologie. Comme Jon Dahl Tomasson pour Feyenoord et Marcio Amoroso pour le BVB ont également marqué, les Bataves l’ont emporté 3-2 et privé nos Schwarzgelben du doublé. Cela n’avait pas empêché, trois jours plus tard, plus de 100’000 fans jaunes et noirs de célébrer leurs héros pour leur Meisterschale et leur magnifique épopée européenne sur le Friedensplatz, la dernière grande célébration de victoire sur le Friedensplatz, celle-ci ayant été jugée trop exigüe pour les Meisterfeier suivantes, en 2011 et 2012. « J’ai gagné quelques titres, dira Jürgen Kohler, mais les plus belles fêtes ont toujours lieu à Dortmund ».

©bvb.de

Un but pour l’éternité

Ces débuts prometteurs vaudront au petit Brésilien Ewerthon, attaquant de pointe ou ailier de débordement, une première sélection en équipe nationale, à tout juste vingt ans. Au total, il a joué sept fois avec la Selaçao, sans inscrire le moindre but, et ne sera pas retenu avec l’équipe championne du monde en 2002. Contrairement à son compatriote Amoroso qui, après son titre de meilleur buteur de la Bundesliga en 2001-2002 (18 buts), a sombré entre blessures, déprime et mal du pays, Ewerthon jouera encore trois saisons pleines à Dortmund. 11 buts en 2002-2003, 16 buts (co-meilleur buteur du club avec Jan Koller) en 2003-2004 et 10 buts en 2004-2005. En quatre saisons, son compteur s’est donc arrêté à 47 buts en 119 de matchs de Bundesliga et 4 buts en 27 sorties européennes. Mais à la fin de son aventure dortmundoise, les résultats sportifs passaient au second plan car les nuages s’amoncelaient sur le Westfalenstadion et le BVB, criblé de dette, était menacé purement et simplement de disparition. Finalement, un plan de sauvetage a pu être négocié en mars 2005 avec les créanciers mais le Borussia, pour honorer ses dettes, a été contraint de se séparer de tous ses éléments qui avaient encore une valeur marchande. Ewerthon était de ceux-là et, en juin 2005, il est transféré au Real Saragosse pour la somme de 3M €. Il a réussi une honnête carrière en Espagne mais sans plus. Il tente un retour en Bundesliga en 2008, à Stuttgart, sans succès. La fin de sa carrière sera plutôt pénible avec des piges à Espanyol Barcelone, Palmeiras, Terek Grozny, Al-Ahli Doha et America Belo Horizonte, avant de prendre sa retraite en 2014. Au final, Ewerthon n’a sans doute pas réussi une carrière aussi brillante que ne le laissait présager ses débuts prometteurs au BVB. Et finalement, l’apogée de sa carrière, il l’aura connue à 20 ans, en inscrivant ce Meistertor qui restera à tout jamais dans les mémoires. Un but pour l’éternité.

©bvb.de

Sources :

Ein Jahrhundert Borussia Dortmund, 1909 bis 2009. Dietrich Schulze-Marmeling et Gerd Kolbe, éd. Limitée et numérotée Die Werkstatt, 2009.

Der Ruhm, der Traum und die Leidenschaft, Die Geschichte von Borussia Dortmund. Dietrich Schulze-Marmeling, éd. Die Werkstatt, 2011.

Nur der BVB, Die Geschichte von Borussia Dortmund. Dietrich Schulze-Marmeling, Gerd Kolbe et Christoph Bausenwein, éd. Die Werkstatt, 2014.

Catégories : Nos PortraitsRetro

0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *