Tout le peuple jaune et noir frétillait d’impatience à l’heure de recevoir le grand Real Madrid en demi-finale de Ligue des Champions lorsqu’il a été frappé par une terrible nouvelle : l’annonce du transfert de Mario Götze au Bayern Munich pour la saison suivante. Depuis ce jour-là, plus rien n’a jamais été comme avant, le temps de l’insouciance et de l’innocence était terminé et le BVB revenait de plein pied dans le triste monde du football business.

Nous nous souvenons tous d’où nous étions et de ce que nous faisions lorsque nous avons appris les attentats du 11 septembre. De la même manière, nos parents et grands-parents se souviennent tous d’où ils étaient et de ce qu’ils faisaient lorsque John Fitzgerald Kennedy a été assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas. Tous les supporters du BVB, eux, n’oublieront jamais où ils étaient et ce qu’ils faisaient au moment d’apprendre le départ de Mario Götze à Munich. Et nous avons presque tous la même histoire à raconter : c’était un lundi soir, nous nous apprêtions à aller nous coucher, des étoiles pleins les yeux, déjà fébriles, impatients et joyeux de la demi-finale aller de Ligue des Champions à jouer moins de quarante-huit heures plus tard au Westfalenstadion contre le Real Madrid. Puis, en toute fin de soirée, le site internet du Bild annonce la nouvelle : notre Wunderkind Mario Götze, junior du club depuis l’âge de six ans, celui-là qui avait déclaré dix jours plus tôt qu’il se voyait effectuer toute sa carrière au BVB, avait signé au Bayern Munich pour la saison suivante. Et le quotidien berlinois était formel : ce n’était pas juste une rumeur foireuse dont il a le secret mais bien une information confirmée de source officielle. En un éclair, la nouvelle fait le tour de la communauté schwarzgelb et sème la consternation, reléguant au second plan le match de Königsklasse contre le Real dont nous nous faisions pourtant une joie quelques minutes auparavant.

Nos joueurs n’ont pas appris la nouvelle différemment de nous ; nonobstant le fait que nous ne possédons pas le numéro personnel de Marco Reus, l’histoire d’Ilkay Gündogan ne diffère guère de la nôtre : « Deux nuits avant le match contre le Real Madrid, sur le coup de minuit, je vois une brève sur mon Smartphone qui n’avait aucun sens : « Enorme : Götze part au Bayern ! » J’envoie un SMS à Marco Reus. Lui et Mario avaient le même agent et ils étaient les meilleurs amis. « Sais-tu quelque-chose là-dessus ? C’est vrai ? » « Oui, c’est vrai, je le sais aussi depuis hier mais c’est vrai. » Pour être honnête, je n’arrivais pas à y croire. »

Jürgen Klopp confirme le choc que cette annonce a représenté pour tout le monde : « Certains joueurs n’arrivaient pas à dormir. Moi, j’ai failli faire une crise cardiaque. Je n’arrivais plus à parler. Je n’ai pas pu aller me coucher avec mon épouse le soir. » Forcément, le timing de l’annonce avait interpellé : pourquoi le Bild, souvent considéré comme l’organe de presse officieux du Bayern, avait-il sorti la nouvelle moins de 48 heures avant un match décisif de Königsklasse, alors que le transfert n’allait intervenir que trois mois plus tard et que les deux clubs, BVB et Bayern, faisaient partie, avec Real et Barcelone, des quatre prétendants au titre de champion d’Europe ? Hans-Joachim Watzke a son idée sur la question : « Le Bayern a voulu nous détruire. » Je ne partage pas l’avis d’Aki sur la question. A l’époque, nous étions en plein scandale fiscal autour d’Uli Hoeness et les médias allemands faisaient leur une avec cette affaire depuis une semaine. Mon opinion est plutôt que le marchand de saucisses a anticipé l’annonce de ce transfert pour détourner l’attention de médias et redorer son blason avec un transfert qui allait changer l’histoire du football allemand.

Watzke se souvient de la réaction de son entraîneur : « Klopp a réagi de manière très émotionnel. Il pouvait difficilement vivre avec le fait que Guardiola voulait absolument Mario Götze. Et il l’a mis en évidence comme le malentendu du siècle. Klopp a été devin sur ce sujet. Il était 100% sûr que c’était une immense erreur de Mario. Cela lui a fait très mal de perdre un joueur qu’il avait amené des juniors en professionnels. Nous avons encore une fois rencontré Mario et son agent. Klopp lui a encore clairement dit qu’il faisait une bêtise. Mais la décision était prise. Cela a beaucoup affecté Jürgen mais beaucoup plus pour Mario que pour l’équipe. »

Pourtant, Jürgen Klopp a su trouver les mots pour remobiliser les Jungs après ce cataclysme. Gündogan nous rapporte sa théorie d’avant le match contre le Real : « Il a brièvement expliqué qu’il trouvait cela dommage mais que naturellement tout était normal et en ordre et qu’il fallait aller de l’avant. Il a dit que Mario restait l’un de nos joueurs jusqu’à la fin de la saison et qu’il était sûr qu’il allait donner le meilleur de lui-même jusqu’à la fin de la saison. »

Nous aussi, les fans, sommes arrivés encore en état de choc pour la demi-finale contre le Real Madrid. Après de longs conciliabules dans les Biergarten, il a été décidé de ne pas siffler (pas encore…) Götzinho afin de ne pas pénaliser l’équipe pour ce match capital. Finalement, sans l’avoir entendue, nous avons appliqué la théorie de Jürgen Klopp et lui, toujours visionnaire, avait anticipé notre réaction : « J’ai expliqué à Mario avant le match que les gens n’oublieraient jamais son départ au Bayern. Mais que ce soir ils auraient autre chose en tête, simplement que le club est le plus important. Par chance, il en a été ainsi. L’atmosphère ce soir-là a relégué dans l’ombre tout ce que j’avais vécu jusque-là. » Et effectivement, galvanisé par la rage et la frustration de ce transfert, le Westfalenstadion a poussé ses Jungs à l’exploit. Tétanisé par l’ambiance, le club le plus titré du monde s’est fait atomiser 4-1 avec un quadruplé de Robert Lewandowski.

Néanmoins, malgré ce sursaut jouissif, plus rien n’a jamais été comme avant après le transfert de Mario Götze. Bien sûr, nous avions déjà perdu Nuri Sahin et Shinji Kagawa les deux étés précédents. Mais ils partaient pour le Real Madrid et Manchester United, deux clubs qui paraissaient alors appartenir à une galaxie lointaine et inaccessible, à une époque où le BVB comptait pour des clopinettes au plan européen. Leur départ représentait une réelle progression sur le plan sportif. C’était tout différent avec Götzinho. Bien que Bavarois d’origine, il était arrivé, avec ses parents, à l’âge de six ans à Dortmund et il avait effectué tous es juniors au BVB. Ensuite, il avait déclaré peu auparavant sa flamme pour le Borussia et imaginé rester toute sa carrière chez nous. A l’époque, beaucoup d’observateurs voyaient en lui un futur Ballon d’Or et le symbole de la fulgurante ascension du BVB vers les sommets. Et il part pour un concurrent direct, sans que cela ne constitue une vraie progression sportive, puisque Dortmund venait de remporter deux Meisterschale au détriment du Rekordmeister et avait retrouvé une vraie crédibilité et des ambitions en Ligue des Champions. Son départ était donc dû essentiellement à des considérations financières.

Pour nous, c’était la fin de l’insouciance et de l’innocence. Depuis 2010, nous vivions un rêve éveillé, juste la folle aventure d’une bande de copains. Personne ne nous attendait, il n’y avait aucune obligation de résultat et pourtant tout nous réussissait : Meisterschale, Pokal et finale de Königsklasse, à chaque fois à la surprise générale. On avait l’impression que notre ascension vers les sommets ne connaîtrait pas de limites. Le transfert de Götzinho nous a rappelé que, dans le football moderne, il y aura toujours une limite : l’argent. Et pour cela, on en voudra toujours à Mario. Il a mis fin à notre conte de fées, il nous a sorti du monde de Bisouours dans lequel nous vivions depuis 2010, comme un gosse à qui l’on explique que le Père Noël n’existe pas. Et force est de constater que, depuis ce lundi soir funeste, nous n’avons jamais retrouvé cet état de félicité et de grâce absolues qui avaient caractérisés les années Klopp entre 2010 et avril 2013…

Si tu as manqué le début:

1er décembre : Revolution 09

2 décembre : Une défaite salutaire

3 décembre: Un rendez-vous presque manqué

4 décembre: A la conquête des cœurs

5 décembre: Goldene Zukunft braucht Vergangenheit

6 décembre: Un employé comme les autres

7 décembre: L’apprentissage

8 décembre: Le premier Derby

9 décembre: La désillusion

10 décembre: Les ruelles sombres

11 décembre: L’irrésistible ascension

12 décembre: En route pour la gloire

13 décembre: La consécration

14 décembre: Des lendemains qui déchantent

15 décembre: Doublefeier

16 décembre: A la reconquête de l’Europe

Adaptation libre de « Ich mag, wenn’s kracht » Jürgen Klopp. Die Biographie. De Raphael Honigstein, éd. Ullstein extra, 2017.

Catégories : Adventskalender

2 commentaires

Jacquiau-Lamaque Gurvan · 18/12/2017 à 03:18

Juste sublime, j’apprend tellement de choses de mon club preferé. Merci beaucoup pour ce moment, car je m’y suis plongé et j’avais l’impression d’y être.
(Je n’ai que 18ans j’en apprend tout les jours) 🙂

Romeo · 18/12/2017 à 14:00

C’était un coup classique du Bayern pour déstabiliser ses adversaires directs(Leverkusen en 2002,…).

Répondre à Romeo Annuler la réponse

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *